La médiation culturelle
de l’art contemporain
Quelles pratiques, quels enjeux ?
© E. Margiotta
Transmettre, rencontrer, partager l’art contemporain avec les visiteur·euse·s de centres d’art ou de musées font partie des missions des médiateur·rice·s. Si cette profession apparaît dans les années 1980 avec la mise en place des politiques culturelles en France, elle reste encore méconnue des publics malgré leurs présences actives dans les différents lieux. Elle-même médiatrice dans des structures d’art moderne et contemporain, Emma Margiotta propose, à l’appui de son expérience et de témoignages de médiateur·rice·s vivement engagé·e·s, de définir ce métier, de cerner les compétences mobilisées et de parcourir les dispositifs mis en œuvre au sein des lieux culturels et hors les murs.
Auteure :
Emma Margiotta
Une définition plurielle en constante évolution
« On appelle « médiation culturelle » un ensemble d’actions visant, par le biais d’un intermédiaire – le médiateur, qui peut être un professionnel mais aussi un artiste, un animateur (…) –, à mettre en relation un individu ou un groupe avec une proposition culturelle ou artistique (…), afin de favoriser son appréhension, sa connaissance et son appréciation » (*). Afin d’évoquer ce sujet, j’ai mené des entretiens auprès de professionnel·le·s exerçant dans des centres d’art contemporain (*). Étant moi-même médiatrice culturelle en art moderne et contemporain, cet article comportera mon regard. Spontanément, la première question posée a été la suivante : comment définissez-vous le métier de médiateur·rice culturel·le ?
Pour Justine Forest, médiatrice culturelle dans un centre d’art contemporain, c’est « un métier où l’échange et la discussion sont au cœur de nos activités ; la transmission d’idées et de savoirs venant autant du·de la médiateur·rice que du·de la visiteur·euse. La question de prendre soin est aussi très présente ; nous accompagnons les publics dans leur visite. Les médiateur·rice·s sont également dans le soin accordé au lieu, dans le sens où ce sont les personnes les plus présentes le temps des expositions – hormis le corps de surveillant·e·s ou agent·e·s de sécurité – et qui donc s’en occupent et le font vivre ».
Pour Thibault Brébant, chargé des publics à Passerelle Centre d’art contemporain à Brest, c’est une profession « qui se situe à la rencontre entre plusieurs métiers, plusieurs perspectives et plusieurs attentes. Le rôle principal c’est de créer du lien entre des personnes, des œuvres, des artistes et des institutions. Il s’agit de mettre en place les conditions idéales de rencontre, d’expérimentation et de diffusion ».
À cette définition qu’elle rejoint, Camille Guihard, chargée des publics à Passerelle Centre d’art contemporain, ajoute l’importance du lien avec le territoire. « Je perçois beaucoup mon travail comme un travail d’animation de réseau. Mon rôle c’est aussi de faire exister le centre d’art en dehors du réseau de professionnel·le·s de l’art et de créer du lien entre cette structure et d’autres univers professionnels ou associatifs sur le territoire. La question de l’accueil est également très importante. Il s’agit de faire en sorte que, qui qu’on soit, quel que soit notre bagage vis-à-vis de l’art contemporain, on puisse se sentir accueilli et bien dans le lieu. Ça passe par le lien humain, le langage, la posture, parfois des objets ou du mobilier ».
Notons ici que « la popularisation de l’expression « médiation culturelle » apparaît au milieu des années 1990 dans le cadre d’une politique visant le développement d’emplois-jeunes » (*) par le gouvernement de Lionel Jospin en 1997 (*). Par ailleurs, dans la Loi Musée 2002, article 7, est inscrit : « Chaque musée de France dispose d’un service ayant en charge les actions d’accueil des publics, de diffusion, d’animation et de médiation culturelles » (*). La place du·de la médiateur·rice dans l’organigramme d’un établissement culturel peut varier selon la taille de la structure ou encore le nombre de personnes affiliées à ces missions mais aussi leur statut : CDI, CDD, service civique, stage, etc. Les médiateur·rice·s culturel·le·s peuvent être regroupé·e·s dans un service des publics dit aussi pôle des publics et placés sous l’autorité d’un·e responsable (lui·elle-même placé·e sous l’autorité du·de la directeur·rice et/ou conservateur·rice du lieu culturel). De plus, il peut également exister une distinction entre les chargé·e·s de médiation dit aussi chargé·e·s des publics (scolaires ; du champ social, etc.) qui restent des médiateur·rice·s mais qui ont d’autres responsabilités et fonctions que les médiateur·rice·s culturel·le·s stricto sensu ; ces dernier·ère·s pouvant être placé·e·s sous l’autorité des premier·ère·s.
