Lors du numéro 1, nous avons vu que l’arbre n’est pas un Je mais un Nous, c’est-à-dire un être collectif, que nos vies dépendaient entièrement de la forêt pour enfin conclure que l’homme était un « primate arboricole ». Mais qu’est-ce à dire que d’être un « primate arboricole« (*) ?

Auteure
Delphine Barnier-Meslalla

Imaginez ! Vous vous trouvez dans une forêt dense, sauvage, primitive, bruyante et grouillante de vie. Au sein d’une écosystème en parfait équilibre d’une richesse inouïe.

Vous ne vivez pas au niveau du sol, pour la simple raison qu’ il ne s’y passe pas grand-chose, il y fait sombre et humide et surtout ce n’est pas là que la vie grouille et s’exprime. Vous vous trouvez bien plus haut, au niveau de la canopée là où le soleil brille de mille feux et où l’exubérance du vivant est à son comble. Vous êtes assis tranquillement sur une branche haute et vous savourez un mets des plus goûteux, un fruit charnu et pulpeux que vous décortiquez soigneusement.

Parc National de Ranomafana – Madagascar © Joey Allen

Vous êtes un petit primate avec une face simiesque, non poilue, habillé d’une fourrure mais dépourvu de queue. Votre colonne vertébrale souple et flexible vous offre mille possibilités de mouvements. C’est une caractéristique remarquable. En effet, votre position assise inscrit votre dos en posture verticale ce qui libère vos mains. Ces dernières vous permettent de saisir et d’attraper tout ce qui se présente à vous et s’avèrent être un outil fantastique de dextérité et de très haute sensibilité tactile. Chacune se compose de 5 doigts équipés d’ongles (et non de griffes) aux phalanges articulées ainsi qu’un pouce opposable.

A cela s’ajoutent des membres longs avec des articulations très mobiles au niveau des épaules, du bassin, des bras, des jambes. Cette mobilité dans vos mouvements vous offre une agilité admirable et fait de vous un acrobate hors pair ! Les arbres sont votre maison que vous partagez avec toute une communauté d’autres habitants : Epiphytes, Lianes, Serpents, Lémurs, etc. – et que vous traversez en vous balançant de branches en branches avec une aisance déconcertante.

Epiphyte (Epi : sur /et phyte : plante), des plantes qui poussent sur d’autres plantes

Imaginez l’état de stupéfaction d’un paresseux (*)qui vous regarde ! Et bien, il ne s’en est jamais remis et est resté figé depuis, mais ça, la communauté scientifique l’ignore !

Vous possédez un nez (et non un museau) et deux yeux situés de part et d’autre de ce dernier et en position frontale de votre face. Cette disposition est garante d’une très bonne perception vous permettant de bien évaluer les distances et le relief. A 60 mètres voire 80 mètres de hauteur, la moindre erreur d’appréciation vous serait fatale mais, à contrario, vous avez perdu au niveau de l’odorat.

Parc National de Ranomafana – Madagascar © D. Barnier-Meslalla
Paresseux à gorge brune (Bradypus variegatus), Lac Gatun, République de Panama.

Il est à noter, que les herbivores (ce qui n’est pas votre cas, vous êtes omnivores) donc de potentielles proies sont équipés d’yeux disposés latéralement sur leur face, permettant ainsi de couvrir un plus grand champ de vision et de percevoir un danger arrivant par l’arrière. Votre vue, aussi, est extrêmement précise, tellement précise, que la gamme des verts est la couleur où vous percevez le plus de nuances (encore confirmée aujourd’hui !) vous offrant une meilleure chance de survie pour la prédation, la cueillette, la dissimulation. Le vert est votre refuge. Mais d’autres yeux vous guettent inexorablement vous mettant à l’affût du moindre son que vos oreilles fort bien développées vous signalent.

Vous êtes équipée d’une mâchoire mobile pour broyer, mâcher, couper. Vous possédez 32 dents adaptées à un régime varié qui se trouve au sein de la canopée à savoir feuilles, fruits, graines, bourgeons, écorces, myriades d’insectes, miel, œufs, oiseaux, petits mammifères ainsi que des reptiles. Tout se trouve dans votre arbre, pas besoin de descendre, service assuré à l’étage. Vous y dormez, aussi, recroquevillé dans le creux d’une branche, sur un matelas de mousse et d’entrelacs de brindilles savamment ramassées et étalées.

Vous vous reconnaissez ? Vous êtes un singe moderne, il y a -35 millions d’année (MA) !

