Remarquable pour son intérêt patrimonial, son architecture et son système d’éclairage zénithal, ancien atelier de l’artiste Jean-Marc Chevallier (1945 – 2012), l’espace Oroeil doit maintenant trouver sa place dans la vie culturelle de Chabeuil. Situé dans le centre historique, ce lieu a toutes les qualités pour contribuer à revitaliser le centre-ville.

Du moulin à l’usine

A l’emplacement de ce bâtiment aux allures d’usine désaffectée se trouvait au 15° siècle « un des plus anciens moulins de Chabeuil. (…) Le moulin à blé et le pressoir à huile, rue Bruyère, ancienne rue du Béal des moulins, font partie des cinq moulins delphinaux » (*). Alimenté par le canal des Moulins, il n’en reste maintenant que le canal et la pierre de meule. Au début du XXe siècle, une petite usine de filature fut construite, transformée en magnanerie après la guerre de 14-18.L’activité s’arrête dans les années 1940 après le décès du propriétaire Ferdinand Dusserre. La filature sera ensuite démontée par les enfants, et le pressoir remplacé par les garages.
Vue aérienne du centre historique et de l’usine © Association Canal des Moulins de Chabeuil
Emplacement du moulin et magnanerie (rouge), de la maison du propriétaire (orange), de l’usine (jaune) © Association Canal des Moulins de Chabeuil

De l’usine à l’atelier d’artiste et la galerie d’art

Nouveau propriétaire du lieu, Jean-Marc Chevallier transforme l’usine en atelier ; il fait alors intervenir en 1987-88 l’architecte Bernard Penel pour des travaux de réhabilitation : aménagement et isolation de son atelier d’artiste à l’étage, et au rez-de-chaussée création d’une galerie destinée à exposer des œuvres d’artistes contemporains, avec la protection contre les effractions exigée par les compagnies d’assurance. En 1994 il fait aménager l’escalier en fer menant à la terrasse, communiquant directement avec son atelier (*) .
Galerie d’art contemporaine à Oroeil © archives de Bernard Penel
Affiche d’un concert de Jazz, Espace Oroeil, 1996

Plusieurs concerts et expositions ont eu lieu dans la galerie : Georges Folmer en 1988, Gérard Dicrola en 1989, et le Groupe Panique en 1993, avec notamment Olivier O. Olivier, Roland Topor…

Un système d’éclairage lié à l’architecture

De plan rectangulaire, le bâtiment est construit sur deux niveaux : le rez-de-chaussée d’une surface de 120 m2 accessible de la rue Bruyère, et l’étage de 205 m2 accessible par la Côte Chaude. L’étage supérieur est surmonté d’un lanterneau, construction basse surélevant le toit du bâtiment, couvert de vitrages latéraux, servant à la ventilation et à l’éclairage.
Coupe du bâtiment et sur le lanterneau
Lanterneau vu de l’intérieur © T. de Ferron

Pas d’éclairage zénithal sans ses hautes verrières, pas de verrière sans son lanterneau, pas de lanterneau sans l’énorme charpente en bois pour soutenir le tout.
Ces longues verrières situées à 5 m. du sol, de part et d’autre du lanterneau, sur une longueur de 20 m. et une hauteur d’environ 1.90 m. constituent un système d’éclairage zénithal : la lumière du jour vient directement d’en haut et diffuse une lumière oblique, uniforme et sans ombre. C’est une véritable « lumière-outil » qui permet de travailler confortablement, tant dans la filature qu’en atelier d’artiste. Cet éclairage zénithal, économique et puissant, est complété par trois fenêtres au sud-est et trois baies à l’ouest qui renforcent la luminosité le matin et en fin d’après-midi.
Il n’est pas étonnant que Jean Marc Chevalier ait voulu investir l’atelier à l’étage supérieur car il est connu que l’usine et l’atelier d’artiste demandent les mêmes performances et qualités en matière d’éclairage naturel.

Vivante, changeante, selon l’heure du jour et des saisons, cette « lumière d’atelier » participe au confort et à l’inspiration de beaucoup d’artistes, car toujours homogène, à la fois discrète et naturelle.
Rappelons que Jean-Marc Chevallier a fait de cet espace exceptionnel son atelier d’artiste pendant plus de 20 ans !

Espace Oroeil, Chabeuil © Philippe Petiot

Quel avenir pour Oroeil ?

Après le décès de Jean-Marc Chevallier en 2012, la commune de Chabeuil acquiert Oroeil, en s’engageant « à conserver pour cet espace une vocation artistique et culturelle » (*).
Une étude de positionnement, de faisabilité et de programmation de l’ancien espace d’Oroeil est alors réalisée sur la base du projet d’une école de la photographie pour amateurs avec un lieu de résidences artistiques… Ce projet n’a pas été concrétisé, pas plus qu’un projet associatif récent. Seuls quelques aménagements ont été faits, qui n’ont pas vocation à devenir permanents.