Enfin, distinguons le métier de médiateur·rice culturel·le de celui de guide-conférencier·ère. Ces professions ont certes en commun de créer du lien entre un édifice historique ou encore une œuvre d’art et des publics mais des différences existent. « En France, la profession de guide-conférencier est réglementée par l’article L. 221-1 du code du tourisme » (*) et les personnes qui l’exercent détiennent une carte professionnelle de guide-conférencier qui est par exemple attribuée aux titulaires de la licence professionnelle de guide-conférencier. Il s’agit d’une forme de reconnaissance mais aussi d’encadrement de la pratique dont ne bénéficie pas encore les médiateur·rice·s culturel·le·s. Actuellement, des initiatives comme BLA! se mobilisent. Cette « association nationale des professionnel·le·s de la médiation en art contemporain fédère et met en réseau les professionnel·le·s et structures qui construisent et développent au quotidien les liens entre artistes, œuvres, expositions et publics » (*). Les membres de BLA! ont publié une Charte des professionnel·le·s de la médiation en art contemporain qui « s’inscrit dans une dynamique nationale de reconnaissance et de structuration des pratiques de médiation » (*) en novembre 2022.
Rencontre avec des médiateur·rice·s
Faisons connaissance avec les personnes interviewées à travers leur formation et les raisons pour lesquelles il·elle·s se sont orienté·e·s vers la médiation culturelle. Thibault a réalisé un DNSEP (*) à l’École Supérieure d’Art et Design Le Havre-Rouen. Il a également été à l’École Supérieure des Arts de l’image Le Septantecinq à Bruxelles. Camille a quant à elle fait un cursus en Lettres Modernes et Sciences Sociales qu’elle a complété par un master professionnel en Gestion de projets culturels à Sciences Po Strasbourg. Ensuite, elle explique que : « C’est une série d’expériences qui a fait que je me suis progressivement tournée vers cet emploi. Ce n’était pas un métier que j’avais identifié et pour lequel je m’étais formée. J’étais intéressée par le milieu artistique, culturel mais je ne connaissais pas très bien les différents métiers au sein de ce champ-là. (…) Puis, je me suis rendu compte que les métiers liés avec le public, la médiation, recoupaient énormément de choses que j’apprécie et qui sont importantes pour moi : le relationnel, le contact direct avec les œuvres, l’artistique, la production de contenus, l’animation de projets et le côté social ».
De son côté Justine a une double licence en Histoire de l’art et Arts plastiques. Elle a également suivi un enseignement en scénographie (*). Suite à un stage en médiation culturelle, elle a choisi de s’orienter vers cette profession. Pour ce faire, elle a réalisé un master en Histoire de l’art, parcours Métiers et Arts de l’Exposition à Rennes 2 qui consiste, entre autres, en la réalisation d’une exposition ; projet dans lequel elle a intégré le pôle médiation. Justine s’est dirigée vers la médiation culturelle pour les raisons suivantes : « Pendant mon premier stage en médiation, j’étais un peu partie du constat que l’art contemporain ne coulait vraiment pas de source pour beaucoup de personnes. J’ai trouvé intéressant de me dire que je pouvais peut-être essayer de faire comprendre l’art contemporain, du moins certaines choses, et de participer à sa valorisation auprès de publics qui ne connaissent pas forcément ou alors qui sont très réticents. Puis, comme nous sommes au contact des gens, nous apprenons plein de choses auprès d’eux car ils peuvent avoir un regard totalement différent du nôtre. C’est aussi un métier où, constamment, nous continuons de faire des recherches et donc de s’intéresser à beaucoup de choses. Il y a une dynamique du renouvellement qui est assez passionnante ».
