L’exposition « Constellations » qui a eu lieu à la Bourse du Travail à Valence (*) est l’occasion de découvrir ʺDocuments d’artistes Auvergne-Rhône-Alpesʺ, association implantée à Lyon qui rayonne sur toute la région. Elle joue un rôle très actif auprès des artistes contemporains avec une approche documentaire particulièrement vivante que Lélia Martin-Lirot, coordinatrice de l’association, nous expose avec enthousiasme.

Q+E : Cette association vise-t-elle à faire connaître les artistes contemporains au grand public ou s’adresse-t-elle plutôt aux artistes et au milieu professionnel ?

LML – J’espère aux trois ! Avant tout, c’est un outil au service des artistes ; notre principale activité consiste à documenter et diffuser le travail d’artistes contemporains installés dans la région, de différentes générations, avec différents types de pratiques. Nous construisons un outil de soutien à long terme des artistes en documentant leurs œuvres, en communiquant sur leurs actualités et en les accompagnant professionnellement. Lorsque les artistes intègrent le fonds documentaire, on travaille ensemble sur la construction de leur documentation numérique afin que ce support soit représentatif de leur démarche artistique et leur serve d’outil de visibilité. Ensuite, on met en place différentes actions pour valoriser leurs œuvres et les mettre en relation avec des professionnels de l’art. Le site est particulièrement consulté par les équipes de centres d’art, les lieux de diffusion, les commissaires d’exposition, les médiateurs, les étudiants, les galeries…

Le site constitue une ressource détaillée, construite avec les artistes, permettant d’avoir une connaissance précise de leurs œuvres et parcours. C’est aussi un moyen de prospection pour les professionnels de l’art et de sensibilisation pour les amateurs et tous types de publics. Notre travail est réalisé gratuitement pour les artistes et le site est évidemment en consultation libre également. C’est un moyen de rendre accessible l’art contemporain d’un territoire à un large public.

Capture d’écran du site dda-ra.org

Q+E : Comment l’association fonctionne-t-elle et quels sont les partenaires qui vous soutiennent ?

LML – Un ensemble de partenaires nous apportent leur soutien sur le fonctionnement de l’association : la Région et la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) Auvergne-Rhône-Alpes, ainsi que les villes de Lyon, Saint-Etienne et Valence, d’où notre présence ici à l’invitation de la Ville de Valence. Il nous arrive aussi d’avoir des aides ponctuelles sur des actions de la part de départements, de métropoles comme celles de Lyon et de Clermont-Ferrand, ainsi que des contributions de partenaires privés.

Les subventions nous permettent de financer trois postes – dont le mien en tant que responsable de la direction artistique et administrative – et deux postes à temps partiel de chargées d’édition web, qui travaillent avec les artistes sur la documentation, la mise en ligne des données et la communication.

C’est un peu le même principe dans toutes les régions qui ont un « Documents d’artistes ». On travaille avec de petites équipes mais qui sont assez spécialisées pour pouvoir répondre aux besoins d’une grande diversité d’artistes et dialoguer avec eux.

Q+E : Toutes les régions en France possèdent-elles ce type de structure et qui est à l’origine cette initiative ?

LML – Non, toutes n’en ont pas encore. La première association ʺDocuments d’artistesʺ a été créée en PACA en 1999 à l’initiative de la DRAC. C’est resté un fonds documentaire sur cette région pendant 10 ans et ensuite cela s’est développé dans d’autres régions, d’abord en Bretagne par l’une des deux fondatrices qui s’y est s’installée et puis en Rhône-Alpes, cette fois-ci à l’initiative de la Région. En 2008, le Service arts plastiques de la Région Rhône-Alpes et l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne ont demandé une étude de préfiguration à ʺDocuments d’artistes PACAʺ pour évaluer la possibilité de transposer ce type de structure sur le territoire. L’association ʺDocuments d’artistes Rhône-Alpesʺ a été créée ensuite (membres fondateurs : Bruno Henry, Marie-Claude Jeune, Martine Dancer, Nathalie Ergino) et j’ai été embauchée en 2009 pour démarrer le projet.

