Soutenir la création à travers différentes formes de résidences, mettre en relation les créateurs avec la richesse de l’environnement territorial aussi bien local, départemental que régional, impliquer les habitants et les acteurs culturels, touristiques et économiques du territoire, tels sont les objectifs de l’association Maison de la Tour/Le Cube, implantée à Valaurie. Ses activités ont lieu principalement dans l’espace de l’ancienne maison consulaire, la Maison de la Tour, et au Cube, lieu de résidence d’artistes créé en 2011. Sa singularité se situe dans la réflexion sur les relations création et territoire et dans l’inlassable exploration des formes artistiques, mises en lumière ici par Dominique Liautard-Philippot, chargée de projets.

Auteur-e-s :
Dominique Liautard-Philippot / Q+E

Q+E : L’association met en place chaque année une programmation culturelle à travers des résidences, des expositions, des rencontres… et propose également des événements dans le domaine du spectacle vivant. Plusieurs formes de résidences sont en cours, notamment la résidence-mission. Pouvez-vous définir sa spécificité et quel est le projet conduit actuellement ?

DLP – La résidence-mission par rapport à la résidence de création est une résidence qui a pour objet non pas de produire une œuvre mais de partager sur le territoire des pratiques et des process de création ; ainsi ce n’est pas le résultat qui est intéressant. Les deux artistes en résidence actuellement, Linda Sanchez et Baptiste Croze, ont répondu à un appel d’offre émis par Angle art contemporain (Saint-Paul-Trois-Châteaux), Atelier Chroma (Saoü) et nous (Valaurie). Ces trois structures, à la demande de la DRAC/Action culturelle, du Département de la Drôme et de la Délégation Académique des Arts et de la Culture/Education nationale nous ont proposé de concevoir une résidence sur nos trois territoires nommée ’’Partage de pratiques artistiques contemporaines : Itinérance sur un territoire’’.

Les deux artistes, arrivés il y a un mois, ont surtout œuvré sur les territoires de Valaurie et de Saint-Paul-Trois-Châteaux et interviendront plus tard dans le cadre de SILLON à Saoü. Ils travaillent sur les formes, les paysages, et leur leitmotiv est « le territoire devient notre atelier ». Ils logent au Cube à Valaurie (ill. 1, 2), ont un petit atelier à Angle et circulent sur tout le territoire. Ils ont réussi à se mettre en dialogue et ont entrepris une série de rapprochements et d’actions avec par exemple le musée de la Mémoire agricole installé dans l’Abbaye Notre-Dame d’Aiguebelle à Montjoyer. Ils ont également investi à travers un projet nommé ‘’Images vacantes’’ toute une série de panneaux laissés vides par les communes en y installant des photos pour créer un parcours – ce qui a été très apprécié par les habitants qui ont envie de continuer cette appropriation de l’espace.

Ils ont une approche très intéressante sur l’art contemporain, sur la manière dont on peut renouveler le rapport au territoire et ont trouvé l’appel à projet très décalé et novateur dans ce lien avec le territoire qui fait vraiment partie des critères fondamentaux de la Maison de la Tour. Nous sélectionnons des projets de création qui ont à voir avec le territoire, à travers des collaborations, un partage des compétences et des connaissances sur l’histoire du territoire. L’idée fondamentale est que l’artiste n’est pas dans sa bulle, ne vient pas créer son œuvre puis s’en va.

1 – Le Cube © Mairie de Valaurie
 2 – Le Cube, intérieur © Maison de la Tour

Q+E : Quelle est la place de la production dans les résidences ?

DLP – Dans les résidences de création, les artistes produisent des œuvres qui seront présentées au public. Dans la résidence-mission, ils ne sont pas obligés d’avoir une production ; cependant Angle et la Maison de la Tour, nous souhaiterions qu’à l’issue de leur résidence, Linda Sanchez et Baptiste Croze puissent montrer leur travail dans une exposition en miroir de ce qu’ils ont partagé sur le territoire. Ils ne sont pas là pour produire des œuvres mais pour faire circuler leur pratique et échanger des pratiques et des savoirs.
Une résidence-mission est un travail dans la dentelle demandant de s’immerger et notre rôle en tant qu’association est de donner aux résidents une forme de lecture du territoire mais ce sont eux qui effectuent le travail de rapprochement, de digestion.

Q+E : Comment sont choisis les artistes dans le cadre des résidences de création ?

