Quel avenir pour le pont du Cholet, Saint-Laurent-en-Royans ?

Construction emblématique du patrimoine ferroviaire, le pont du Cholet est l’un des rares témoignages du tramway reliant Bourg-de-Péage à Sainte-Eulalie-en-Royans et du développement du chemin de fer dans la Drôme. L’état actuel du pont, fermé depuis 2017, amène les collectivités à s’interroger sur son devenir : démolition, création d’une passerelle ou restauration ? Cet article  (*) résume l’histoire de ce pont, rappelle le contexte de sa construction et donne un bref aperçu des différents enjeux actuels.

La ligne Bourg-de-Péage/Sainte-Eulalie-en-Royans et le chemin de fer dans la Drôme

La ligne du tramway entre Bourg-de-Péage et Sainte-Eulalie-en-Royans fait partie du réseau de chemin de fer secondaire à voie métrique (*) qui a fonctionné entre 1893 et 1931. D’une longueur de 40 kms, ponctuée de ponts-routes et de viaducs, la ligne dessert les villes : Bourg-de-Péage – Romans – L’Ecancière – La Baume d’Hostun – Saint-Nazaire-en-Royans – Saint-Thomas-en-Royans – Saint-Jean-en-Royans – Saint-Laurent-en-Royans – Sainte-Eulalie-en-Royans. En 1904, elle est prolongée jusqu’au Pont du Foulon afin de desservir Pont-en-Royans côté Isère, puis elle est désaffectée en 1931.

La création de cette ligne s’inscrit dans l’ère du développement des transports et du chemin de fer au 19e siècle ; en effet le tramway conquiert les villes (*), puis les départements, dont la Drôme qui, dès 1893, se couvre d’un réseau ferroviaire reliant les petites communes à partir des grandes villes de la vallée du Rhône et de la ligne de train P.L.M. (Paris-Lyon-Méditerranée) ou bien à partir des villes moyennes situées à l’intérieur du département.

Réalisé entre 1893 et 1897, le premier réseau comprenait Saint-Vallier – Le Grand-Serre (*), Montélimar – Dieulefit (*), Tain-l’Hermitage – Romans (*), Valence – Chabeuil (*), Clérieux – Saint-Donat (*), Chabeuil – Bourg-de-Péage (*). Construit en particulier pour des raisons économiques (transport du bois), un second réseau est réalisé entre 1901 et 1908 entre les villes : Bourg de Péage – Sainte-Eulalie-en-Royans (*), Pont-de-Quart – Châtillon-en-Diois (*), Valence – Crest (*), Bourg de Péage – Romans (*).

Ce réseau est exploité par la Compagnie des chemins de fer de la Drôme créée en 1891 dont le rôle était la construction et l’exploitation d’un réseau de tramways à traction de locomotive pour le transport de voyageurs et de marchandises ; puis par la Régie des chemins de fer de la Drôme. Aujourd’hui, le pont fait partie du réseau routier départemental responsable de l’entretien ; aussi le Département de la Drôme, propriétaire, s’interroge sur son devenir avec les autres collectivités locales.

La construction du pont du Cholet

Entre Saint-Jean-en-Royans et Saint-Laurent-en-Royans, le pont de « type Eiffel » – permettant le passage du tramway à vapeur au-dessus de la rivière du Cholet – est édifié en 1890. D’une longueur de 97,40 m. et d’une hauteur de 29,50 m., ce viaduc comprend un tablier métallique de 55,25 m., composé de poutres latérales en treillis rivetés (probablement en fer puddlé comme la structure de la tour Eiffel). Le tablier repose sur deux culées en maçonnerie, l’une de deux arches côté Saint-Laurent, l’autre d’une arche côté Saint-Jean. La construction du pont est confiée aux Entreprises IMBERT Frères de Saint- Chamond (Loire) spécialisées dans la fabrication des pièces métalliques rivetées.