Pour ma part, j’ai suivi un parcours à l’Université Lumière – Lyon 2 comprenant une licence en Histoire de l’art et Archéologie spécialisée en Histoire de l’art puis un master en Histoire de l’art spécialisé en Arts et cultures visuels. Je me suis tournée vers la médiation culturelle avec l’envie de contribuer à rendre accessible la culture en sensibilisant les publics à la création contemporaine et en les amenant à vivre des expériences esthétiques.
Des compétences spécifiques pour des publics hétérogènes
Afin de comprendre ce secteur d’activité cet article présente, de manière non exhaustive, des actions de médiation réalisées par des médiateur·rice·s culturel·le·s ; ces propositions étant autant multiples que parfois méconnues et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il convient d’énoncer que les actions de médiation, c’est comme les jeux de société, destinées à des personnes de 6 mois à 99 ans et plus ! De fait, plusieurs compétences sont requises car nous nous adressons aussi bien à des enfants qu’à des adultes – parfois en situation de handicap – à des connaisseur·euse·s en art qu’à des néophytes. Selon Justine, un·e médiateur·rice doit en premier lieu « être capable de s’adapter aux différentes typologies de groupes mais aussi de s’adapter en face de chaque individu qui compose un groupe ; c’est parfois un peu sportif ! La patience est également importante pour transmettre des choses. Puis, il y a un aspect dont nous ne parlons pas beaucoup officiellement en médiation, c’est le fait de gérer un groupe. Il ne s’agit pas seulement de leur transmettre des éléments sur l’art, c’est aussi une gestion des comportements qui peuvent être positifs comme négatifs, parfois agressifs, donc la patience est au cœur du métier. D’ailleurs, il faut être passionné d’art parce que sinon c’est plus difficile de transmettre.
De plus, c’est un peu un métier de performance car nous sommes actifs intellectuellement et nous devons aussi être endurants au niveau physique car nous nous déplaçons beaucoup dans l’espace et nous restons debout. Nous ne sommes pas des acteur·rice·s de théâtre ou de cinéma mais nous sommes quand même capables de parler pendant 30 min, 1h, 1h30 voire beaucoup plus. En outre, nous modifions un peu notre comportement – même si nous sommes nous-mêmes en visite – pour que ce soit intéressant et pour qu’on puisse s’adapter aux types de publics qui ont des attentes, des caractéristiques et des individualités très différentes. Forcément, notre façon de parler est aussi très contrôlée, parfois non, mais il arrive que nous soyons dans un contrôle de ce que nous racontons et de comment nous le racontons pour qu’à tel moment, avec tel public, la transmission s’opère ». La problématique de savoir s’adapter est aussi la première compétence citée par Thibault à laquelle il ajoute celle d’être à l’écoute de son public. En effet, pour reprendre ses propos : « Souvent, nous avons l’image de quelqu’un qui parle mais, parfois, c’est aussi savoir laisser le silence et être à l’écoute d’un fil de réflexion/ d’un dialogue qui va émerger du ·de la visiteur·euse ». D’après Camille : « Il faut être disponible, parfois émotionnellement, pour la rencontre ; les moments que nous passons dans une exposition ne sont jamais pareils. Il faut être également accessible pour créer un moment convivial où les personnes vont pouvoir être à l’aise et poser des questions. L’aspect du relationnel est hyper important ».
Je complète cette liste de compétences par une aptitude utile pour concevoir des ateliers de pratique artistique mais aussi un livret-jeux en lien avec une exposition, c’est la créativité. Le fait d’avoir des idées innovantes, comme réfléchir à des outils de médiation numérique ou encore proposer des expériences sensorielles devant des œuvres, est un atout pour renouveler ses propositions auprès des publics accueillis.
