Art3, la fin d’une longue aventure de l’art contemporain à Valence
Créée en 1986 à Valence, art3 a œuvré pendant 36 ans au développement de l’art contemporain et soutenu les artistes de la région Rhône-Alpes et étrangers à travers des résidences, des expositions, des éditions…
A la suite des suppressions et des réductions des subventions publiques, l’association est contrainte d’arrêter ses activités. Au cours de l’assemblée générale extraordinaire d’art3, le vendredi 16 décembre 2022, Françoise Simonet, cofondatrice et vice-présidente, retrace le parcours de l’association, ses évolutions et ses difficultés.
Auteure :
Françoise Simonnet
L’association art3 (loi 1901) a été créée en 1986 à l’initiative de Raymonde Morin, Bernard Fournier, Jean Marc Gébelin et Françoise Simonet, autour d’une programmation de médiation culturelle liée à l’art contemporain. Cette programmation proposait d’explorer des thématiques de l’art contemporain à l’occasion de voyages d’études dans de grandes métropoles où se déroulaient de grandes expositions, de grands évènements. Elle a permis également de nombreuses rencontres avec des artistes dans leur atelier, des visites de collections privées et de lieux emblématiques de l’art moderne et contemporain. Ce travail se voulait une forme alternative à l’offre de médiation culturelle institutionnelle (musées, foires, galeries), une manière de favoriser la rencontre entre le public et l’œuvre. Mais c’était aussi le fruit d’un engagement personnel de la part des fondateurs qui étaient tous bénévoles.
1989, un lieu pour la création, la production et la diffusion de l’art contemporain
Dès 1989, art3 a ouvert à Valence un lieu de 1500 m2, de type friche industrielle rue Denis Papin près de la gare. À ce moment-là, le projet s’inscrit dans le contexte d’une politique volontariste de l’État visant à améliorer la diffusion de l’art contemporain qui se traduit par de fortes augmentations budgétaires.
C’est l’opportunité pour art3, dans ce lieu, de construire un projet consacré aux jeunes artistes et plus généralement à l’aide à la création, la production et la diffusion.
Par ailleurs l’ancrage sur la ville de Valence positionne le projet d’art3 dans la durée et le travail sur ce territoire devient un nouvel enjeu. Ce sera un programme d’ateliers d’artistes comprenant cinq ateliers à destination de jeunes artistes régionaux, un atelier lieu d’expositions, deux ateliers studios d’accueil en résidence pour des artistes européens et internationaux et des locaux administratifs.
Plusieurs programmations vont fonctionner simultanément dans ce lieu :
- les ateliers loués à des artistes régionaux pouvant bénéficier d’un appui de la part d’art3 pour se professionnaliser (réalisation de dossiers, participation à des jurys etc.)
- l’atelier lieu d’expositions fonctionnant sur invitations à de jeunes artistes (français, étrangers) pour expérimenter un projet. Ces expositions courtes étaient souvent accompagnées d’une petite édition ou de la réalisation d’un multiple.
- deux ateliers studios pour l’accueil d’artistes en résidence liés au programme d’échanges européens (régions du Bade Wurtemberg, Catalogne, Lombardie) financé par la Région Rhône- Alpes et suivi d’une exposition en partenariat avec le musée de Valence. Une édition (catalogue ou livre d’artiste) était également réalisée pour l’artiste reçu en résidence qui bénéficiait aussi d’une bourse de séjour. Parallèlement de jeunes artistes de la Région Rhône-Alpes étaient sélectionnés pour une résidence dans les régions concernées où ils bénéficiaient des mêmes prestations dans des structures similaires.
Ces deux ateliers servaient aussi à des invitations à des artistes français ou étrangers pour la réalisation d’un projet suivi d’une exposition ou d’un événement, accompagné ou non d’une édition.
L’ensemble de ce programme a été financé (investissement et fonctionnement) en partenariat par la Région Rhône-Alpes, la Drac Rhône-Alpes, le Département de la Drôme et la ville de Valence.
Les ateliers studios pour l’accueil des artistes en résidence ont été aménagés avec l’aide de la DAP (Délégation aux Arts Plastiques). Ce projet a fonctionné en partenariat régulier avec le Musée et l’école d’Art de Valence et plus ponctuellement avec les autres institutions culturelles de l’époque. Il a été dirigé collégialement et bénévolement par les quatre fondateurs de l’association jusqu’en 1992.