Puis nous avons réfléchi à l’ouverture du fonds à l’Auvergne au moment de la fusion des régions avec un peu d’anticipation. Avec le soutien de la DRAC Auvergne, nous avons réalisé une étude pour évaluer l’hypothèse d’étendre nos actions sur ce territoire, avec qui collaborer, quelle réception de la part de la scène artistique… On s’est étendu à toute la région Auvergne-Rhône-Alpes dès 2016. Aujourd’hui, la présidence de l’association est assurée par Olivier Nottellet, artiste et enseignant, et les membres fondateurs ont été rejoints par de nouveaux administrateurs (Françoise Lonardoni, Michel Riéra). ʺDocuments d’artistesʺ existe également en Nouvelle-Aquitaine depuis 2012. Ces différentes associations se sont réunies au sein du ʺRéseau documents d’artistesʺ, qui s’étend aujourd’hui sur de nouveaux territoires.

Q+E : Quelle différence existe-t-il entre l’association ʺDocuments d’artistesʺ et le ʺRéseau documents d’artistesʺ ?

LML – Le ʺRéseau documents d’artistesʺ est la fédération des associations ʺDocuments d’artistesʺ existantes en France qui s’est créée en 2011 et qui réunit à ce jour les régions suivantes : PACA, Bretagne, Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine ; et nouvellement Occitanie et La Réunion dont les sites sont en cours de création. Le ministère de la Culture – Direction générale de la création artistique est le principal soutien du « Réseau documents d’artistes », qui est également membre du CIPAC et partenaire du Centre national des arts plastiques.

Les équipes des ʺDocuments d’artistesʺ en régions travaillent ensemble au sein du ʺRéseau documents d’artistesʺ. Cette collaboration nous permet de développer deux types d’actions : les actions centrées sur les artistes de chaque région avec le réseau territorial (financées par les partenaires régionaux) et des actions inter-régionales (financées par le ministère de la Culture), comme par exemple les Meet-up, programmes de visites d’ateliers pour des professionnels de l’art français et étrangers ; ou d’autres niveaux de projets d’accompagnement professionnel des artistes qu’on ne pourrait pas mener avec nos propres moyens en région. Ça nous permet également de développer des partenariats nationaux, voire parfois internationaux.

Le Réseau documents d’artistes a aussi créé son propre site – www.reseau-dda.org sur lequel sont présentés diverses productions éditoriales, des focus sur des œuvres, des portraits filmés d’artistes, des carnets de résidences, des textes critiques… On invite notamment des auteurs à s’appuyer sur des dossiers d’artistes comme sources de recherches pour des publications inédites. C’est aussi une sorte de portail qui réunit l’accès aux dossiers des artistes de toutes les régions, soit près de 600 artistes à ce jour.

Le Réseau est en évolution avec de nouveaux projets ʺDocuments d’artistesʺ en gestation sur d’autres territoires en France, ainsi qu’une ouverture à l’international avec un projet pilote sur le canton de Genève. Le Réseau est très dynamique et porteur, il nous permet des actions qu’on ne pourrait pas faire seul. Nous fonctionnons sur une méthodologie commune, une manière collective de penser la documentation en art contemporain et de travailler avec les artistes.

Meet-up, programme de visites professionnelles du « Réseau documents d’artistes », parcours dans la Drôme organisé par DDA-RA, octobre 2021. Visites d’ateliers et d’expositions, avec les artistes Danièle Orcier, Philippe Favier, Bruno Carbonnet et Min Kyung Baek © DDA-RA

Q+E : Quelle est la visibilité de votre travail documentaire et de vos actions auprès du milieu professionnel ?

LML – Le travail de fond mené avec les artistes n’est pas forcément visible auprès du grand public ; le site de Documents d’artistes est centré sur les dossiers d’artistes qui sont notre priorité. Le choix de privilégier le support internet nous permet d’actualiser régulièrement la documentation afin qu’elle soit en cohérence avec l’évolution du travail de chaque artiste. C’est une archive rétrospective mais pas figée, le contenu et la forme évoluent avec la production artistique..

Q+E : Vous posez-vous la question de l’archivage et de l’édition papier pour une meilleure conservation à long terme ?

