L’ancienne Faïencerie Coursange (*), créée vers 1887 et fermée en 2008, est devenue ʺL’Usineʺ, patrimoine industriel accueillant aujourd’hui une trentaine de locataires – magasins, entreprises, ateliers d’artistes et d’artisans – rassemblés dans les 3000 m2 réaménagés.
Un lieu de travail différent pour des acteurs engagés dans la vie de leur territoire, installés dans des espaces privatifs et fonctionnels tout en étant dans un espace collectif. Une initiative entièrement privée racontée avec enthousiasme par un des quatre associés impliqués dans ce lieu singulier, Axel de Coupigny.

Auteurs :
Axel de Coupigny / Q+E

Q+E : Quelle est la genèse de votre projet de reconversion de cette faïencerie et quels objectifs aviez-vous en se lançant dans une telle aventure ?

AC – J’habitais à Comps, petite commune entre la vallée de Bourdeaux-Crest et la vallée de Dieulefit-Montélimar ; avec ma femme artiste, on a créé en 2015 un parcours culturel qui s’étendait sur ces deux vallées et qui mélangeait découvertes du patrimoine et événements artistiques contemporains. Dans le cadre de l’association Wac, une dizaine de lieux était impliquée : à Poët-Laval le château, la commanderie, la poterie Jacky Robin et l’ancienne usine Coursange, à Dieulefit un loft, à Bourdeaux l’église réformée, à Pont de Barret Le Quai, etc. Cette manifestation a eu lieu en 2015, puis 2017 et 2018 et m’a permis de comprendre les besoins d’espace de travail et d’exposition.
C’est en 2018 que les deux propriétaires d’une partie de l’usine Coursange, Sandrine Delmas et Jean-Marc Sponga, ont proposé de passer la main à de nouvelles énergies ; en 2010 ils avaient investi 3000 m2 de l’ancienne faïencerie et permis l’installation de magasins de produits recyclés et bio : Tri-porteur, Tri-balles, Champs Libres.
Tout d’abord hésitant devant l’ampleur du projet et de la mise en œuvre, puis conscient de l’intérêt de ce lieu, de ses possibilités spatiales et culturelles, j’ai proposé à Philippe Briançon et Stéphane Couturier, de se lancer dans cette aventure. Sandrine Delmas, intéressée par notre projet, est finalement devenue une des quatre associés.
Notre projet était de permettre à des artisans, des artistes et des acteurs de l’économie locale, de travailler dans de bonnes conditions, en créant des ateliers individuels dans ces grands volumes et de mettre en place une programmation culturelle régulière dans le hall d’exposition.
Façade de L’Usine côté épicerie Tous en vrac © Q+E
Façade de L’Usine côté recyclerie Le Tri-porteur © Q+E

Q+E : Quel est le montage financier et juridique entre vous quatre et votre projet a-t-il été subventionné par les collectivités territoriales ?

AC – On a créé tous les quatre une société civile immobilière, la SCI ʺ 2 L’Usine ʺ, et fait un emprunt conséquent jusqu’en 2035 couvrant l’acquisition et les travaux sans aides des collectivités territoriales. On a réussi à faire notre opération grâce à un décalage bancaire. Le rôle de la SCI est de réceptionner les loyers, de rembourser les emprunts et de choisir les locataires.

Q+E : Comment sont choisis les locataires, qui sont-ils et d’où viennent-ils ?

AC – La SCI est un peu sélective : elle choisit des professionnels qui s’impliquent dans leur lieu de travail. On recherche un équilibre entre des personnes expérimentées et renommées et des débutants ; on tient également à une diversité de métiers : du céramiste au luthier, du photographe à l’épicier, du designer à l’expert-comptable. C’est avant tout une usine !
Les locataires proviennent aussi bien de grandes villes que du territoire et sont venus vers nous sans qu’on ait à les rechercher. Les 3000 m2 sont entièrement occupés en 2022 par une trentaine de locataires dont 5 magasins, 8 entreprises, une vingtaine d’artistes et d’artisans.
Espace de torréfaction Lomi © L’Usine-Lomi
Atelier de Julia Huteau © Q+E

Q+E : Comment se construit la programmation culturelle et comment est-elle organisée ?

