
Photographie © R C
Aborder le patrimoine dans une petite commune, concilier environnement, bâti ancien et réhabilitation, adapter le patrimoine à de nouveaux usages, tout en mettant en place une démarche participative avec les habitants, tels ont été les enjeux du maire et de ses adjoints depuis 2020. Dans cet article, Stéphane Galdemas, maire à cette époque, relate la démarche singulière de concertation des habitants, présente les réalisations ingénieuses qui ont été possibles grâce à son expérience d’ingénieur-architecte et sa ténacité.
Auteur :
Stéphane Galdemas
SOMMAIRE
- Une commune typique d’une mutation du monde rural
- La dégradation de la rivière Malle : une prise de conscience
- Une approche du patrimoine à la mesure de la commune
- Une démarche de consultation des habitants pour des choix stratégiques
- Un chemin semé d’embuches
- Rochebaudin conserve son décor
En 2019 une station d’épuration est construite en bord de Rimandoule. Avec ses roseaux elle s’intègre bien au paysage, ce n’est pas le cas des tuyaux qui l’alimentent. Le vallon de la Malle, qui traverse le village, est défiguré, fini le charme bucolique immortalisé par des gravures du XIXe siècle et des photographies du XXe siècle ! (ill. 1, 2).
Une commune typique d’une mutation du monde rural
Cela se passe à Rochebaudin, petite commune de 115 habitants de la Drome méridionale (ill. 3).
Il n’y a plus qu’une exploitation agricole à Rochebaudin, cependant 40% des habitants sont toujours en activité. Les rochebaudinois sont d’origines sociales et de milieux culturels extrêmement variés, avec de grandes différences de revenus, 30 % vivent seuls, 30% y sont installés depuis moins de 10 ans et on y compte 30 % de résidences secondaires. On vient ou on reste sans doute pour ce paysage sublime, de 300 à 1000 mètres d’altitude, ces grandes falaises calcaires au bas du village et le sauvage vallon de la Malle qui le traverse, des bois, une belle plaine, une multitude de ravines, des lavandes, des orchidées. Surtout aussi pour la tranquillité.
La mairie est ouverte une demi-journée par semaine, elle est très peu fréquentée, les relations avec les administrations ou les usagers, se faisant désormais par téléphone ou internet, c’est depuis leur domicile que le maire ou les adjoints administrent la commune. Des obsèques se tiennent tous les quatre ou cinq ans dans l’église du village, l’église Saint-Roch. Plus bas, dans la plaine, la Chapelle de Sénisse accueille une messe chaque année, le 15 août, et une fois tous les deux ans an un mariage très champêtre concernant souvent des résidents secondaires ou leurs amis. Une petite vie sociale peut se développer, fête votive et son concours de pétanque, petits spectacles ou expositions, parties de cartes … évoquant une image fantasmée de la ruralité où tous se connaîtraient et sauraient vivre en harmonie. Mais cette vie sociale est très fragile, elle dépend de la bonne volonté de quelques personnes, et il est plus probable que les natifs cultivent un imaginaire tandis que de nombreux nouveaux arrivants cherchent un ancrage local qu’ils n’ont pas trouvé dans leurs activités professionnelles nationales ou internationales. Au quotidien, les contacts demeurent limités, Rochebaudin n’est pas à l’écart des rapports sociaux, parfois violents, qui ont toujours traversé nos sociétés./p>
La dégradation de la rivière Malle : une prise de conscience
A la vue affligeante des tuyaux dans la Malle (ill. 4), une trentaine de personnes se réunissent et prennent conscience qu’il va être très difficile de réparer les dégâts. C’est le Département qui a suivi les travaux et qui les a majoritairement financés. Les habitants n’ont certainement pas été assez informés des décisions qui ont conduit à ce désastre, aussi la nouvelle municipalité, élue quelques mois plus tard, s’est engagée à trouver une solution en impliquant au maximum les citoyens. Le nouveau maire, c’est moi, on est venu me chercher, il n’y avait pas d’autres candidats et mon expérience d’architecte/ingénieur au sein des services du Département pouvait être bien utile. Avec les trois adjoints au maire, nous avons formé une équipe qui s’est avérée assez solide pour mener ce projet.
Premier constat, la commune n’a pas les moyens financiers de refaire les tuyaux dans le vallon, mais en plus, avec une capacité d’auto-financement de 10 à 12000 € par an, elle ne dispose même plus des moyens d’entretenir l’ensemble de son patrimoine. Ce patrimoine est constitué de quelques kilomètres de voirie, de trois ponts et d’une passerelle, de deux églises en fonction, d’une église abandonnée dite « le porte-cloche », d’un bâtiment communal mairie-école-appartement de l’instituteur, de deux lavoirs, le tout dans un assez mauvais état. Il faut impérativement trouver des usages qui valoriseront ce patrimoine. Le Département porte une responsabilité sur le massacre du Vallon, il est aussi le principal financeur des petites communes. Mes anciens collègues du Département ont du mal à reconnaître leur « raté » à Rochebaudin, mais finalement, après beaucoup d’insistances, les Conseillers Départementaux surmontent les réticences de leurs services et débloquent des crédits pour revoir le réseau d’assainissement et financer une étude globale sur le patrimoine.