DLP – Pour les résidences de création au nombre de 29 aujourd’hui, la sélection est faite à partir des nombreuses demandes que nous recevons ou bien un appel à projets est lancé comme en 2019. Cette année, nous souhaitions avec Angle qu’un artiste puisse créer sur le territoire, avec le territoire dans un rapport avec le public différent de la consommation culturelle. Ainsi dans le cadre de l’opération « Détours », on a créé « D’un lieu en lieux » et lancé un appel à projet intitulé « En plein milieu ». Ont été choisies la plasticienne Johanna Teule et la poétesse Anne Rapp qui ont eu deux mois pour réaliser une création à partir d’une démarche territoriale. L’une a écrit un guide poétique du territoire et l’autre a fabriqué un distillateur pour le moins original avec les ressources glanées sur le territoire.

Il n’y a pas de comité de sélection qui s’avère lourd à organiser. On a fait l’apprentissage de ce qu’est une résidence d’artiste et on s’est positionné comme des accompagnants, en mettant en place les conditions d’accueil et les moyens de production, en cherchant des financements et en se distinguant par une démarche territoriale et le numérique. La question du territoire se retrouve également dans notre programmation de spectacles vivants à La Salle de Valaurie, où là aussi on collabore avec d’autres structures telles que la Comédie itinérante de Valence, le Centre dramatique des villages, ou des associations et salles de proximité, la dernière en date l’Espace culturel Saint Germain à Roussas animé par l’association Culture et Loisirs.

Q+E : Quels sont les domaines culturels concernés par les résidences de création ?

DLP – La création est pour nous très ouverte : il y a des gens du théâtre, du numérique, des écrivains, des musiciens, des plasticiens, bientôt des gens de la marionnette… sauf la danse qui demande un matériel particulier. Comme Le Cube est avant tout un lieu de conception et d’habitation, on invite l’artiste à produire ailleurs sur le territoire – ce qui permet de créer des liens et de travailler avec des lieux de production comme les entreprises, les fablabs …

Q+E : Dans les résidences de création, quels sont les différentes étapes et les moyens donnés à l’artiste ?

DLP – Les résidences de création comprennent une production, une restitution et une diffusion à travers des expositions, éditions, interventions publiques, représentations théâtrales… Sur la partie diffusion, on accompagne un peu l’artiste mais c’est un autre champ de savoir-faire ; en général on passe le relais auprès de structures, d’agents, de fondations….

Dans le cadre des résidences de création, on donne les moyens de la création, de la production, on offre le logement, les déplacements, les matériaux, les prestations extérieures et l’artiste reste propriétaire de l’œuvre et peut la vendre. La première année, l’association touche un pourcentage sur la vente. Pour la résidence-mission, des honoraires sont donnés aux artistes.

Q+E : Le numérique a une place importante dans votre démarche. Quelle est la nature des projets numériques ?

DLP – On choisit des artistes pour qui le numérique est une manière de donner ou de recevoir de la sensibilité esthétique ou physique ; on lutte ainsi contre l’idée que la technologie est un monde froid, de calcul. La plupart des œuvres numériques présentées sont des œuvres qui donnent à ressentir. On ne parle pas d’art numérique et on considère que le numérique est un moyen contemporain de création. Il peut porter une forme de création propre mais on reste dans le sensible.

De nombreux projets numériques ont été réalisés. Un des exemples intéressants est le projet « Fossiles numériques« , conçu par deux artistes plasticiens Petra Van der Meijden et Hans Pronk, d’origine hollandaise et installés en Bourgogne. Ils considéraient qu’en dehors des emballages plastiques, on ne laissait rien à nos enfants. Leur idée était de venir sur le territoire et de demander aux habitants ce qu’ils voulaient laisser ; grâce au numérique les objets seraient enregistrés, sanctuarisés et enterrés comme des fossiles, pour que plus tard, ils puissent être retrouvés par les générations futures. Ils ont travaillé avec 80 enfants, de la maternelle au collège, qui ont réfléchi sur ce qu’ils voulaient laisser. Ils ont écrit des textes, créé un espace numérique en travaillant avec des masques pour rester anonymes (ill. 3). Un enfant voulait laisser un dictionnaire, un autre une laitue ou une famille non divorcée. Et une douzaine d’adultes a choisi son objet, écrit un texte lu par un comédien ; chaque silhouette a été scannée, reproduite par l’imprimante 3D de l’entreprise NOVARC grâce au mécénat de compétence (ill. 4, 5). Les artistes ont fait une grande œuvre avec ces silhouettes et avec chaque objet. Cette œuvre existe sous forme numérique et physiquement et elle est actuellement présentée à l’abbaye Saint-Germain à Auxerre. Les silhouettes et les objets choisis auraient dû être enterrés mais certaines personnes n’ont pas supporté qu’ils le soient.

3 – Projet « Fossiles numériques », enfants masqués © Petrah
4, 5 – Projet « Fossiles numériques », habitants scannés avec leur objet © Petrah

Q+E : Quels sont les critères qui vous permettent de choisir les artistes résidents et quelle est votre conception de la création ?

