Après un travail photographique centré sur l’expérience humaine et le corps dans l’espace, Aude Lavenant explore aujourd’hui la céramique et allie avec sensibilité savoir-faire traditionnel et innovation technologique. Associant matière organique et mouvement, maîtrise et hasard, elle recherche les limites des formes, expérimente les interactions entre le lisse et le rugueux, le naturel et le coloré. Installée dans un atelier à Pont-de-Barret, la céramiste plasticienne présente au cours de cet entretien son parcours et sa démarche continuellement en mouvement.

Auteurs :
Aude Lavenant /Q+E

Q+E : Formée à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, vous commencez votre vie professionnelle comme photographe. Apparaît une volonté d’explorer de nouveaux langages, d’avoir une approche transdisciplinaire, notamment avec « Au Bord De », une performance photo-chorégraphique réalisée avec la danseuse Lise Casazza (Cie Nue). Au bout d’une trentaine d’années de pratique, avez-vous épuisé complètement ce médium ?

AL- La photographie représente un temps dans mon parcours. Durant ces trente années, j’ai exploré de nombreuses pistes mais il y avait toujours un manque : la finalité restait une image, il manquait une dimension. Il y a quelques années, j’ai réalisé qu’au travers de la photographie, je cherchais constamment la troisième dimension et créais des photographies sculpturales à travers des matières, des éléments, des corps, et toujours en quête de volumes par la lumière. J’ai d’ailleurs longtemps utilisé le noir et blanc qui exprime bien mieux le volume que la couleur.

Aujourd’hui, j’ai besoin d’être en lien direct avec la matière, de créer des formes entre mes mains sans passer par un médium intermédiaire. C’est un nouveau chemin qui me permettra, peut-être, de retourner à la photographie. J’ai acquis récemment du matériel argentique m’offrant toutes les possibilités d’y revenir.

Au bord de, 2010 © Aude Lavenant

Q+E : Existent-ils pour vous des relations entre la photographie et la céramique ?

AL – Même si cela apparait étonnant, il y a de nombreux liens entre la photographie argentique et la céramique. Dans les deux pratiques, on retrouve la notion de temps, l’œuvre s’élabore sur une durée plus ou moins longue à laquelle il est impossible d’échapper. La photographie argentique – au contraire du numérique – est un long processus. Entre le moment de la captation et l’apparition de l’image, il peut se passer plusieurs jours. En céramique, la création se fait sur plusieurs semaines. On se met au diapason de la terre, on dit qu’il faut « écouter la terre ». On retrouve aussi une pratique « en aveugle ». Tout comme l’image se révèle dans le bain du révélateur, la pièce céramique se révèle à l’ouverture du four.
Collection 3D, 2021 © Aude Lavenant

Q+E : Vous êtes devenu céramiste en 2019 ; comment s’est opérée cette reconversion professionnelle ? Est-ce un choix d’exercer un métier plus manuel ?

AL – J’aurai aimé apprendre la céramique dès cette époque, mais dans les années 1970-90, il y avait une forte hiérarchie entre art et artisanat, la céramique n’était pas encore reconnue comme un art et n’était donc pas enseigné dans les écoles d’art. J’ai commencé par un cursus classique à l’école des Beaux-Arts de Paris dans un atelier de peinture. Quand la photographe Lesly Hamilton a créé le premier atelier d’expression photographique de l’école, j’y suis allée dès son ouverture et n’en suis plus repartie. J’ai littéralement plongé dans la création photographique noir-et-blanc, passionné par ce nouveau médium jusqu’à l’obtention de mon diplôme multimédia que j’ai construit sur une installation photographique dans l’amphithéâtre de morphologie.

Bien des années plus tard, en parallèle à mon activité de photographe plasticienne, j’ai commencé à prendre des cours de céramique. En 2017, un stage à la Maison de la céramique de Dieulefit intitulé « Spontanéité, forme et couleur » avec Marianne Castelly a été déclencheur de ma conversion vers la céramique. J’ai suivi une formation professionnelle à l’Institut Européen des Arts de la Céramique à Guebwiller à l’issue de laquelle j’ai obtenu la certification « Créateur en art de la céramique ».

