Implantée à Valence depuis 1986, art3 est une association qui s’est engagée fortement auprès des artistes à l’échelle européenne et internationale (Allemagne, Espagne, Italie, Canada) en soutenant leur production à travers des résidences, des expositions, des éditions…
Elle joue un rôle actif auprès des artistes de la région Auvergne-Rhône-Alpes et fait partie des lieux de résidences répertoriés dans le guide des « 223 Résidences d’arts visuels en France » édité par le Centre national des Arts Plastiques. La directrice d’art3, Sylvie Vojik, précise ici sa conception des résidences et son approche de l’art.

Q+E : art3 met en œuvre plusieurs résidences à Valence et à l’étranger qui font son identité et son originalité dans le contexte artistique actuel. L’objectif d’art3 est de « faciliter la mobilité des artistes, la connaissance et les relations avec la réalité artistique de chaque territoire ». Quelles relations les artistes entretiennent-ils avec le territoire de résidence ?

SV – Le programme de résidences, mis en place depuis les années 1991-92, est un outil mis à la disposition des artistes. Soutenu par la Région Auvergne-Rhône-Alpes, basé sur l’échange, il s’est formulé avec les structures étrangères avec lesquelles nous collaborons. Les artistes qui participent à ces résidences sont accompagné.es par les structures impliquées et apportent leur compétence pour faciliter leur séjour et les rencontres avec le milieu artistique implanté sur chaque territoire. Les projets (expositions, présentations, éditions) sont réalisés soit en fin de résidence, soit avec un décalage d’une année. La résidence “historique” avec Stuttgart a posé les grands contours de ce qui sera ensuite développé à l’occasion d’autres résidences. La recherche et la production ont été précisément formulées comme un cadre pertinent à proposer à un artiste. La question de la mobilité est venue plus tard.

C’est dans ce contexte que nous avons développé la résidence avec le Canada notamment Montréal. Cela a été l’occasion de mettre l’accent sur la mobilité. Elle était assez exemplaire car on a réussi à faire valider auprès des partenaires financiers que cette résidence pouvait être déconnectée d’un résultat possible ; il n’y avait pas d’exposition, mais une édition bi-annuelle produite et conçue avec les artistes. On offre un contexte de travail à Valence ou à Montréal et les artistes ont vraiment travaillé sur des « poches » très précises qui les intéressaient. Par exemple à Montréal, l’artiste Gaëlle Choisne a travaillé avec la communauté haïtienne, étant elle-même d’origine haïtienne ; elle a rencontré la diaspora très nombreuse dans cette ville et elle a pu consulter les archives rassemblées par des personnes impliquées dans cette communauté. Cela a nourri des propositions ultérieures dont nous n’avons pas directement bénéficié puisqu’il n’y avait pas de résultat exigé.

Les artistes de Barcelone en résidence, séjournent deux mois à Valence. Les expositions, les présentations qu’on peut faire à art3 liées à ces deux mois de résidence, ne sont pas forcement en lien direct avec la ville. Mais cela forge quelque chose. C’est plus la résidence en elle-même qui a pu opérer certains développements dans un projet qui au départ aurait eu un tout autre aspect.

L’artiste Laura Llanelli a vraiment travaillé avec Valence, avec des chanteurs, des musiciens, avec un studio de graphisme ; même si le sujet était extérieur à Valence, elle a pris certaines compétences trouvées sur place et n’aurait pas pu le faire ailleurs de la même façon (ill. 1).

1 – Vue de l’exposition Take Five de Laura Llaneli, 2015. Espace Jeanne de Flandreysy, Valence. Projet composé d’un dispositif sonore et de 35 posters, 100×70 cm, impressions numériques, dont 7 posters couleur et 28 en n/b. Studio design graphique My Name is Wendy / Production Ensba Lyon, art3.

Q+E : Ces rencontres avec des personnes ou des structures du territoire, sont-elles proposées par l’artiste avant sa résidence ou se formulent-elles pendant le séjour ?