Dispositifs de médiation au sein d’une structure culturelle
Commençons ce panorama en indiquant « [qu’]on intègre généralement dans la médiation culturelle les supports de visite (…) préparés par des médiateurs, mais qui ne requièrent pas leur présence physique : cartels (*) et panneaux explicatifs, programmes, applications sur supports informatiques, etc. Ce type de supports s’adresse à un public plus vaste et non limité, contrairement aux groupes assistant à une visite ou à un atelier » (*). La réalisation de ces outils par des médiateur·rice·s varie d’une structure culturelle à une autre ; les cartels d’œuvres pouvant par exemple être rédigés par le·la ou les commissaire(s) d’exposition.
Une mission très importante du·de la médiateur·rice consiste à faire découvrir, par exemple, une exposition temporaire en effectuant une visite commentée. Si cette action est directement visible du public car elle a lieu avec lui et en présence d’un·e médiateur·rice, la préparation nécessaire en amont lui est invisible. Succinctement, voici les étapes permettant de réaliser une trame de visite. Premièrement, il·elle effectue des recherches sur le thème de l’exposition et le·la ou les artiste(s) dont les œuvres seront exposées et si possible le·la ou les rencontre ainsi que le·la ou les commissaire(s) d’exposition. Le·la médiateur·rice peut également visiter des expositions où les travaux d’un·e artiste du futur évènement sont présentés. Ensuite, il·elle lit, écoute ou encore visionne les documents récoltés en prenant des notes et en identifiant les informations pertinentes par rapport aux œuvres qui seront montrées. Puis, à partir de cette matière, il·elle rédige des parcours organisés avec une introduction, un développement – comprenant une sélectionne d’œuvres devant lesquelles il·elle va s’arrêter avec ses groupes d’adultes ou encore de scolaires – et une conclusion. Enfin, le·la médiateur·rice apprend ces informations afin de les transmettre aux publics. Si dans certains établissements culturels, la personne compose ses parcours individuellement, il en est d’autres où cette élaboration est réalisée collectivement, par exemple lors de brainstorming, et d’autres où un contenu de visite déjà préparé est délivré à l’équipe de médiation avant l’ouverture de l’exposition. Justine m’a indiqué qu’en général elle alloue une semaine à cette tâche. Cependant, elle a complété sa réponse comme suit : « Nous n’avons pas forcément une semaine à consacrer à cette mission dans tous les lieux. Aussi, il y a quelque chose de très important dans notre métier c’est, qu’au final, nous n’arrêtons jamais de nous renseigner et d’approfondir autour de l’exposition, des œuvres et des artistes. Notre première visite et nos premiers échanges avec les publics ne ressemblent pas à ce que nous proposons en fin d’exposition. En effet, nous sommes sans cesse dans une démarche d’apprentissage autant de l’exposition que de comment le public la reçoit ». Par exemple, nous pouvons ajouter des informations en fonction de l’actualité d’un·e artiste : mentionner l’ouverture d’une autre exposition, la parution d’un ouvrage traitant de son travail ou encore sa nomination à un prix artistique.
À l’issue de ce temps de préparation, le·la médiateur·rice réalise par exemple des visites commentées auprès d’adultes – qu’il s’agisse d’un groupe constitué ou d’individuel·le·s formant un groupe – d’une durée moyenne d’une heure. Dans ces conditions, outre l’enjeu de rendre accessible son propos, il s’agit de continuer à capter l’attention de son auditoire même après 40 minutes. Pour ce faire, nous mettons tout en œuvre pour que nos visites soient dynamiques. Nous interagissons parfois avec le public en lui posant des questions, en favorisant le dialogue plutôt qu’en effectuant un monologue devant une œuvre et, pourquoi pas, en ajoutant des anecdotes sur la vie d’un·e artiste ou sur la manière dont il·elle a réalisé une de ses œuvres. Il est évident que nous répondons aux questions du public – dans la mesure de nos connaissances – et réagissons à ses remarques. Ainsi, aux compétences requises énoncées en amont de cet article, il convient d’ajouter « la capacité de dévier de sa trajectoire, de changer de sujet en fonction des réactions du public, d’opter pour un autre style ou un autre ton » (*) ; des aptitudes qui s’obtiennent progressivement. D’expérience, Justine procède comme suit : « Souvent, je découpe le temps de visite entre phase de découverte et phase d’échange. Par exemple, quand on rentre dans une salle, je laisse les visiteur·euse·s faire le tour, regarder par eux-mêmes. Ensuite, nous échangeons, je leur demande ce qu’il·elle·s en pensent. Ainsi, il·elle·s vont donner leurs points de vue et je vais pouvoir développer le dialogue en fonction. En partant de ces éléments, une partie de l’attention reste en place. Puis, j’apporte les notions qui n’auraient pas encore été mentionnées. Comme ce sont des choses auxquelles il·elle·s n’avaient pas pensé et qu’il·elle·s découvrent, il·elle·s restent attentif·ve·s ». Justine formule enfin un constat que je partage : « J’ai cette impression que plus tu es passionné, plus tu réussis à transmettre cet intérêt aux publics. » En résumé, « il est d’abord essentiel de se laisser accompagner par l’autre avant d’imposer un discours » (*).