À mon retour, j’ai découvert l’Imprimante Céramique 3D lors du workshop « 3D-3Terres » au 8Fablab de Crest. Séduite par cette nouvelle technologie, je me suis formée à cet outil, consciente de son importance dans le paysage de la céramique contemporaine.

Impression 3D : Spira, 2022 © Aude Lavenant

Q+E : Que vous a apporté l’utilisation de l’imprimante 3D ?

AL – Aujourd’hui, la céramique 3D fait partie de mon langage. Je l’explore depuis trois ans pour comprendre ce qu’elle peut m’apporter sur le plan formel. Cet outil offre un « nouveau monde » de formes et de textures qu’il serait impossible de faire avec les techniques traditionnelles.

En quête d’une nouvelle esthétique, j’explore toutes les possibilités de l’imprimante. Durant les formations, j’ai pu observer là où il y a des failles, quand le fil se casse, quand la pièce s’affaisse ou retombe et les intègre à mon vocabulaire de formes en tentant de les reproduire. J’utilise autant la possibilité d’une approche expérimentale où je prends la main sur la machine que sa capacité à reproduire des pièces parfaitement à l’identique. Je produis des sculptures que j’élabore dans une sorte de jeu avec la machine, j’interviens durant l’impression, provoque des interférences, modifie le flux de terre, le coupe, etc. C’est une longue exploration ou la pièce ne se révèle qu’en fin d’impression. Chaque tirage est un chalenge, la pièce est parfois à deux doigts de l’effondrement.

Je produis également une gamme de contenants où prime la recherche de textures de surface que j’élabore à partir d’algorithmes complexes qui permettent une infinité de variations.C’est assez paradoxal car j’ai choisi de faire de la céramique pour travailler la matière, pour m’éloigner des ordinateurs,mais mon appétit pour les nouvelles technologies l’a emporté. Je considère la 3D comme un outil supplémentaire qui n’enterre pas les autres techniques. Comme son approche en est complexe, j’ai choisi de m’y consacrer entièrement pour me l’approprier. Je me suis formée aux logiciels 3D et me suis familiarisée avec cette machine. Je peux aujourd’hui imaginer une autre utilisation, en l’intégrant dans mon travail de sculptures.

Table de travail , 2017 © Aude Lavenant
Picots, 2019 © Aude Lavenant
Impression 3D – déconstruction, 2021 © Aude Lavenant

Q+E : Existe-t-il en France de nombreux céramistes qui s’intéressent à cette technique ? Et est-ce une technique facile à mettre en œuvre ?

AL – L’imprimante céramique 3D est une extrudeuse informatisée assez facile à piloter, par contre, la création des dessins 3D est plus complexe et demande de bonnes connaissances techniques sur les logiciels 3D.

Cette machine est encore très peu connue dans le milieu céramique. Dans la Drôme, grâce au 8Fablab de Crest – où se trouve l’imprimante que j’utilise – qui a fait une grande campagne de communication auprès des céramistes, artistes et designers, de nombreux céramistes ont essayés ce nouvel outil, mais très peu d’entre eux ont continué dans cette voie. Les designers et les plasticiens s’y intéressent davantage, ils l’utilisent comme outil d’expérimentation, de recherches où de prototypage. Les écoles d’Art et de Design achètent des imprimantes céramiques 3D et y forment leurs étudiants. On peut imaginer que l‘imprimante céramique 3D sera bientôt quotidienne dans les processus de création.

La céramique est une tradition millénaire où l’invention de l’imprimante céramique 3D peut être considérée comme une révolution. Nous sommes à l’avant-garde de ce mouvement qui annonce de belles perspectives.

Mouvement 03, 2018 © Aude Lavenant
Twin, 2019 © Aude Lavenant
Falbala 3, 2020 © Aude Lavenant
Pli, 2021© Aude Lavenant
Vague, 2021 © Aude Lavenant
Collection Spira, 2022 © Aude Lavenant