SV – On demande une note d’intention sachant que l’idée de départ peut être abandonnée pendant le temps de résidence. C’est une manière de comprendre comment l’artiste va appréhender ce temps dont il doit s’emparer ; est-ce qu’il va être autonome, est-ce qu’il a déjà repéré des éléments appartenant à la ville ou à son histoire qui pourraient être développés, ou tout au moins, venir enrichir des recherches en cours ? Bien souvent le projet qui est développé ne ressemble pas à ce qui avait été envisagé. Les rencontres avec la ville, des personnes, des petites histoires peuvent trouver un prolongement dans un imaginaire.

Il y a deux ans, l’artiste Azahara Cerezo (ill. 2, 3) avait prévu de poursuivre une recherche démarrée à Paris concernant une sculpture dédiée au travail dont il ne restait plus que le socle. Elle s’est beaucoup interrogée sur cette question de commémoration du travail avec la statue qui avait disparu pendant la Seconde Guerre mondiale parce que fondue pour fabriquer des canons. En arrivant à Valence, elle a vu qu’il y avait des sculptures dans l’espace public. Elle a fait le choix d’une extériorité, d’un déplacement en demandant à une société basée en Indonésie de dessiner à partir de logiciels en 3D, des sculptures commémoratives au travail. Un ensemble de modèles lui ont été envoyés contre une somme d’argent. Elle est arrivée avec une idée, elle en a fait quelque chose de totalement différent. Et c’est là où le travail d’art3 est important. Elle s’est retrouvée avec du matériel s’en savoir quoi en faire. Je lui ai proposé de faire une édition – ce qu’elle n’avait jamais fait. Nous avons travaillé ensemble sur une maquette avec une graphiste avec l’idée que le projet peut être augmenté, installé contre un mur, etc. Ensuite elle a exposé l’édition dans d’autres lieux en Espagne, ou a réitérée le principe.

Deux ans auparavant, Julia Gorostidi (ill. 4) a rencontré à Valence le sujet qui deviendra son projet. Elle a échangé avec un spécialiste de la préhistoire, qui lui a raconté la manière dont Valence s’est formée, avec comme point d’ancrage une pierre à partir de laquelle l’artiste a déployé son histoire et les différentes étapes de sa transformation. Le projet final Quartzite, Quartzite est un petit film en 3D qui simule ces transformations et un texte à deux voix : celle de la pierre de départ et sa représentation digitale. Ce projet spécifiquement produit à l’occasion de la résidence a prolongé, sous une autre forme, les préoccupations de Julia Gorostidi autour de l’identité, et de la transformation.
2 – Azahara Cerezo, Edition Homepage to labour, 24 p., 21 x 14,8 cm, n/b. © Azahara Cerezo.
3 – Azahara Cerezo, Homepage to labour, 2019. 24 impressions laser, dimensions variables.
4 –Julia Gorostidi, extrait du film Quartzite, Quartzite, 2017. © Julia Gorostidi

Q+E : Quels sont les intérêts et le sens d’une résidence à l’ère de la mobilité, des échanges numériques ?

SV – Dans cette idée de rendre les choses plus palpables, j’ai proposé à la structure de Barcelone avec qui nous sommes en échange de rendre compte de ces résidences depuis 5 ans en produisant une édition. On a défini ensemble un postulat de départ. Nous voulions que les artistes puissent dire quelque chose sur ce temps de résidence : qu’est-ce que ça a permis, comment ils l’ont vécue ? Qu’est-ce qu’ils attendaient d’une résidence ? La résidence est-elle toujours une réponse pertinente à la création actuelle ?

Ces questions et les réponses sont retranscrites dans l’édition. Ce que je retire de ce projet est que la mobilité, “le voir ailleurs” demeure extrêmement important, qu’à différents niveaux, les artistes savent “originer” des développements dans leur travail liés la résidence et à l’expérience qu’elle a représenté. Il faut aussi savoir que le programme de résidences est encore un soutien financier, qui permet à l’artiste de vivre, de produire, de se déplacer…

Q+E : Comment se fait le choix des commissaires et des artistes résidents ?

SV – Le choix des commissaires est fait sur invitation en fonction de mes connaissances. Je leur propose un contexte à découvrir en espérant de futures collaborations avec art3, la structure à l’étranger qui les accueille et les artistes rencontré.es lors de leur séjour.