Après avoir évoqué la visite commentée qui constitue la principale action de médiation destinée aux adultes en présence d’un·e médiateur·rice (*), observons les propositions qui s’adressent au jeune public. Chez ce dernier, deux catégories peuvent être identifiées : les enfants, de la maternelle au lycée, qui viennent sur le temps scolaire et ceux·elles qui viennent hors temps scolaire que ce soit en famille ou dans le cadre de sorties organisées par un centre de loisirs. Cette seconde catégorie comprend également les enfants âgés de 6 mois à 3 ans qui ne sont pas encore scolarisés.
Et oui, même s’il·elle·s ne savent pas encore lire, ni écrire, ni compter et qu’il·elle·s marchent parfois toujours à quatre pattes, les lieux culturels leurs ouvrent leur porte (*) ! En effet, d’après le ministère de la Culture : « La sensibilisation aux pratiques culturelles et artistiques – dès le plus jeune âge et avant même l’entrée à l’école maternelle, – favorise la curiosité, la construction et l’épanouissement de l’enfant » (*). Toujours d’après la même source, il est spécifié qu’à travers la politique d’éveil artistique, il en va de « la reconnaissance des droits culturels de la personne ».
Parmi les actions de médiation proposées aux bébés, nous retrouvons la visite commentée qui se déroule en présence d’outils/ de jeux d’éveils – pouvant être conçus par des artistes – et qui peut s’accompagner de micro-ateliers réalisés au sein même des espaces d’exposition. Pour ce très jeune public il existe également des ateliers spécifiques tel que nous le décrit Thibault Brébant qui en imagine à Passerelle Centre d’art contemporain : « Des temps de déambulation dans les expositions ont lieu où il n’y a pas forcément de commentaire, c’est selon la disponibilité des enfants et les envies des adultes. Ensuite, ce sont toujours des temps d’ateliers où le toucher est important. Par exemple, un atelier qui a très bien fonctionné consistait en la réalisation d’un mobile géant à partir de lames de bois d’environ trois/ quatre mètres de large, reliées par une corde à un crochet que l’on descendait du plafond. Dans l’espace d’atelier de Passerelle, les enfants accompagnés des assistantes maternelles découpaient des matières pour composer des petites sculptures/ boules à partir de la nature de ces matériaux. Nous avons fonctionné par étapes pour associer par exemple une texture manufacturée à des éléments collectés dans la nature comme du sable ou de la terre. Il s’agissait de s’inspirer des sensations tactiles des enfants pour faire des formes assez simples et ensuite les accrocher au mobile. Enfin, enfants et adultes se sont allongés au sol sur des tapis. Le mobile a été hissé jusqu’au plafond et actionné en le faisant tourner avec une petite corde. Nous avons passé quelques minutes comme ça, à observer les matériaux et les petites formes au contact de l’air ». En évoquant le très jeune public, Thibault n’a pas uniquement présenté un déroulé d’atelier, il a également ajouté l’idée selon laquelle : « Il y a une manière d’accueillir ces personnes. Dans le cadre de projets avec des assistantes maternelles nous sommes souvent accompagnés par des professionnel·le·s qui vont connaître les besoins de ces publics : un espace de change ou encore des espaces avec des tapis pour le repos par exemple. La clé de la réussite c’est qu’il·elle·s se sentent à l’aise, que ce soit fait au bon moment de la journée, plutôt dans la matinée et que ce soit concis ».