LML – Ça ne se pose pas vraiment pour nous, parce que le numérique offre de larges capacités éditoriales, avec une grande quantité de documents et de multiples possibilités de mises en page, ce qui nous permet de constituer sur internet une documentation très approfondie et riche. Si on devait la transposer en papier, ce serait complexe et onéreux – bien qu’on considère notre travail comme de l’édition en ligne. Avec les artistes, on réfléchit beaucoup sur leur matière documentaire, comment la structurer, la mettre en forme, l’éditer, la diffuser ? Ce sont des choix éditoriaux, mais ça ne serait plus du tout la même économie de publier en papier. Mais parfois, comme par exemple la collection d’affiches, il peut nous arriver de réaliser une édition papier.

Q+E : Quelles sont les intentions de ce projet d’affiches d’artistes présentées à la Bourse du Travail à Valence et quelle est son origine ?

LML – La collection d’affiches a été réalisée l’année dernière pour célébrer nos 10 ans. On s’est posé les questions : comment marquer l’anniversaire du site ? Comment montrer la diversité des démarches des 87 artistes représentés en 2020 (presque une centaine en 2021), la richesse de 10 années de collaborations ? On avait envie de symboliser cet anniversaire par un projet collectif impliquant tous les artistes, avec une proposition qui soit matérielle pour une fois et non numérique. On a pensé à un livre mais ça ne nous paraissait pas cohérent avec notre manière de travailler. On leur a donc proposé de concevoir une production en édition limitée sur un format d’affiche. Chaque artiste a proposé une image (reproduction d’œuvre, vue d’exposition, création spécifique…). L’édition est composée de 87 affiches différentes qui donnent un aperçu de la diversité des productions artistiques représentées sur le site.

Nous ne sommes pas producteurs d’œuvres. On fait avant tout de la documentation, de la communication et de l’accompagnement professionnel. Mais quand des occasions se présentent, comme de faire une exposition ou d’organiser des événements qui valorisent les artistes, on saisit les opportunités de diffusion.

Ce projet d’édition répond aussi à notre souhait d’interpeller des publics qui ne sont pas forcément les nôtres habituellement. Certains vont peut-être être attirés par une image puis vouloir approfondir pour mieux connaître le travail de l’artiste. Et nous tenions à un objet un peu précieux mais à prix accessible. La réalisation a été financée en grande partie par des partenaires privés, des entreprises mécènes ou sponsors, des donateurs individuels dont le soutien en amont a permis d’engager la production mais qu’il faut compenser aujourd’hui par les ventes. C’est aussi un soutien économique pour notre association qui en a besoin. Les affiches peuvent être achetées, individuellement ou en collection complète, elles se diffusent ainsi auprès des collectivités, dans des lieux culturels et collections publiques, chez les particuliers, etc.

Aperçu des affiches de Jérémy Liron, Maxime Lamarche, Guillaume Perez, Aurélie Pétrel, parmi l’édition réalisée par DDA-RA en 2020 © Les artistes, DDA-RA

Q+E : Ce projet d’affiches imprimées, a-t-il suscité des réactions ou des oppositions de la part d’artistes ?

LML – Ça pose effectivement question car c’est de la reproduction d’œuvre, un objet avec un format non choisi par l’artiste. On a fait cette proposition aux 87 artistes avec lesquels nous travaillions en 2020 et ils ont tous accepté. C’était enthousiasmant pour nous de réaliser ce projet et, pour une fois, de travailler avec tous les artistes en même temps. Pour eux, c’était à la fois une occasion d’édition et une manière de nous soutenir. En nous confiant l’usage de leurs images, ils nous ont offert une belle opportunité de valorisation de notre collaboration. Le projet était complexe à organiser mais aussi très stimulant. C’était amusant de découvrir les propositions très directes de certains artistes ou de discuter des choix avec d’autres. Nous sommes assez fiers de cet objet éditorial singulier conçu ensemble.

Flyer de la collection de 87 affiches de DDA-RA, 2020. Visuel : © Fabrice Croux – Graphisme : © Lucie Comerro

Q+E : Quel a été le lieu de la première exposition des affiches et comment concevez-vous leur présentation ?