Comment s’y prendre pour que les citoyens s’emparent de cette étude en restant attentifs aux possibilités de la commune ? Il faut expertiser. Une historienne, un paysagiste, un architecte/urbaniste et un bureau d’étude VRD sont recrutés. Il faut identifier et mesurer l’intérêt des éléments du patrimoine, leur valeur historique et architecturale, l’affection que leur portent les rochebaudinois, leur trouver un usage, et chiffrer les coûts, notamment d’entretien. Il y aura une visite partagée du village (ill. 5), des ateliers collaboratifs, des groupes de travail, des commissions, des réunions publiques, des conseils municipaux. A chaque fois entre 20 et 30 personnes seront présentes. Au total, une cinquantaine d’habitants auront participé. Des comptes-rendus seront établis ainsi que 3 documents : le diagnostic, l’analyse et la stratégie. Parallèlement, des expositions (ill. 6), rencontres, concerts permettent de se rendre compte des qualités et des possibilités de reconversion qu’offre le patrimoine communal. Ce travail a demandé beaucoup d’énergie mais a été passionnant, il y a eu relativement peu d’interventions hors sujet, mais il aura fallu souvent recentrer les débats, bien identifier les problématiques, dégager des consensus.
Une approche du patrimoine à la mesure de la commune
Les rochebaudinois ont privilégié les solutions les plus simples.
Le village est remarquable, il peut être mis en valeur, mais pas question de faire monter le prix de l’immobilier, ni de voir défiler des cohortes de touristes. Plutôt que de gros aménagements, envisageons plutôt des guides-conférenciers qui accompagnent de petits groupes de visiteurs motivés, pour des découvertes de l’histoire locale ou des variétés rares d’orchidées.
La seule place publique du village n’est pas totalement fermée, seuls les bâtiments publics ont été réalisés, aucune construction privée n’est venue achever cet espace qui de fait reste ouvert sur les fameuses falaises et une truffière. Ce n’est pas grave, d’ailleurs cette situation facilite la lecture historique des phases de construction du village et reflète justement la particularité de la commune. Mais il faut absolument protéger la vue sur ces falaises et quelques mouvements de terre symboliseront un théâtre de verdure qui maintiendra la vue depuis la place, on peut même y laisser les poubelles situées en contre-bas en mettant des haies.
On ne casse pas tous les tuyaux dans le vallon de la Malle mais on agit par de petites interventions, en enterrant certains tronçons, en passant sous le lit du ruisseau, en construisant des murs de camouflage en pierre ou des terrasses plantées (ill. 7, 8).
Certes, il faut revoir les voiries, mais on prendra le temps, une charte est validée qui devra être respectée chaque fois que l’on refera une rue.
Pour le Porte-cloche (ill. 9), un appel à projet est lancé pour lui trouver des propositions d’usage. Personne n’y répond, il gardera donc sa fonction de simple décor emblématique de la commune, son coût de conservation étant assez limité comme celui de la Chapelle de Sénisse, inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques, qui doit garder son usage religieux.
Reste l’église du village et le bâtiment communal (ancienne école) (10), les plus grands et les plus coûteux à entretenir. Rapidement l’idée de faire de nouveaux logements apparaît comme la solution la plus adaptée, les loyers apporteront des ressources, quatre ou cinq habitants de plus ne bouleversant pas la vie de la commune. Le plus simple est de s’adresser à des bailleurs. Drôme Aménagement Habitat (DAH) est intéressé et met tout de suite à disposition un architecte, Stéphane Négro, qui se chargera de toute l’opération.
Plusieurs solutions sont envisagées, des logements dans l’église ou dans le bâtiment communal ? La salle communale dans l’église ? Une nouvelle petite mairie sur la place ?
La solution la plus simple est de laisser la mairie là où elle est, de transformer l’église en salle communale et l’ancienne salle communale et ses annexes en logements. Au final tout sera neuf, quatre logements, la mairie, la salle communale et, par bail, DAH se charge de l’entretien des logements et de la mairie pendant 50 ans.
Une démarche de consultation des habitants pour des choix stratégiques
Ce programme est proposé à la population sous forme de questions posées par internet. 70 % des rochebaudinois répondront, 90 % de ceux-ci approuveront. Unanimement ils demanderont que l’aspect extérieur des bâtiments soit le moins modifié possible. Aucune modification ne sera apportée au bâtiment mairie, d’ailleurs, le contrat avec DAH précise même que les murs de la cour de la mairie continueront à servir de panneaux électoraux même si cette cour devient le parking des logements. Pour l’ancienne église, devenant « Espace Saint-Roch », seule une nouvelle porte de secours modifiera l’aspect extérieur. A l’intérieur, rien ne changera, d’imposantes tentures à l’italienne à l’entrée du chœur et des chapelles latérales permettront d’améliorer l’acoustique en mettant en valeur un espace par ailleurs plutôt commun (ill. 11, 12).