Abordons maintenant les actions de médiation destinées aux scolaires, de la maternelle au lycée, qui participent d’une démarche nommée l’Education Artistique et Culturelle (EAC) et encouragée par le ministère de la Culture. Les trois piliers définissant l’EAC sont les suivants : « la rencontre des œuvres, des artistes et professionnels de la culture » (*), « la pratique culturelle ou artistique » et « l’acquisition de connaissances ». Parmi ces actions nous retrouvons la visite commentée d’une exposition. D’après Justine Forest, « L’enjeu avec un public scolaire c’est d’entamer un premier contact avec l’art contemporain, un premier lien, surtout avec des classes de maternelle, d’élémentaire et même de collège. Puis, avec les lycéen·ne·s, ça dépend du groupe ; je leur demande toujours s’il·elle·s sont déjà venu·e·s dans le lieu ou s’il·elle·s ont déjà vu des expositions d’art contemporain. En fonction des réponses, j’effectue soit une découverte, soit un approfondissement. Dans un centre d’art contemporain, comme c’est très rythmé par des expositions de trois ou quatre mois, nous n’avons pas de notions que nous développons à chaque fois. Nous faisons par rapport à l’artiste ou aux artistes qui est/ sont exposé(s) au moment de la venue de ces groupes scolaires ».
À présent, voici la vision de Camille Guihard : « Pour moi, quand des élèves viennent visiter une exposition c’est avant tout un moment de découverte où il·elle·s vont pouvoir vivre une expérience qu’il·elle·s ont probablement peu l’habitude de vivre : visiter une exposition d’art contemporain. Mon objectif premier c’est d’accompagner au mieux ce temps- là, qu’il·elle·s puissent exprimer leur curiosité et qu’il·elle·s se sentent autorisé·e·s à poser toutes les questions qu’il·elle·s veulent. Je pense qu’il y a plein de façons d’aborder une exposition ou une œuvre d’art. Avec les jeunes je privilégie une approche sensible. Mes objectifs sont : les initier au plaisir de regarder, d’analyser, de prendre son temps, de trouver son rythme dans une exposition mais aussi les initier à l’envie de faire le lien entre ce qu’il·elle·s voient et des sensations/ émotions plus personnelles et à l’envie de partager avec d’autres ce qu’il·elle·s ont vécu dans une exposition. Avec les plus jeunes, ça passe par des jeux d’observations car j’essaie de les initier au plaisir de l’enquête. Une œuvre, c’est un objet ouvert et quand on est visiteur·euse on analyse des signes et on les recompose pour recréer du sens. C’est un travail qu’on apprend à faire au long cours et c’est vraiment ce que j’essaie de transmettre : regarder les couleurs, les textures, les matériaux et dire à quoi ça nous fait penser. Pour moi, c’est beaucoup plus important que, par exemple, le fait qu’il·elle·s retiennent la biographie de l’artiste parce que ce travail, ce sont des choses qu’il·elle·s vont pouvoir garder et réutiliser face à n’importe quelle œuvre d’art : film, livre, œuvre plastique, etc. ».
Dans le cadre de l’accueil d’élèves, notamment ceux étant à l’école primaire, la visite commentée peut être suivie ou précédée d’un atelier de pratique artistique. Pour Justine, « C’est très important car c’est un prolongement de la visite et, en même temps, un temps à part entière. Ça permet un peu de se mettre à la place de l’artiste et de se rendre compte de comment on peut arriver au résultat de l’artiste dans l’exposition. Expérimenter la matière, ce sont des gestes et puis, surtout, c’est développer une forme de créativité chez l’enfant ou l’adolescent·e ; une créativité qui est guidée par nous. En effet, nous mettons à disposition du matériel, nous donnons quelques consignes et c’est toujours un temps d’échange où les élèves ne sont jamais seuls. Nous venons les voir pour leur demander ce qu’il·elle·s font, ce qu’il·elles ont envie de faire et nous les accompagnons dans cette démarche ».