LML – La première présentation a été accueillie par l’artothèque de la Maison du livre, de l’image et du son (MLIS) à Villeurbanne en septembre 2020 ; c’était le lancement et l’exposition inaugurale. Les affiches venaient d’être imprimées par la Manufacture d’Histoires Deux-Ponts à Bresson (Grenoble). Nous tenions à avoir un partenaire compétent dans la région pour réaliser cette édition exigeante. Nous sommes ravis d’avoir pu collaborer avec cette imprimerie extrêmement pointue et de la qualité des tirages qui en résultent. Le directeur général Renaud Caillat nous a accompagné dès le début du projet et les conseils et le professionnalisme de l’équipe ont été précieux pour assurer cette production qui s’est faite pendant le premier confinement.

Nous avons donc lancé l’édition avec l’exposition à la MLIS. Parallèlement à l’accrochage des affiches, nous avons invité l’artiste Marion Robin qui travaille toujours in situ à réaliser une production sur le lieu, dont l’architecture de Mario Botta est très forte. Elle est intervenue sur le sol en reproduisant un motif présent sur les colonnes – une ornementation argentée qu’elle a déployée comme si le motif rayonnait. C’était un travail assez pharaonique, avec de l’adhésif collé et découpé sur toute la surface au sol de 180 m2, pour une œuvre à la fois monumentale et discrète car subtilement fondue dans l’architecture.

Cette année, à l’initiative de Marie-Françoise Pascal, Adjointe au Maire en charge de la Culture, nous avons été invités par la Ville de Valence à présenter à la Bourse du Travail une nouvelle exposition des affiches. C’est un peu différent de l’expérience à la MLIS où nous avions choisi le lieu pour la résonance entre l’artothèque et notre travail et pour l’espace de son grand mur courbe qui permettait d’afficher toute la collection. A la Bourse du Travail, nous avons repensé l’accrochage selon la configuration particulière du lieu et nous avons invité Baptiste Croze et Linda Sanchez à présenter l’une de leurs productions récentes.

Vue de l’exposition « 10 ans de DDA-RA », Artothèque de la Maison du livre, de l’image et du son, Villeurbanne, 2020
(Au mur : collection de 87 affiches d’artistes ; Au sol : proposition in situ de Marion Robin), Photos © Stofleth

Q+E : Pourquoi avoir choisi d’associer à la présentation des affiches l’installation des deux artistes Baptiste Croze et Linda Sanchez ?

LML – L’idée de départ était d’avoir une proposition plutôt d’ordre sculptural pour faire un contrepoint aux affiches. Ces deux artistes ont chacun leur pratique et développent aussi depuis quelques années une collaboration autour de gestes de sculpture, de dessins, d’images et de vidéos. Ça nous intéressait de proposer un duo en écho à la dimension collective de notre site. De plus, Baptiste Croze et Linda Sanchez travaillent dans la Drôme depuis plusieurs mois avec l’association Mémoire Agricole du Pays de Grignan (Montjoyer), dans le cadre d’une résidence-mission soutenue par la DRAC et la Région Auvergne-Rhône-Alpes, le Département de la Drôme, l’académie de Grenoble, et portée conjointement par Angle Art contemporain (Saint-Paul-Trois-Châteaux) et La Maison de la Tour – Le Cube (Valaurie). Cette exposition à Valence pouvait donc trouver une résonance avec leur dynamique de travail en cours sur le territoire. Ils ont été partants pour travailler ensemble dans ce lieu, même si ce n’était pas évident de cohabiter avec 87 affiches. L’installation Roulé-boulé qu’ils présentent à la Bourse du Travail est le début d’un processus de recherche ; une itinérance sur le contour du littoral méditerranéen, qui associera des marches collectives, des rencontres, des récits et des expositions.

Vues de l’exposition « Constellations », Bourse du Travail de Valence, 2021 – Photos : © DDA-RA. (Au mur : collection de 87 affiches d’artistes ; Au sol : installation de Baptiste Croze et Linda Sanchez, « Roulé-boulé », balles et ballons rejetés par la mer, dimensions variables.