DLP – On essaie de ne pas parler d’art contemporain mais d’art en train de se faire et d’inviter les gens à regarder les artistes d’aujourd’hui. Le critère commun à tous est la recherche : les résidents expérimentent, essaient, tentent quelque chose. On ne va pas définir au préalable des concepts, des problématiques de société comme l’environnement. On a la sensibilité de notre époque et bien sûr on est attentif à certains sujets mais ce sont les artistes qui nous proposent et de fait, on a plusieurs projets sur la dimension environnementale, Art/science, les femmes, le numérique, l’intime, etc. On prend des avis auprès d’autres artistes, de responsables de centres d’art, mais on souhaite rester très ouvert dans la sélection.

On a un projet actuellement avec Benjamin Just, « La forêt résiliente », projet conduit avec le CNRS et plusieurs partenaires car l’œuvre est conséquente. Il travaille sur la forêt à partir de la carte de la déforestation en temps réel. A partir d’un écran, il est possible de choisir une zone, de commander tout un dispositif qui est composé d’une vingtaine de rondins de bois évidés, rendus déformables, aux essences diverses provenant de différentes forêts, enrichis des sons pris au moment où les rondins de bois ont été ramassés, mis en lumière. Déformation, son, lumière sont pilotés numériquement, commandés par le déplacement du public sur la carte de la déforestation. C’est une approche qui fait réfléchir et fait écho à des préoccupations actuelles (ill. 6, 7).

6, 7 – Benjamin Just, « Respirez la forêt », installation interactive, 2017 ©vB. Just

Une autre artiste, Nadine Lahoz Quilez, travaille sur les fascias, membranes internes de notre squelette souple, qui jouent un rôle déterminant dans notre santé. Elle reproduit ces fascias avec divers matériaux représentatifs de l’aspect ‘’membrane », verres pilées, résines, perles, silicone … qu’elle agrandit. De nombreux congrès de médecins ont lieu aujourd’hui sur cette question. Une manière de sensibiliser le public à la question (ill. 8).

8 – Nadine Lahoz Quilez, Fascias, 2020 © N. Lahoz Quilez

Dans le cadre d’une résidence de création, on a sélectionné l’artiste marseillais Virgile Abela qui propose un projet d’harpes éoliennes, toujours avec du numérique. Il a été choisi pour ʺécouter le vent d’ici’’. L’intention est d’installer en 2022 sur la voie via Rhôna des câbles à 10 mètres de hauteur et deux harpes éoliennes de part et d’autre du Rhône. Les personnes en balade entendront le son des harpes. C’est un beau projet esthétique qui mêle le son, le numérique.

Autre résidence de création, celle-ci in situ par l’artiste Ursual Caruel. Le processus de création d’Ursula Caruel passe par l’observation du végétal environnant les lieux où ses installations sont présentées. Elle défend un art local et nomade où la question de la mise en vie du dessin est primordiale. Passionnée de botanique, elle étudie les processus de croissance du vivant pour en dupliquer la nature créative. Le dessin devient bio-mimétique et les espaces d’exposition des moments d’équilibre entre le geste et le silence. A travers une installation de dessins, un environnement sonore et une vidéo, Ursula Caruel fait entrer le paysage de Valaurie dans le dessin contemporain (ill. 9).

9. Ursula Caruel en résidence à la Maison de la Tour/ Le Cube, Valaurie, 2021

Un partenariat avec le 8 Fablab de Crest nous a permis de faire connaître l’impression 3D avec la terre, la transformation de gestes ancestraux avec les nouvelles technologies.

On peut également sélectionner un artiste dont la création est en résonnance avec une découverte sur le territoire. C’était le cas de l’œuvre présentée en septembre/octobre 2021 dans la Maison de la Tour, conjonction entre la démarche d’un artiste marseillais, Rodolphe Hammadi, et l’exploration scientifique de la grotte Mandrin. L’artiste a rencontré les scientifiques et a observé les méthodes de travail des archéologues ; il s’en est inspiré pour réaliser une sculpture-installation dans la Maison de la Tour à partir d’objets en bois, os, métal… (ill.10, 11).

Par an, l’association suit entre 3 ou 4 résidences ce qui correspond à une dizaine de projets annuels portés entre la production, la diffusion. Tous ces projets ont un point commun : l’expérimentation, une démarche d’essai et d’interrogation. Notre objectif est de trouver des projets qui permettent de ne pas donner une vision rébarbative de l’art contemporain.

Entrevue réalisée le 10 septembre 2021, Valaurie

10, 11 – Rodolphe Hammadi © C. Burgard