Au sujet des ateliers, Camille s’est exprimée comme suit : « Les enfants aiment faire, ils ont besoin d’être actifs et puis, en faisant on comprend aussi beaucoup de choses et notamment on peut toucher et expérimenter les matériaux dont nous avons parlé en visite. Il y a une notion de plaisir aussi. D’une part, c’est important pour la compréhension par la pratique, par les sens et par le faire et d’autre part, je pense que malheureusement dans notre système d’enseignement scolaire classique on abandonne très vite les pratiques expressives. (…) Tester par soi-même des choses ou des processus créatifs ça permet de se rendre compte du travail qu’il y a derrière un projet artistique. Je trouve que c’est intéressant de donner aux enfants l’opportunité de traverser des processus artistiques, de voir ce que ça fait de partir d’une idée, de ne pas savoir où ça va et sans forcément avoir de critères précis pour juger le résultat. Enfin, je n’ai pas du tout d’enjeux de transmission de technique ou d’expertise – ça ne m’intéresse pas qu’il·elle·s deviennent forts en dessin –, ça m’intéresse qu’il·elle·s osent s’exprimer et qu’il·elle·s explorent des sujets ou des questions par la pratique plastique ».
J’ajoute à ces réponses l’idée qu’à travers la création réalisée par un enfant ou un·e adolescent·e, nous essayons de créer un lien avec sa famille. L’élève, en racontant sa visite d’une exposition et/ou en rapportant une production à son domicile, fait découvrir ou redécouvrir une structure culturelle à ses parents ou encore à ses grands-parents. Ainsi, il·elle peut leur donner envie d’aller visiter ce lieu et, pourquoi pas, de participer à un atelier de pratique artistique en famille !
Atelier de pratique artistique conçu par Camille Guihard et destiné à des maternelles et des élémentaires dans le cadre de l’exposition « Le Festin » de Caroline Mesquita du 16 octobre 2020 au 16 janvier 2021 à Passerelle Centre d’art contemporain à Brest © C. Guihard
Des actions de médiation hors les murs
Il est des situations dans lesquelles une personne ne peut se rendre dans une structure culturelle. Pour pallier cette problématique, « nombre d’actions commencent à être mises en place auprès de publics considérés comme extérieurs à toute pratique culturelle en raison de leur exclusion sociale, due soit à leur fragilité économique (…), soit à des contraintes physiques (handicaps, vieillesse et maladie) ou judiciaires (…). C’est notamment dans ce cadre que de multiples manifestations peuvent être organisées dans les hôpitaux, les maisons de retraite ou les prisons » (*). Il s’agit d’actions de médiation dites « hors les murs » visant à garantir à chacune de ces personnes dites « empêchées » un accès à une offre culturelle en la lui apportant. De fait, ce ne sont pas elles qui se déplacent mais le·la médiateur·rice qui travaille hors du lieu auquel il·elle est rattaché·e. Pour ce faire, il existe par exemple le programme « Culture – Justice » (*), destiné à des mineur·e·s mais aussi à des majeur·e·s incarcéré·e·s, soutenu par le ministère de la Culture et les Directions Régionales des Affaires Culturelles (DRAC) qui consiste en l’intervention d’un·e artiste accompagné·e d’un·e médiateur·rice culturel·le dans un établissement pénitentiaire. Camille nous présente ce dispositif auquel elle prend part, via Passerelle Centre d’art contemporain, et en partenariat avec la Ligue de l’Enseignement du Finistère, la Protection Judiciaire de la Jeunesse, le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation et la Maison d’arrêt de Brest : « Il y a plusieurs façons de mettre en place ce projet, nous on est sur des formats d’action qui durent environ une semaine. L’artiste va proposer un atelier de plusieurs jours, tiré de sa pratique, à un public incarcéré. L’objectif principal c’est l’accès à l’art et à une pratique artistique. L’idée sous-jacente c’est que ce n’est pas parce qu’on est incarcéré qu’on doit être privé d’un accès à l’art. Il s’agit de continuer à proposer une offre culturelle en maison d’arrêt. Puis, ça rejoint l’idée d’initier aux arts plastiques, de permettre à des personnes de rencontrer un·e artiste professionnel·le, de s’engager dans un processus créatif et de tester cette façon de travailler. La question principale reste celle des droits culturels, de pouvoir exercer son droit à avoir accès à des propositions artistiques quelle que soit sa situation. Ces personnes-là ne peuvent pas venir au centre d’art. » Dans cette présentation, Camille fait référence à l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent » (*).