Un enjeu patrimonial majeur

Le pont du Cholet est un ouvrage d’art remarquable par son histoire, sa technique et son intégration à l’environnement. S’il est remarquable à l’échelle de la Drôme, il l’est également à l’échelle régionale et nationale. En effet, il est emblématique de la naissance du chemin de fer et d’un nouveau mode de locomotion qui a marqué l’histoire par des innovations techniques majeures en matière de force motrice, par l’apparition de nouveaux métiers et pratiques sociales. Il a modifié notre manière d’appréhender le territoire et le temps et a bouleversé l’espace par la construction d’infrastructures et d’ouvrages d’art.

Aussi la préservation du pont et sa restauration s’imposent même s’il n’est pas protégé au titre des Monuments historiques comme d’ailleurs tant d’autres ouvrages ferroviaires remarquables. Il est à noter que sur 45 285 monuments historiques protégés (*) , 514 ponts routiers et 21 ponts et viaducs ferroviaires sont seulement protégés – ce qui montre encore le peu d’intérêt de la part du ministère de la Culture pour ces ouvrages d’art comme pour le patrimoine industriel ou technique, surtout quand ils datent du 20e siècle…

Un enjeu social, économique et touristique

Préserver le pont du Cholet n’est pas seulement un enjeu patrimonial ; c’est aussi un enjeu social et économique important par son usage quotidien des habitants du Royans, les liens de proximité qu’il offre entre les communes, entre les agriculteurs, entre les commerçants (vente directe à la ferme, restaurant…). Enfin l’enjeu touristique est fort à l’heure où le Royans-Vercors construit son projet de territoire fondé sur trois priorités dont « Transports et mobilités – favoriser la mobilité, les transports et les déplacements, notamment doux ». Et où le Département de la Drôme porte le projet stratégique des « Sublimes routes du Vercors » « qui vise l’enrichissement, le renouvellement et la diversification de l’offre touristique de la destination Vercors. Cette perspective s’inscrit dans un développement durable du Vercors, par des aménagements ʺraisonnésʺ et respectueux de ses patrimoines et par l’appropriation de ses richesses (naturelles, paysagères, historiques, culturelles…). » La restauration du pont et sa remise en service ne peuvent que renforcer l’attractivité de ce territoire en favorisant le passage de cyclistes (*)et de randonneurs à la découverte de la merveilleuse vallée du Cholet et de sa source, du pont dit « des Chartreux », du site de Combe Laval considéré comme l’une des plus longues reculées d’Europe, de la grotte du Frochet, des traces de l’activité métallurgique (les Forges), du monastère Saint-Antoine-le-Grand, etc.

La démolition, « une décision de facilité » ?

La restauration du pont s’inscrirait totalement dans les orientations du Département de la Drôme : « Développement durable », « aménagements ʺraisonnésʺ et respectueux de ses patrimoines » ; alors que le choix de sa démolition fait écho au point de vue des architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal lauréats du Prix Pritzker :« La démolition est une décision de facilité et de court terme. C’est un gaspillage de beaucoup de choses – un gaspillage d’énergie, un gaspillage de matériaux, et un gaspillage d’histoire. En outre, il a un impact social très négatif. Pour nous, c’est un acte de violence ».

De même, Luc Fournier (*) dans la revue éditée par l’Association nationale des architectes des bâtiments de France nous alerte sur la menace de la disparition d’ouvrages d’art de plus en plus fréquente : « (…) ayons une pensée pour les ponts et viaducs perdus dans les campagnes, peu connus du public, mais qui ont marqué, depuis plusieurs décennies, les paysages dans lesquels ils s’inscrivent et la mémoire des hommes qui habitent ces paysages. »

Chrystèle Burgard

Bibliographie

Histoire de ponts, Revue drômoise, n° 575, mars 2020.
– Danielle Blanc-Bérard, Christian Maurel, « Le pont du tram. Au seuil de Combe Laval », Revue drômoise, n° 575, mars 2020, p. 42-46.

St-Laurent-en-Royans – Pont métallique sur le Cholet à l’usage de chemin de fer du C. D.
Vues depuis l’amont rive droite (2021) ©JPBos