Pour les résidences d’artistes, il y a un appel à projet envoyé en direction des artistes. Ceux-ci proposent un avant-projet qui nous permet de nous rendre compte comment nous pouvons les accompagner. Et ensuite il y a un jury qui est organisé, composé de responsables de structures. La décision se fait de manière collégiale.

Q+E : Quels sont les critères de sélection des artistes et permettent-ils de définir ce qu’est l’art contemporain ?

SV – Les critères rassemblent un ensemble de données comme la qualité du travail, l’implication de l’artiste, de repérer dans son parcours la nécessité de partir en résidence à ce moment là. Il est également important de comprendre comment la structure va pouvoir l’accompagner. Je mets de côté des dossiers quand les formes produites ne me semblent pas abouties, soit ce qui est amené dans le dossier ne permet pas de se rendre compte ou que l’écrit prend le pas sur ce qui est montré, produit.

La question de l’art contemporain à cet endroit-là ne nous occupe pas. On est plus dans le côté très pratique des choses : est-ce que les artistes qui postulent pour des résidences vont pouvoir trouver des ressources utiles au développement de leur idée ?

Je suis très sensible à la forme minimale ou conceptuelle et en même temps j’essaye d’accompagner des formes vers lesquelles je n’irai pas spontanément. Je suis guidée par l’envie de voir des choses se développer devant mes yeux, tout en n’étant pas experte dans le travail de l’artiste. La confiance s’établit à partir du moment où j’invite un artiste. Le cadre d’art3 me permet d’organiser cette confiance et je suis très heureuse que les artistes propo-sent un projet conçu avec précision, pour le lieu. Je n’attends pas que l’art m’émeuve ou soit un espace de réflexion et partir de là, l’art me propose beaucoup.

Q+E : Qu’attendent les artistes d’art3 et qu’attendez-vous de votre côté ?

SV – Les artistes sont très attachés à la manière dont ils vont produire leur travail : certains privilégient le travail en atelier pour tester des choses, d’autres non. Le voyage est également un temps d’élaboration, de repérage de situations qui vont trouver une place dans ce qu’ils produisent. « L’exposition » peut participer à vérifier des hypothèses. Je ne connais pas d’artistes qui parlent de « donner du sens » mais qui porte une attention à la façon dont leur travail sera respecté, selon un cahier des charges propre à ce qu’ils se donnent à faire ou à la manière dont ils aimeraient le mener.

Comme projet, je souhaite qu’art3 puisse demeurer un lieu propice à accueillir ce respect, cette attention, que l’on puisse entretenir une certaine souplesse dans les réponses apportées à chacun des projets. L’artiste Astrid S. Klein, que nous avons reçue en résidence en 2007 m’a proposé d’accueillir lors d’une soirée en septembre une lecture-performance « À l’écoute des feuilles », co-écrite avec Sylvie Arnaud, autrice et travailleur social et avec le soutien sonore de Filip Kantinol (ill. 5, 6). Nous avons sollicité le Centre du Patrimoine Arménien qui a mis à notre disposition son auditorium, afin que le projet puisse avoir lieu dans les conditions nécessaires à sa réalisation et en respectant les attentes de l’artiste.

art3 est un écosystème, dans lequel les artistes ont une place privilégiée et avec lequel ils entrent en interaction. Même si une « esthétique » du lieu se dégage, tout se renouvèle, ce n’est jamais la même chose, un jour il s’agit d’une peinture murale accompagnée de son, ensuite ce sont des sculptures à même le sol et actuellement une installation de tissus tendus dans l’espace. J’aime multiplier les types de formats et de projets. Des préoccupations formelles m’intéressent. Un objet produit, peut faire référence à d’autres formes plus anciennes, je suis sensible à une histoire des formes et à leur résurgence. Comment certaines formes se transmettent, sont mâchées, avalées, oubliés, ou remises dans le circuit.

Entrevue réalisée le 30 août 2021, Valence

5, 6 – Lecture-Performance et polylogue poétique de l’artiste Astrid S. Klein et Sylvie Arnaud, (autrice et travailleur social), avec le soutien sonore de Filip Kantinol, 24 sept. 2021,
Centre du Patrimoine Arménien, Valence. © Phoebé Meyer.