D’autres actions de médiation peuvent se dérouler « hors les murs », notamment à destination des établissements scolaires dans le cadre de l’Éducation Artistique et Culturelle ; un dispositif déjà évoqué dans cet article. En région Bretagne, Thibault nous présente « La résidence d’artiste en milieu scolaire » (*) qui engage un établissement scolaire, un·e ou plusieurs artiste(s) et une structure culturelle. Pour reprendre ses propos : « Le lieu culturel s’occupe de concevoir et suivre le projet avec l’artiste qui est garant lui aussi de sa bonne mise en œuvre. L’établissement scolaire doit quant à lui pouvoir mettre à disposition un espace de travail pour l’artiste ». Il s’agit de « permettre à un·e artiste de passer un moment dans un établissement du territoire » mais aussi de « concevoir un projet qui engage des élèves ». En résumé, une partie du temps est dédiée à la rencontre entre un·e ou des artiste(s) et des élèves et l’autre partie est censée permettre à l’artiste de continuer sa recherche. Concrètement, les élèves bénéficient de « séances en classe de présentation du travail du ou des artiste(s), de séances de pratique artistique et quand les structures culturelles comme Passerelle sont des lieux d’exposition, les participant·e·s sont invité·e·s à venir les découvrir ». Enfin Thibault ajoute que : « La résidence d’artiste en milieu scolaire ça peut prendre plein de formes et être dans des médiums très différents. La plupart du temps, il y a une exposition de restitution qui peut être soit dans la structure culturelle soit dans l’établissement scolaire ».
Interventions auprès d’une classe de CM2 d’une école de Brest dans le cadre d’un projet d’exposition d’œuvres de l’artothèque du musée des Beaux-Arts de Brest dans leur établissement scolaire. Projet conçu et mis en œuvre par Thibault Brébant et Emma Margiotta en collaboration avec l’enseignante et la responsable de l’artothèque © T. Brébant
La médiation : au-delà de la simple transmission de savoir
Pour conclure, je partirai de cette remarque formulée par Camille Guihard : « Ce qui est intéressant dans ces projets, c’est de voir que notre travail ne se résume pas du tout à la transmission du propos d’une exposition, c’est beaucoup plus large » (*). En effet, la réalisation de visite commentée en étant l’activité la plus visible de notre profession peut être comparée à la partie émergée d’un iceberg ! Être médiateur·rice culturel·le c’est parvenir à communiquer des connaissances – oralement, lors de visites et/ou en incitant à la pratique, lors d’ateliers – mais pas uniquement. Parfois, il s’agit autant, sinon davantage, de faire naître une rencontre entre des publics et des formes de création et de permettre la naissance d’une expérience esthétique, que de délivrer des informations relatives à un·e artiste et à son travail.
Cet article rend visible d’autres réalités intrinsèques à cette profession comme sa dimension sociale. Aller à la rencontre de son public en nouant des partenariats avec des établissements de santé ou encore pénitentiaires dans la perspective de garantir les droits culturels de chacun·e, en est un exemple. Par l’intermédiaire d’un objet culturel, permettre à des individu·e·s de développer leur esprit critique, leur curiosité, de gagner en confiance mais aussi, de faire un pas de côté par rapport à leur quotidien, en est un autre. Actuellement, des dispositifs existent afin de rendre visible les projets hors les murs à l’intérieur des structures culturelles. D’une part, ils sensibilisent les publics des expositions à ces actions de médiation et d’autre part, ils permettent aux participant·e·s de présenter leurs travaux. À Passerelle Centre d’art contemporain, Camille et Thibault organisent, dans un espace nommé La Fenêtre – à juste titre, car il est visible depuis l’extérieur -, des restitutions de projets culturels réalisés avec des élèves ou encore avec des détenu·e·s. Indirectement, ce type de dispositif contribue à une meilleure connaissance des missions et actions des médiateur·rice·s.