Q+E : Etes-vous amené à faire régulièrement des expositions et des activités culturelles ?

LML – C’est ponctuel, notre activité principale n’est pas le commissariat d’exposition, mais du fait de notre proximité avec les artistes et de notre volonté de contribuer à la diffusion de leur travail, nous réalisons régulièrement des événements publics, des rencontres, des programmations vidéos… Par exemple, en lien avec l’exposition, LUX Scène nationale de Valence nous offre l’opportunité de projeter un programme de sept vidéos d’artistes le 26 novembre prochain. Ponctuellement, on nous propose des expositions, comme par exemple à la Fondation Bullukian en 2015 où nous avons conçu une exposition collective d’artistes du Réseau documents d’artistes, ou en 2017 avec la Délégation parisienne de la Métropole de Lyon à Paris qui nous a permis de présenter les œuvres de Karim Kal, Bertrand Stofleth et Julien Guinand parallèlement à leur travail dans le cadre de la commande photographique nationale pilotée par le Centre national des arts plastiques et les Ateliers Médicis.

Flyer de la programmation de vidéos d’artistes à LUX Scène nationale, Valence. Visuel du film  » PARACOSME « , Le Gentil Garçon, 2019, Collection du Frac Occitanie Montpellier

Q+E : Quels sont les critères de sélection pour faire partie de « Documents d’artistes » et comment les artistes sont-ils choisis ?

LML – Le principal critère est que les artistes vivent et travaillent en Auvergne-Rhône-Alpes. Le principe de Documents d’artistes est de favoriser la visibilité des scènes artistiques territoriales. C’est un projet issu de la décentralisation et qui part du constat que les artistes s’installent sur différents territoires pour y mettre en place leur dynamique de travail.

L’un des intérêts du ʺRéseau documents d’artistesʺ est de pouvoir accompagner la circulation des artistes. Quand un artiste s’installe sur un nouveau territoire, il peut avoir besoin d’y être identifié, ainsi au bout d’un certain temps, s’il est plus pertinent que le travail soit documenté par le site ʺDocuments d’artistesʺ du nouveau territoire, le dossier peut être transféré. Le site s’adresse à des artistes professionnels qui travaillent dans le champ de l’art contemporain. Il faut aussi avoir une production qui soit bien engagée, avec un corpus d’œuvres suffisant pour que ça nécessite une documentation approfondie. On travaille sur la base de la documentation existante et il nous arrive parfois d’engager des productions de textes mais c’est ponctuel pour des raisons économiques. Le site est aussi un outil qui sert d’appui dans la diffusion pour des artistes qui ont moins de sources de présentation de leur travail. Par exemple, ce n’est pas un critère d’être représenté par une galerie ou d’avoir une quantité de textes ou un CV extrêmement fourni. Il faut néanmoins que la diffusion du travail soit suffisamment amorcée. Nous nous adressons rarement à des artistes en tout début de carrière bien qu’ils puissent sortir de l’école et avoir une production déjà conséquente. Il n’y a pas de critère d’âge non plus et on essaie à chaque comité de composer une sélection d’artistes qui soit représentative de la diversité de la scène en termes de générations, de pratiques, de médiums, de genres et de situations géographiques sur le territoire.

Un appel à candidatures est ouvert chaque année aux artistes du territoire qui souhaitent postuler. Puis on organise un comité dont la composition est renouvelée chaque année, avec différents professionnels de l’art qui examinent tous les dossiers et choisissent les artistes avec lesquels nous collaborerons l’année suivante. Le nombre de dossiers retenus est lié à la capacité de travail de notre petite équipe. Si on veut mener un travail de qualité, il faut pouvoir se consacrer à la réalisation de chaque dossier qui peut prendre plusieurs mois, tout en assurant l’actualisation des précédents. Avec près d’une centaine d’artistes sur le site, notre rythme est d’environ une dizaine de nouveaux dossiers réalisés par an, ainsi qu’une vingtaine d’actualisations. Sur 60 à 80 candidatures par an, la sélection d’une dizaine d’artistes peut paraître un peu rude, mais les artistes peuvent se représenter. Le jury discute en priorité de la qualité du travail et de l’intérêt suscité par la démarche artistique, mais aussi prend en compte ces autres critères de diversité sous-jacents et des questions : est-ce un outil utile à l’artiste à ce moment-là dans son parcours ? Est-ce qu’il y a un manque de visibilité et cet outil peut-il aider l’artiste dans sa diffusion ? Ou est-ce un artiste confirmé pour lequel une documentation rétrospective peut être intéressante ?