À ce moment-là, art3 a su convaincre ses partenaires publics (État, Région, Ville, Département) de l’intérêt de son action et de ses capacités à mettre en œuvre son projet. La pérennisation de l’engagement des partenaires publics à travers la signature de conventions pluriannuelles, quadripartites ont donné une stabilité financière (limitée) au projet. Cette reconnaissance s’accompagne d’une demande accrue des financeurs qui dès 1995 sont présents au conseil d’administration d’art3.
De 1992 à 1997, la direction du lieu et le développement du projet ont été assurés, toujours bénévolement, par Françoise Simonet et assistée de Paula Aisemberg (poste salarié à mi-temps). En 1997, art3 a recruté Corinne Gambi qui a pris la direction du projet jusqu’en 1999 (poste salarié mi-temps). C’est une étape importante qui est franchie pour les fondateurs qui délèguent la responsabilité du projet à une professionnelle de l’art. Corinne Gambi va réfléchir au positionnement d’art3, à son image et à la place des éditions.
1999, art3 résidence production diffusion.
Au départ de Corinne Gambi en 1999, art3 a dû opérer un premier changement.
À l’occasion du recrutement de Valérie Cudel comme directrice du projet, art3 ferme le programme d’ateliers d’artistes rue Denis Papin et déménage au 8 rue Sabaterie au cœur de la vieille ville de Valence.
Les raisons qui ont amené à cette relocalisation d’art3 sont liées d’abord au poids financier que faisait peser sur le budget de l’association la charge locative d’un lieu aussi important en termes de superficie. Par ailleurs, nos partenaires financiers pointaient déjà la position un peu excentrée du lieu et donc, à leur avis, son manque de visibilité.
Enfin le changement d’échelle permettait de dégager un salaire de directeur à temps complet.
En 2000, Valérie Cudel a pris en charge le déménagement d ‘art3 dans le lieu actuel d’une superficie d’environ 100m2 et relancé l’activité de l’association qui s’appellera désormais « art3 résidence production diffusion ».
Le projet plus resserré, sans atelier mais avec un studio d’accueil pour les artistes résidents, une salle d’exposition, un bureau et un petit local technique, est plutôt au format d’une galerie. Il reste cependant axé sur l’aide à la création, la production et la diffusion. Une attention spéciale sera apportée à l’édition qui va beaucoup se développer sous l’impulsion de Valérie Cudel et très vite l’identité d’art3 sera associée à sa politique éditoriale.
Les échanges européens et internationaux se poursuivent, la programmation des expositions également. De nouveaux partenariats vont s’élaborer :
- avec la Fondation Albert Gleize à Moly Sabbata, pour laquelle Valérie Cudel organisera les résidences d’été.
- avec la Fondation de France qui utilisera art3 comme « relais » dans le programme des Nouveaux Commanditaires pour lequel Valérie Cudel est médiatrice et dont l’apport financier va permettre d’envisager un poste de salarié supplémentaire.
- avec trois parcs naturels régionaux (Pilat, Vercors et Ardèche) dans le cadre de « Regards croisés sur les paysages » pour lesquels Valérie Cudel est conceptrice du projet, responsable du choix des artistes invités et des différentes éditions et actions de médiation qui ont suivi la réalisation du projet (Projet financé par des fonds européens)
A l’initiative de Valérie Cudel, en 2005 l’artiste sud-africain William Kentridge est invité dans le cadre d’un partenariat regroupant le CRAC (actuel LUX), l’École d’art, l’école de la Poudrière, le Musée de Valence, la Médiathèque de Valence et art3.
En 2005, Sylvie Vojik rejoint art3 comme directrice adjointe.
L’année 2008 marque la fin des conventions pluriannuelles signées ensemble par les partenaires publics. Les subventions allouées par les différents partenaires seront négociées séparément avec art3.
2009, un nouveau tournant
Tout en poursuivant la politique d’accueil en résidence, les expositions et les éditions, Sylvie Vojik va initier de nouvelles résidences à destination de jeunes commissaires et critiques d’art en partenariat avec Schloss Solitude à Stuttgart, puis avec Gedok à Stuttgart également à Lisbonne et Leipzig.