En 2022 se repose la question du devenir de ce lieu et de son usage.
Aujourd’hui il semble indispensable de réfléchir à un projet culturel tirant parti des qualités et contraintes de ce site exceptionnel, selon les ambitions culturelles de la commune de Chabeuil, en lien avec celles de l’agglomération, et en complémentarité avec des structures drômoises, régionales, nationales et européennes.

Deux priorités : respecter l’engagement pris par la commune et conserver intacts les volumes de chaque étage, et les capacités du système d’éclairage du premier étage qui font de ce lieu un bâtiment exceptionnel.

Le site Oroeil, un espace d’exposition artistique

Plusieurs arguments en faveur d’un lieu d’exposition d’art se présentent aujourd’hui :

– Sa lumière : uniforme et douce, qui a le pouvoir d’émouvoir le visiteur à chaque visite comme on peut le ressentir dans les salles des Nymphéas de Monet à l’Orangerie à Paris : « Plus la surface émettant la lumière est grande, plus la lumière est perçue comme douce, car sans ombre ». Cette lumière diffuse estompe les contrastes et projette peu d’ombre voire même aucune.

– Son grand plateau modulable, idéal pour les « installations » d’artistes vivants (*). Son volume important et la hauteur sous toit permettent l’exposition d’œuvres monumentales. Les poutres transversales offrent des possibilités d’accrochage intéressantes, originales et rares pour exposer des bâches, tapisseries…

– Un bâtiment passif : il possède une lumière naturelle toute la journée qui ne va pas solliciter la lumière artificielle sinon le soir. En réactivant les quatre vantaux ouvrables dans les verrières du landerneau, on peut éviter la climatisation et la façade sud peut recevoir des panneaux solaires imitant les tuiles en complément du chauffage au sol existant.

– Un artiste de notoriété : Jean-Marc Chevallier, proche du mouvement Support-Surface, partageait avec Claude Viallat la remise en cause du système de représentation traditionnel. Ancien pensionnaire à la Villa Médicis, il était professeur à l’école des Beaux-Arts de Cergy Pontoise jusqu’n 2011. Il fait partie des artistes reconnus dans la Drôme comme Jacques Clerc, Jean-Paul Domergue, Philippe Favier, Alain Fournier, Ann Veronica Janssens, André Lhote, René Schlosser, Jean-Patrice Rozand, Matthew Tyson, Vanber … Il est logique d’ouvrir un espace d’exposition dans son atelier.
Jean-Marc Chevallier fait également partie des collections du musée de Valence. Son œuvre “Écorché de marelle” (Collage et huile sur toile, 1983) était exposée en 2021 à côté de celle de Simon Hantaï (*) dans la grande salle d’art contemporain. Comme une deuxième consécration par le musée de Valence.

Œuvres de Simon Hantaï et de Jean-Marc Chevalier au musée de Valence, 2021 © T. de Ferron /Jean-Marc Chevallier © Marie-Hélène Dhénin, 2010

– Un patrimoine remarquable : par ses qualités architecturales et son histoire, le bâtiment a un fort intérêt patrimonial et fait partie de l’inventaire réalisé sous la direction scientifique de la Conservation départementale du patrimoine de la Drôme (*) ; il pourrait être intégré dès à présent au parcours de visite de Pays d’art et d’histoire de l’agglo Valence-Romans.

De nombreux lieux industriels ont été transformés en galeries ou musées et présentent de grandes qualités spatiales adaptées à des activités culturelles comme ces exemples :

A lieu d’exception, expositions d’exceptions !

L’enjeu actuel est de définir une programmation exigeante comprenant des artistes de notoriété correspondant au lieu et en écho à l’œuvre de Jean-Marc Chevallier. Cette orientation exige une ambition culturelle et des moyens financiers plus importants ne reposant pas seulement sur la commune de Chabeuil mais bénéficiant du soutien de l’Agglo Valence-Romans, du Département de la Drôme, de la DRAC, de la Région Auvergne Rhône-Alpes, de l’Europe.

Après des travaux de réhabilitation menés sous la direction d’un architecte, le commissaire d’exposition organisera l’exposition en lien avec l’éclairagiste et le scénographe, Chabeuil et la région possèderont alors avec l’espace Oroeil un surprenant espace d’exposition d’art !

En savoir plus sur Jean-Marc Chevallier :

« En mémoire de Jean-Marc Chevallier, 1945-2012 », Billet de blog du 26/12/2012, Médiapart 
Catalogues d’expositions disponibles à la bibliothèque du musée de Valence (Réf 709.2 CHE) :

Ecorchés de Marelles – paysages, paysages de Vermeer à la carte,
Catalogue de l’exposition,
Musée de Valence,
28 juin – 4 Septembre 1983.

Marelles 1978-1979 et autres propositions depuis 1972,
Textes de Raoul Jean Moulin
et Christian Prigent.
Entretien avec Jean-Noël Vuarnet;
Exposition à l’Académie de France,
Villa Médicis, Rome, 1979.

Mot-bulle, influx et fluxion,
Exposition à la Galerie d’art de la ville de Créteil,
14 juin – 5 juillet 2008.