AC – La SCI met à disposition le lieu d’exposition à l’association Wac qui choisit les artistes en fonction de la qualité de leurs œuvres et de leur engagement. Elle met en place sept ou huit expositions par an avec des artistes de haut niveau ou des artistes émergents et programme des événements culturels régulièrement : spectacles, concerts, rencontres… Elle aide à ce jour l’artiste à installer ses œuvres, assure la communication, l’accueil, le vernissage…
Ces manifestations ont permis de faire de belles rencontres et le public est présent comme cet été où 7500 personnes sont venues de juin à septembre. Les expositions sont actuellement gratuites pour les visiteurs. Cependant aujourd’hui on mène une réflexion sur le fonctionnement et le financement de ces activités culturelles ; on a besoin de développer des ressources propres, de collectionneurs qui soutiennent l’art contemporain.
Hall d’exposition avec les œuvres de Jean-Noël Bachès, septembre 2022 © Q+E

Q+E : Ne contribuez-vous pas au phénomène de gentrification de cette région ? Comment l’éviter ?

AC – L’Usine veut être avant tout un lieu mixte qui draine un public très varié, aussi bien le curieux d’une exposition que l’acheteur modeste venant à la recyclerie ; un lieu qui accueille des artistes confirmés comme des débutants, qui permet à des artisans qualifiés et à d’autres moins expérimentés de travailler dans de bonnes conditions.
Cependant le prix de l’immobilier dans ce territoire est de plus en plus élevé comme d’ailleurs dans toute la France. C’est vraiment un handicap pour les jeunes qui veulent s’installer ici et trouver un logement et un atelier.

Q+E : Vous avez aménagé et restauré cette ancienne faïencerie, comment avez-vous réalisé ces travaux et avez-vous été accompagnés par un architecte ?

AC – On s’est organisé sans architecte ; ayant moi-même une petite expérience dans les travaux, j’ai travaillé avec Philippe Briançon qui a un panel incroyable de connaissances techniques (gestion des flux, électricité, plomberie, etc.) et avec Stéphane Couturier qui a une vraie capacité de gestion. On a fait le choix de l’autoconstruction avec l’aide ponctuelle d’entrepreneurs locaux très compétents. Pendant 4 ans presque non-stop, on a repris l’étanchéité des toitures, les écoulements, réalisé l’implantation des parkings, la mise aux normes, le raccordement au réseau électrique, la construction des ateliers de la « rue », etc.

Les ateliers ont été réalisés progressivement en fonction des besoins des personnes intéressées. On a commencé il y a 4 ans par l’installation de l’espace de torréfaction Lomi sur plus de 200 m2 et on a terminé cet été la « rue » des ateliers par deux locaux pour une brodeuse et une entreprise de productions de films.
L’aménagement de l’espace avec des ateliers construits de part et d’autre du bâtiment © Q+E

Q+E : Votre projet et votre engagement, sont-ils motivés par l’intérêt que vous portez pour le patrimoine industriel et la question de la reconversion ?

AC – Quand j’ai découvert ce lieu la première fois, j’ai été impressionné par la beauté du site et de son potentiel.
On a essayé de respecter au maximum le lieu, tout en apportant des éléments contemporains pour que le site vive avec des artisans et des artistes, pour leur apporter du confort et permettre un bon développement de leur travail. On a récupéré des éléments de l’ancienne faïencerie comme les lavabos, conservé les charpentes métalliques, le portail, la grande cheminée qui sert également à l’aération de la salle d’exposition.
Intérieur de L’Usine restaurée © Q+E

Q+E : Quels sont vos futurs projets ?

AC – On veut d’une part maintenir le bâtiment en bon état, mieux fermer les espaces de travail, améliorer les toitures et l’autonomie du bâtiment. D’autre part, on réfléchit à la pérennité du lieu culturel, au modèle économique pour financer un médiateur et soulager l’association Wac.
Et gérer au quotidien les demandes qu’on a chaque jour pour un atelier, une exposition, un spectacle. Les ateliers sont tous pleins mais c’est bien aussi qu’il y ait un turnover pour donner la chance à un débutant.

Q+E : Comment définiriez-vous ce lieu ?

AC – Tout d’abord comme un lieu d’accueil à bras ouverts, un lieu de travail évolutif et de réflexion artistique. En fait, on est simplement une ruche accueillant des gens passionnés et créatifs qui bossent !

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