Elfi Exertier
« Confondre l’œuvre avec le lieu »
© E. Exertier
Les œuvres de l’artiste Elfi Exertier, constituées d’objets du quotidien, questionnent l’absence, la disparition et le souvenir à travers les processus de détournement, d’appropriation et de résonnance avec les espaces, les décors ou les objets présents dans le lieu où elle expose jusqu’à « confondre l’œuvre avec le lieu ». La participation de l’artiste à l’exposition collective « Histoires de choses » au château d’Alba-la-Romaine au printemps 2023 est l’occasion pour Emma Margiotta d’interviewer à nouveau Elfi Exertier sur sa démarche et également d’approfondir les relations entre l’art contemporain et les châteaux abordées dans son mémoire de master en Histoire de l’art Exposer dans le patrimoine castral : un défi pour la création contemporaine (*).
Auteure :
Emma Margiotta
Le parcours d’Elfi Exertier
« Mon processus de création s’adapte à ce château particulièrement » (*)
« J’aime aller vers des lieux d’exposition différents, qui n’ont pas forcément des murs blancs et des sols gris » (*) tels ont été les mots d’Elfi Exertier lorsque je l’ai interviewé en 2020. En effet, selon elle, ses installations constituées d’objets du quotidien, utilitaires, qui interrogent « le toucher et les choses à manipuler » peuvent, dans ces édifices – au-delà des interrogations de l’objet utile devenant objet d’art – faire se « confondre l’œuvre avec le lieu » c’est-à-dire les œuvres face aux autres objets d’art et de vie encore présents dans ces monuments. L’artiste explique sa démarche comme suit : « J’adore faire des pièces in situ. Si on me laisse dans un endroit, je peux utiliser le lieu comme ce château d’Alba parce que je le trouve un peu « punk » ! J’aime les endroits un peu délabrés, un peu à l’abandon où on aimerait tout ranger, tout nettoyer et faire des travaux pour améliorer des choses. Pour moi, c’est assez inspirant d’être dans cet endroit-là particulièrement. Le château d’Alba m’inspire. Il y a des vieux objets déchirés. D’ailleurs, c’est grâce aux déchirures des abat-jour que j’ai pu laisser passer mes lampes pour l’œuvre Réfléchi datée de 2023. J’aime toutes ces choses cassées et usées qui font partie de mon univers » (*). Plus largement, questionnée au sujet de son point de vue quant à l’exposition d’œuvres contemporaines dans des édifices historiques, Elfi Exertier pense que « ça fait revivre les espaces du patrimoine et permet au public pas du tout « branché » par l’art contemporain d’aller en voir » (*). De plus, elle ajoute que l’art contemporain n’est pas réservé au white cube même si elle conçoit qu’il peut falloir une page blanche pour faire naître une création cela n’induit pas obligatoirement, pour elle, que la réalisation soit montrée dans un lieu comme tel. Une œuvre peut exister ailleurs. Enfin, elle explique que si le public averti des lieux d’art permet de faire avancer un travail artistique celui, non-initié, de ces autres lieux d’exposition peut, lui aussi, apporter aux réflexions des artistes.
Des œuvres entre présence et absence
Elfi Exertier m’a fait remarquer que dans le lit de la chambre de Marie-Antoinette, il n’y a qu’un oreiller. Si elle ignore pourquoi, elle a constaté qu’il était au centre alors que le lit est grand, qu’il est sans doute deux places. « Il y a souvent cette histoire dans les couples, de celui qui part et de celui qui reste sur les lieux, qui repense aux souvenirs présents dans les pièces. (…) Volontairement, j’ai déplacé l’oreiller sur un côté et j’ai mis deux écritures pour créer un décalage, un anachronisme. Ainsi, nous avons un oreiller dans le lit mais deux lampes et deux fois projetés « Réfléchi » à l’envers à deux endroits différents sur la tête de lit » (*). Cette écriture est évanescente car – en plus d’être induite par la lumière artificielle des lampes allumées qui réfléchissent l’écriture à la surface du miroir – elle dépend aussi de la lumière naturelle. Cette dernière peut en quelque sorte faire disparaître les écritures sur la tête de lit. De fait, « Tout le monde ne pourra pas voir cette œuvre et j’aime cet aspect-là, le fait qu’on ne voit pas tous la même chose. Ce sont des choses in situ et qui, dans le cas présent, fonctionnent avec la lumière comme matériau donc s’il y a le parasite du soleil, ça ne fonctionne pas. Ainsi, nous n’avons pas tous la même temporalité, le même point de vue. Pour moi ce n’est pas grave de ne pas voir les mêmes choses ; l’idée est là. Cette œuvre, c’est vraiment la réflexion dans le miroir confondue avec la réflexion – le fait de penser et de repenser – à d’autres choses du passé. » En définitive, à qui s’adresse Réfléchi ? Aux fantômes de celle qui a autrefois occupé cette chambre ? Aux visiteurs que nous sommes et qui auront peut-être envie de s’asseoir sur la chaise faisant face au miroir de la coiffeuse afin de réfléchir à ce mot même qui leur fait face ? Le vertige de l’introspection est saisissant.
