L’arbre est l’objet d’une grande attention depuis une dizaine d’années dans un monde préoccupé par la transition écologique. En France, on l’a constaté pendant les campagnes municipales de 2020 où la plantation des arbres était devenue un argument politique majeur au même titre que la réduction des inégalités sociales ou l’aménagement urbain. Chaque ville a surenchéri : Strasbourg 1000 nouveaux arbres plantés ; Paris 170 000 arbres et quatre micro-forêts, Valence 7000 arbres d’ici 2026…

L’arbre est perçu par les uns comme un mobilier urbain, par les autres comme un acteur de la biodiversité et de l’équilibre environnemental ou un des composants du paysage ; il est aussi source d’inspiration pour l’écrivain ou l’artiste, source de bien-être, objet de culte et de vénération ou encore sujet de curiosité dans un parc ou une exposition.

Avec son approche de paysagiste, Delphine Barnier nous invite à porter un nouveau regard sur cet étonnant organisme vivant et ce bien d’intérêt général ; elle nous fera part de la richesse de l’arbre et des enjeux actuels au fil de plusieurs articles.

En tout premier lieu, il est essentiel de s’entendre sur le fait que l’arbre est un ETRE VIVANT (*) A PART ENTIERE ; en cela, il répond aux mêmes besoins que tout être vivant à savoir : respirer – se désaltérer – se nourrir – grandir – communiquer – se soigner – se reproduire mais aussi se reposer.

Cependant, il ne possède que trois organes : racine, tige et feuille pour répondre à l’ensemble de ses besoins alors même que l’homme et l’animal ont une centaine d’organes spécifiques et différenciés pour orchestrer et assouvir ces mêmes besoins, donc respect !

Exposition L’arbre, de la petite graine à la vieille branche, Les Clévos-cité des savoirs à Etoile-sur-Rhône.
Chêne, Gigors et Lozeron (26) © JP. Bos

Particularités

De plus, l’arbre possède deux particularités qui le distinguent du reste du monde végétal, étant entendu bien sûr que toute plante est un être vivant à part entière selon les explications de Christophe Drénou (*) : « Pour appartenir au groupe des arbres, deux conditions doivent être réunies. La première est de posséder un cambium, c’est-à-dire une fine couche embryonnaires située sous l’écorce et produisant chaque année un nouveau cerne de bois. La deuxième est de construire un tronc unique nettement individualisé. » (ill. 1)

Ill. 1 Coupe transversale d’un tronc d’arbre (Schéma de Van Diem THI/CNPP Entreprise · Laporatoire Feu)

Suivant cette définition, en sont exclus les palmiers qui sont démunis de cambium pour assurer une croissance en largeur du tronc. Ils ne possèdent pas non plus un tronc mais un stipe à savoir une tige remplie de moelles ou de fibres, comme les bananiers qui possèdent une tige souterraine dont la structure aérienne est formée par la juxtaposition de gaines foliaires (bases de la feuilles). Ces végétaux pouvant atteindre pour certains les 30 m. de haut (palmiers) ne sont pas considérés comme des arbres mais plutôt comme des herbes, géantes certes mais herbes quand même !

Palmiers, Séville © CB

La notion de sujet

Un sujet est un individu, ce qui sous-entend qu’il ne peut être divisé. Or, l’arbre en soi n’est pas un individu, aussi surprenant et stupéfiant que cela puisse paraître. L’arbre n’est pas un JE mais un NOUS tel qu’ont pu le démontrer déjà Charles Darwin en 1800 : « Chaque bourgeon d’un arbre étant une plante individuelle, un arbre est une famille de plantes individuelles » et le confirmer Jean-Henri Fabre en 1892 dans son ouvrage (*) La plante : leçon à mon fils sur la botanique : « Ainsi l’arbre peut se subdiviser en autant de nouveaux plants distincts qu’il possède de rameaux; à son tour, le rameau peut en fournir autant qu’il porte de bourgeons; mais le bourgeon n’est plus divisible, il périt par le fractionnement. L’individu végétal est donc le bourgeon. »

L’arbre est une colonie d’individus que l’idée dérange ou non. Et la citation percutante de Francis Hallé vient confirmer la supériorité de l’arbre : « Pour le végétal, diviser c’est se multiplier, pour l’animal, diviser c’est mourir. »

Platanes du parc Jouvet, Valence © R. Chambaud

Premières forêts et arbres oubliés

L’intérêt que suscite l’arbre aujourd’hui est un juste retour des choses. Dès la préhistoire, l’homme de Cro-Magnon a omis la présence de l’arbre (et du végétal !) dans ses représentations alors même que l’arbre le plus vieux du monde est un Houx de Tasmanie âgé de 43 000 ans, donc déjà vénérablement plus âgé de 7 000 ans à la création des peintures pariétales de la grotte Chauvet !Jusqu’à nos contemporains qui se pâment, lors d’incendies malgré plusieurs hectares de forêts décimées, de ne déplorer aucune victime !

A la question quel est l’être vivant le plus grand sur terre ? Faites le test, de toute évidence les réponses iront vers la baleine ou les dinosaures, mais non – à de très rares exceptions près – vers les arbres qui battent pourtant tous les records (encore un !) en s’élançant pour le Séquoia de Californie et l’Eucalyptus d’Australie à 120 m. de hauteur. A côté, le plus grand des dinosaures semblerait bien riquiqui et pourtant, c’est lui qui nous fascine !

Vieilles de plusieurs millions d’années, les premières forêts offrent toutes nos ressources carbones (pétrole, charbon, gaz) que nous consommons à hautes doses pour nos besoins frénétiques en énergie, et elles viennent d’un temps (*) où dominaient fougères arborescentes, palmiers, prêles géantes, d’un monde dans lequel l’arbre était en devenir, à l’état embryonnaire de l’évolution où il n’existait ni arbres à fleurs, ni sols fertiles, ni mammifères ni même les dinosaures.

Au même titre que les pensées ont su évoluer et finir par reconnaître que c’est bien la terre qui tourne autour du soleil et non l’inverse, il serait temps que l’homo sapiens du 21e siècle arrête de penser qu’il est le centre du monde et que tout gravite autour de lui. De toute évidence, et cela n’engage que moi bien évidemment, c’est à l’arbre que revient cette fonction d’être au centre de notre écosystème terre et non à l’homme. Nous ne sommes qu’une infime partie d’un tout. A nous de faire notre révolution de conscience dans ce sens et j’ose croire que ce mouvement est en action.

En tout dernier lieu, pour reprendre le propos de Francis Hallé déclarant « L’homme est un « primate arboricole » », j’aimerai pour conclure vous faire partager l’extrait d’un livre que je trouve admirable de Richard Powers L’arbre monde : « Ce monde n’est pas notre monde avec des arbres dedans. C’est un monde d’arbres, où les humains viennent tout juste d’arriver ! »

Chêne labellisé Arbre remarquable, Êrôme © R. Chambaud

BIBLIOGRAPHIE

Christophe Drénou, L’arbre. Au-delà des idées reçues, CNPF Institut pour le Développement Forestier, 2016
Jean-Henri Fabre, La plante : leçons à mon fils sur la botanique, Librairie Ch. Delagrave, 1892 (1ère édition)
Francis Hallé, Du bon usage des arbres. Un plaidoyer à l’attention des élus et des énarques, Actes Sud, 2011
Richard Powers, L’arbre monde, Editions du Cherche midi, 2018