L’équipe de ʺDocuments d’artistesʺ essaie de se rendre présente le plus possible auprès des artistes et du réseau culturel, de bien connaître la scène artistique du territoire. Nous présentons toutes les candidatures lors du jury, mais ni l’équipe ni les membres de notre conseil d’administration ne sélectionnent ; ce sont les membres du comité invités qui choisissent. Ensuite, la collaboration s’engage entre l’équipe et les artistes. Cela fonctionne bien quand l’artiste a postulé parce qu’il souhaitait se consacrer à une réflexion sur la documentation de ses œuvres et se rend disponible pour y travailler avec nous. C’est sûr qu’il y a de la frustration à sélectionner car il y a beaucoup d’artistes qui pourraient faire partie du fonds mais cette sélection nous permet de travailler dans de bonnes conditions avec chacun, de les accompagner et de traiter avec soin l’ensemble de leur documentation. Chaque dossier comprend en moyenne deux cents images, des contenus qui sont parfois complexes ou très vastes comme pour des artistes qui ont plus de 40 ans de carrière. C’est un vrai chantier éditorial passionnant mais qui nécessite de se concentrer avec eux, d’être un vrai interlocuteur.

Affiches de Delphine Balley et de Marine Lanier, parmi l’édition réalisée par DDA-RA en 2020 – © Les artistes, DDA-RA,
Œuvres représentées : Delphine Balley, « Souffler dans les vessies », photographie extraite de la série « CHARIVARI », 2019 et Marine Lanier, « Fossile », photographie extraite de la série  » Nos feux nous appartiennent « , 2010

Q+E : Au vu de cette sélection d’artistes, peut-on définir ce qu’est l’art contemporain ?

LML – C’est une question difficile. J’espère qu’à chaque sélection, on arrive à constituer un ensemble d’artistes qui soit suffisamment diversifié pour que la totalité du fonds soit représentative de la richesse des pratiques en art contemporain. Bien sûr, notre site n’est pas exhaustif et on ne peut pas dire qu’on représente toute la scène artistique d’un territoire.

Ce qui nous permet de penser que notre fonds, qui se développe progressivement, offre un aperçu assez large de la création contemporaine, c’est de renouveler les membres du jury, de convoquer les regards croisés de personnes qui viennent des domaines privés et publics, de la région et d’ailleurs, qui représentent différentes typologies d’acteurs culturels. Parfois, ce n’est pas le moment d’être sélectionné sur ʺDocuments d’artistesʺ pour diverses raisons, en revanche le travail suscite l’intérêt d’un professionnel durant le jury, ce qui pourra susciter d’autres propositions.

Nos sélections ne suivent pas une ligne artistique comme un lieu de diffusion par exemple qui est tout à fait légitime de proposer une programmation signée. Néanmoins, quand on conçoit la documentation des artistes, on pose notre propre regard sur leur démarche, notre ligne de pensée ; on leur propose une organisation de leurs œuvres. Il y a forcément un filtre selon notre sensibilité artistique. J’ai découvert après avoir fait l’école d’art à Valence et eu des expériences de commissariat et de critique, que c’était tout aussi passionnant de se consacrer à la documentation du travail des artistes, car on se plonge dans chaque production en essayant de leur proposer des formes de représentation adaptées à la singularité de leurs démarches. On collabore avec les artistes une fois que le comité de sélection a choisi et c’est passionnant de découvrir un artiste dont on ne connaissait pas encore le travail ; la rencontre est précieuse et stimulante. L’autre aspect précieux de notre travail est la possibilité de suivre et soutenir le parcours de l’artiste dans la durée, c’est un enjeu essentiel de notre mission.

Entrevue réalisée le 29 octobre 2021, Valence