Tous ces acquis dans les arbres font de vous l’homme d’aujourd’hui et pourtant vous n’êtes pas encore bipède. Une autre grande révolution suivra, il y a entre -9 à -6 MA ; c’est la séparation de la ligne humaine des autres branches des grands singes, c’est le mystérieux passage des Hominoïdes (*) aux Hominidés (*) Le début des hominidés est la branche qui mènera jusqu’à l’Homme. Ces premiers hominidés vivent encore partiellement dans les arbres, ils restent donc ARBORICOLES mais la bipédie est déjà utilisée comme moyen de locomotion.

On y trouve, pour ne citer que les plus connus :

• Toumaï
estimé à -7 MA
découvert au Tchad (Sahelanthropus tchadensis)

• Orrorin
estimé à -6 MA
trouvé au Kenya
(Orrorin tugenensis)

Lucy
-3,2 MA
découverte en Ethiopie (Australopithecus afarensis )

Abel
-3,5 à -3 MA
trouvé au Tchad
(Australopithecus bahrelghazali)

Schéma Evolution des hominidés (D’après des graphiques modifiés de Pascal Picq (Les origines de l’homme et Au commencement était l’homme), Jean-Jacques Hublin ( Quand d’autres hommes peuplaient la terre), D. Grimaud-Hervé (Histoires d’Ancêtres, 2015) – Schéma Copyright Neekoo pour Hominides.com (Versions 27/09/12, 29/08/17.)

Il nous faudra attendre encore le Paléolithique (du grec « palaios » pour « ancien » et « lithos » pour « pierre ») pour qu’apparaisse la première espèce du genre Homo.

L’Homo habilis (homme habile, en l’occurrence de ses mains pour façonner ses outils) qui apparait vers -2,4 MA, composé exclusivement de chasseurs-cueilleurs. Mais cette idée divise la communauté scientifique car d’autres penchent pour Homo erectus (homme debout CAR lui, est strictement bipède. Il maîtrise le feu ; oh Yeah, un homme, un vrai !), né il y a -1,9 MA.

Quant à nous petits terriens, nous émergeons timidement en tant qu’Homo sapiens il y a 300 000 ans environ. Pour apprécier à sa juste mesure cette chronologie, il est bon d’avoir en tête que :

la terre est vieille de 4,5 milliards d’années,
la vie sort de l’eau pour conquérir la croûte terrestre il y a environ -435 MA
les premières forêts sont apparues au Dévonien entre -350 à -380 MA environ
l’extermination des dinosaures a eu lieu il y a -65 MA

Je vous laisse apprécier notre inconsistance à l’échelle de l’évolution ! L’expansion et le déclin de toutes les autres espèces du genre Homo (14 espèces recensées au vu des connaissances actuelles) s’achèveront vers -12 000 ans il ne résidera plus sur Terre qu’Homo sapiens.

Pour conclure, je reprendrai à nouveau une célèbre phrase de Francis Hallé : « L’homme descend du singe mais le singe descend de l’arbre ».

A noter toutefois que cette citation comporte une ambiguïté qu’ôte Eric Pincas dans son livre La Préhistoire, vérités et légendes : « Ethologues, primatologues et paléontologues affirment aujourd’hui, de concert, que nous ne descendons pas du singe puisque nous sommes des singes ! «  (*).

Nous sommes la résultante d’une évolution qui a trouvé sa matrice sous la canopée. Tout ce qui nous constitue physiquement aujourd’hui découle de notre vie passée dans les arbres pendant des millions d’années. Il serait fâcheux de l’oublier pour enfin relever la tête et contempler avec gratitude et émerveillement notre mère originelle la Forêt.
Et, à son image, nous lui renvoyons la verticalité propre à notre espèce.

Ainsi je vous quitte avec un slogan qui n’engage que moi :

« Hé, Terrien ! Sans l’arbre, « t’es rien ! » »

BIBLIOGRAPHIE

Coppens Yves et Picq Pascal (dir.), Aux origines de l’humanité, Fayard, 2001.
Hallé
Francis, Plaidoyer pour l’arbre, Actes Sud, 2005.
Hallé Francis (avec Dany Cleyet-Marrel et Gilles Ebersolt), Le radeau des cimes. L’exploration des canopées forestières, JC Lattès, 2000.
Harari
Yuval Noah, Sapiens : une brève histoire de l’humanité, Albin Michel, 2015.
Lenne Catherine, Dans la peau d’un arbre, Belin, 2021.
Pincas Eric, La Préhistoire, vérités et légendes, Perrin, 2020.