Elfi Exertier, Objets cachés, Banquet, 2017, installation, objets, tissus, dimensions variables, château d’Alba-la-Romaine © M. Chabanis, archives photographiques du château d’Alba-la-Romaine
L’appropriation des œuvres par le public
Un travail autour et à partir d’objets
Elfi Exertier, Objets trésors, 2015, techniques mixtes, dimensions variables, château de Verchaüs © E. Exertier
Elfi Exertier, Équilibre précieux, 2023, bocaux, papier, dimensions variables, château d’Alba-la-Romaine © E. Margiotta
Trouver l’équilibre
Réfléchi mais aussi Équilibre précieux et Ré-activation Banquet 2017 – trois œuvres datées de 2023 – ont, selon moi, pour point commun de se situer davantage entre présence et absence que les précédentes réalisations de cette artiste. Elfi Exertier nous livre des éléments de réponse : « Effectivement, je pense que c’est la thématique de l’absence que je voulais mettre en avant. Je m’intéresse à l’absence des objets mais, en même temps, est-ce que ça ne révèle pas aussi l’usage et les relations entre les personnes ? Est-ce que ça ne réveille pas aussi l’imagination ? J’aime bien les objets désuets. Quand je vais dans des endroits comme les ressourceries ou les vide greniers et que j’arrive devant un objet dont je ne connais pas l’usage, c’est à la fois une découverte et des interrogations : « comment est-ce que je peux utiliser cette chose dont je ne sais pas à quoi elle sert ? », « est-ce que je trouve ça beau ? » et « quel est son usage ? » À propos de cette dernière question, ça peut être un usage que l’on a remplacé ou un usage qui a complètement disparu. Par ailleurs, quand nous récupérons des objets de famille que nous utilisions enfant chez nos grands-parents ou qu’ils utilisaient, ça résonne car ça nous rappelle des moments qui sont dépassés. Ces objets-là véhiculent beaucoup de choses. Je suis peut-être également dans cet aspect-là de l’appropriation de l’objet à travers le souvenir » (*). Progressivement, en contemplant ces travaux récents, la notion de présence refait ainsi surface. Elle se situe à la fois dans la réminiscence d’un moment convivial devant Ré-activation Banquet 2017 mais aussi devant Équilibre précieux où nous nous remémorons l’enfant que nous avons peut-être été, celui qui remplissait de billes ou encore de bonbons des bocaux. Enfin, Elfi Exertier a conclu que les discussions avec Philippe Tancelin avaient nourri ses réflexions autour « de l’absence, des matériaux immatériels (la lumière, les ombres et la poussière), du vide et de l’équilibre. Ce sont des nouvelles problématiques alors qu’auparavant, j’étais davantage sur des notions de temporalités – la poussière et l’absence en faisaient aussi partie – mais pas l’équilibre par exemple. Équilibre précieux est peut-être l’œuvre qui marque le tournant et c’est peut-être pour cette raison que je n’étais pas très à l’aise car je n’ai pas pu la monter suffisamment haute pour que cette tour de bocaux vides m’impressionne. Maintenant, c’est peut-être dans ces zones d’inconfort qu’il faut que je creuse » (*).