Un chemin semé d’embuches
La mise au point de ce programme a duré un an. Il faudra une autre année pour obtenir les financements et les autorisations. Le montage est assez complexe. C’est D.A.H. qui doit être maître d’ouvrage des logements pour obtenir les financements d’État, c’est la commune qui doit être maître d’ouvrage des travaux de transformation de l’église pour obtenir les financements du Département et de la Région, et il serait plus efficace qu’il n’y ait qu’un seul chantier pour tous les travaux, pour mieux gérer les déménagements et obtenir de meilleurs prix. Un bail emphytéotique de 50 ans est donc signé avec DAH pour les logements et la partie mairie, un contrat de maîtrise d’œuvre déléguée est signé avec DAH pour la transformation de l’église, le même architecte, Stéphane Négro se chargeant de la maîtrise d’œuvre de l’ensemble qui fera l’objet d’un seul appel d’offres. Pour les travaux du Vallon de la Malle, la mairie en fait son affaire et de fait je me chargerai personnellement du lancement et du suivi des travaux.
Restant fidèle aux engagements pris par la municipalité, je décide avec les adjoints de consulter la population sur tous ces contrats. Le consentement sera obtenu de justesse, les questions étaient assez complexes, notamment expliquer qu’une commune ne peut pas bénéficier des mêmes financements qu’un organisme HLM pour du logement social …
D’ailleurs, D.A.H. obtient ses financements, principalement de l’État pour les 700.000 € Hors Taxes nécessaires pour les logements, et la commune reçoit 70 % de subvention du Département et 10 % de la Région pour les 300.00 € dont elle a besoin.
Les services de l’État poseront des problèmes. Ainsi, pour acter la désacralisation de l’église du village, la préfecture demande que la DRAC se prononce sur son intérêt architectural comme si la tenue d’un office religieux était garante d’une valeur patrimoniale. La DDT pense voir sur des plans des marches pourtant inexistantes dans une église de plein pied et la considère non accessible aux handicapés. La même DDT qui avait laissé poser des tuyaux dans la Malle sans autorisation a pris 6 mois à autoriser leur modification, tout en ayant un doute sur le fait que ce ruisseau ressorte de sa responsabilité.
Toutes les autorisations seront finalement obtenues, y compris l’accord de l’Evêque de Valence pour la désacralisation de l’église. Il comprenait bien que notre petite commune ne pouvait pas assurer l’entretien de deux églises, et la désacralisation permettant la construction de logement sociaux, il a rapidement délivré le « décret d’éxécration ». Cependant, à la suite de la cérémonie de désacralisation, c’est la commune avec l’aide de la représentante locale de la paroisse qui a pris en charge l’enlèvement des différents mobiliers : statues, autels, vêtements, chaire, bénitier, harmonium, etc. Un vide église a été organisé sur la base d’un catalogue qui permettra aussi de conserver la trace de ces mobiliers. Assez peu de rochebaudinois se porteront acquéreurs et il faudra faire appel à des personnes extérieures ou des tailleurs de pierres. Une petite recette a été collectée, qui remise à la paroisse, a permis l’acquisition d’un nouvel autel à la Chapelle de Sénisse.
Rochebaudin conserve son décor
Les travaux sont terminés (13).
Les réactions des habitants, pour le nouvel aspect du vallon de la Malle ou de l’église sont très positives. Le vallon a retrouvé son image ancestrale et l’aspect du village n’a pas changé. Quand on passe devant le bâtiment communal, on voit toujours la mairie-école de 1892, rien ne laissant deviner que ce sont des logements sociaux. L’intérieur de l’église n’a jamais été si monumental, c’est désormais la nouvelle salle communale, grandiose pour une si petite commune, avec une belle acoustique. Mais un vieux rochebaudinois a dit que jamais il n’irait voter dans une salle avec une croix dessus, car à l’extérieur, l’église n’a pas changé, identique depuis 1893.
Si les rochebaudinois ont été très réactifs pour participer aux décisions, ils ne se pressent pas aux concerts, spectacles ou animations que la municipalité a organisé pour marquer l’ouverture du nouvel « Espace Saint-Roch ». Mais après tout nous n’avons jamais demandé aux rochebaudinois s’ils voulaient une salle de spectacles, nous les avons questionnés sur ce qu’il fallait faire pour que la commune puisse conserver son patrimoine. Et sur ce point, c’est bon. Cette opération va permettre à la commune de pouvoir « boucler » sans problème son budget pendant un demi-siècle (si les communes existent encore).
Tout est resté conforme à l’image d’Épinal de la ruralité, on est rassuré, on n’est pas obligé d’aller au spectacle, on peut rentrer chez soi.
D’ailleurs, moi aussi je rentre chez moi. Depuis 5 ans, comme beaucoup de mes collègues maires, je suis régulièrement agressé, humilié. C’est l’objectif de mener à terme cette opération qui m’a fait « tenir ». Dès que l’opération s’est terminée, j’ai démissionné même s’il ne restait que 9 mois avant les prochaines élections municipales.