Elle va développer une collaboration avec le CAP de Saint-Fons financée par des fonds européens. Elle va également s’impliquer dans les activités d’ACRA, association réseau pour la structuration des lieux d’art contemporain en Rhône-Alpes.
En 2016 Sylvie Vojik organise la célébration des 30 ans d’existence d’art3 par la réalisation d’un livre récapitulant la plus grande partie des invitations faites aux artistes pour des expositions ou des évènements. Elle va faire produire également des affiches qui seront mises à la vente, en collaboration avec les graphistes « My name is Wendy ».
art3 reçoit le soutien de la Région Auvergne Rhône-Alpes, de la ville de Valence, du Département de la Drôme (aide au fonctionnement jusqu’en 2018) et de la DRAC Auvergne Rhône-Alpes (jusqu’en 2008, puis en 2019, le soutien devient occasionnel).
En 2018, la ville de Valence, en la personne d’Anne-Laure Thibaut, adjointe à la culture, invite art3 à réfléchir à sa possible relocalisation sur le lieu de la Bourse du Travail. Les modalités sont à définir dans le cadre d’une convention qui s’élabore progressivement, au fil de réunions avec le service culturel de la ville auxquelles vont participer Hélène Moulin, actuelle présidente de l’association, Françoise Simonet vice-présidente et Sylvie Vojik.
La construction de cette convention et des nécessaires aménagements du lieu vont faire l’objet d’un travail commun qui va se poursuivre pendant un peu plus de deux ans. Les autres partenaires publics d’art3 (Région, Drac, Département) en ont été régulièrement informés.
16 affiches réalisées par le studio de design graphique « My Name is Wendy », pour les 30 ans d’art3, espace public de Valence, avec la Ville de Valence, 2017 © art3
La situation actuelle, un désengagement des pouvoirs publics
Jusqu’à aujourd’hui, art3 s’est positionné comme un lieu de recherche, de création et de diffusion en art contemporain, développant des formats divers (expositions, éditions, rencontres, concerts, performances) et s’attachant à la diversité des pratiques (peintures, photographies, installations…).
art3 a accompagné le travail de plus de 500 artistes et a produit plus de 200 œuvres. L’association est reconnue comme un lieu de professionnalisation au niveau local, régional et international. Elle est également inscrite dans différents réseaux professionnels et participe à la structuration du pôle en arts visuels, réseau régional.
art3 produit et diffuse des expositions et des éditions en arts visuels, soutient la jeune création par le biais de bourses allouées aux artistes et commissaires d’exposition dans le cadre des résidences. art3 organise entre 4 et 5 expositions par an, invitant des artistes émergents ou confirmés, de différents âges et favorise la production d’œuvres qui sont montrées en primeur au public valentinois et régional.
En 36 ans d’existence, art3 a fait la preuve de sa capacité à s’adapter aux changements conjoncturels et à se réorganiser, maintenant un écosystème qui réalise l’équilibre entre un minimum de moyens et un maximum d’actions produites.
En 2020, malgré la situation sanitaire, art3 a mené à bien sa programmation, expositions et résidences, accueil du public en respectant les consignes de sécurité.
Mais les prévisions des subventions pour 2021 sont déjà inquiétantes d’autant qu’en décembre 2020, la Ville de Valence annonce qu’après presque trois ans de travail engagé pour relocaliser art3 à la Bourse du Travail le projet est abandonné et qu’elle conserve la gestion de ce lieu.
Les autres partenaires financiers de l’association, en particulier la Région et la DRAC ont perçu cette annonce comme un désaveu total de l’action d’art3 sur le territoire.
La Région a d’ores et déjà annoncé qu’elle se désengagerait en grande partie pour 2023. La DRAC a également signifié qu’elle ne donnerait rien en 2022 ni en 2023.
Il resterait éventuellement à art3 le soutien de la Ville, à hauteur d’environ 10 000 € annuels qui ne pourraient en aucun cas permettre la survie de l’association dans sa forme actuelle.
C’est pourquoi nous en sommes arrivés, avec l’approbation des membres du conseil d’administration à cette décision difficile, douloureuse même, de fermer ce lieu et de licencier Sylvie Vojik. Art3 en tant qu’association ne sera pas dissoute.