De la rencontre entre une architecte-designer et un jardinier, est né le studio artistique Nysa (*), créé en 2021 par Marion Saxod et Charles Guerlain qui conçoivent des projets « au croisement de la sculpture, de l’architecture, du paysage, de l’écriture et de l’expérimentation scientifique ».
L’odyssée de ce duo commence par la série de sculptures ʺGarde-tempsʺ qui est pensée à partir de fruits et de leurs graines issus de plantes pyrophytes. Une première sculpture en terre est en cours de création, réalisée avec l’imprimante 3D céramique du 8Fablab, Laboratoire de fabrication numérique installé à Crest.

Q+E – Quelle est l’origine du projet ʺGarde-Tempsʺ et d’où vient cette attention commune aux plantes pyrophytes ?

M S – C G : Charles et moi, nous avons un intérêt commun pour le paysage et les jardins depuis de longue date bien que nos formations et professions soient différentes : Charles en tant que jardinier, avec une expérience notamment au Domaine du Rayol – Le Jardin des Méditerranées (jardin paysager conçu par Gilles Clément et situé sur la corniche des Maures, en face des îles d’Hyères sur la commune du Rayol-Canadel-sur-Mer) pendant quatre années et moi en tant qu’architecte d’intérieur-designer, métier que j’ai exercé pendant une dizaine d’années.

Le projet ʺGarde-Tempsʺ a commencé par la recherche iconographique et biologique de graines et de fruits provenant de plantes pyrophytes (qui se renouvellent par le feu) ; très nombreuses, elles viennent de contrées lointaines – d’Australie, de Californie… – et ont des formes fractales, organiques, des matières marbrées… Nous recherchons non pas une ressemblance avec une graine particulière mais plutôt une évocation d’un animal, d’un coquillage ou d’une chimère.

La graine choisie pour ce projet est peut-être une écaille de gymnosperme que nous avons repérée d’après une photographie d’un auteur britannique passionné d’insectes et de nature. Nous la dessinons tout d’abord, la mettons en scène dans des univers comme ici dans une carrière.

Projet ʺGarde-Tempsʺ, dessin © Nysa
Projet ʺGarde-Tempsʺ, mise en scène dans une carrière © Nysa

Q+E – Comment s’opère le passage de la graine dessinée à la sculpture en 3D ?

M S – C G : A partir de la photo et de dessins de la graine, nous avons travaillé avec le 8Fablab et un des experts-accompagnateurs du projet avec qui nous avons identifié cinq « mamelons » différents disposés autour d’un centre enfoncé ainsi qu’un fût. L’image a été mise sur un fond et notre accompagnateur l’a sculptée dans la forme et l’a modélisée en 3D. Avant de commencer l’impression, nous avons retravaillé la forme globale, défini la hauteur de 85 cm de haut par 50 cm de diamètre, décidé de la coupure à 18 cm afin de former deux parties plus facilement imprimables qui seront ensuite assemblées.
Plusieurs recherches sont conduites sur le matériau, la couleur de la terre, les textures. Nous avons choisi des grès roux et blanc chamotés, un matière naturelle et biodégradable offrant une porosité ; la céramique ne sera pas émaillée pour que le parfum introduit ensuite dans un vase en verre puisse se diffuser librement. L’utilisation de ces deux couleurs de terre provoque des dégradés et donne un aspect plus vivant.
Tracé numérique de la forme (détail)
Projet ʺGarde-Tempsʺ, impression 3 D © Nysa

Q+E – Est-ce la première fois que vous utilisez une imprimante 3D ?

M S – C G : Oui c’est la première expérience. Depuis longtemps, nous voulions expérimenter cette technique car c’est un outil merveilleux bien que nous ne soyons pas pro-technologies à tout-prix. Nous avions repéré et échangé avec la startup XtreeE engagée dans des recherches en impression 3D à grande échelle dans le secteur de la construction. Nous nous sommes tournés ensuite vers le 8 Fablab dont l’échelle était plus appropriée à cette première approche de l’impression 3D Céramique, avec un côté plus ʺartisanalʺ.

Q+E – La technique d’impression 3D de la sculpture a-t-elle répondu à vos attentes ?

M S – C G : La complexité du projet n’a pas facilité la fabrication et a amené un constat paradoxal. Nous partons d’un être organique, vivant comme la graine et le fruit créés par la nature et nous travaillons avec une technologie qui est censée être très maîtrisée. Nous avons expérimenté une toute nouvelle fonctionnalité offerte par le logiciel d’impression pour parvenir à la construction de la partie haute de l’œuvre ; l’imprimante 3D a produit des formes aléatoires : c’était imprévisible de suivre son tracé et cela demandait beaucoup de concentration et d’interventions régulières. Avec cette technologie, la fabrication – qui reste lente – exige à la fois une attitude méditative et une attention constante. Un test d’une des parties de la sculpture peut durer sept heures…

Projet ʺGarde-Tempsʺ, détail de la matière © Nysa
Projet ʺGarde-Tempsʺ, détail © Nysa

Q+E – Quel est le choix du parfum et comment se diffusera t-il ?

M S – C G : Le parfum choisi devra interpeller, surprendre et ne pas être forcément agréable ; il doit avant tout évoquer le feu. Il est pensé avec le frère de Charles, Paul, parfumeur ; celui-ci est parti d’une balade poétique qu’il a réalisée autour de l’Etna en Sicile, paysage imprégné d’une odeur de genêts et de maquis brûlés, un parfum entre l’après incendie et la terre mouillée.
Le parfum sera contenu dans un récipient en verre et se diffusera grâce aux petites fentes créées dans la continuité des fils de terre. Beaucoup de tests sont en cours pour trouver le parfum qui saura raconter une histoire.
Projet ʺGarde-Tempsʺ, languettes pour les réserves © Nysa
Projet ʺGarde-Tempsʺ, réserves dans la matière © Nysa

Q+E – Quelles sont les étapes suivantes de fabrication de la sculpture et dans quel espace sera-t-elle montrée ?

M S – C G : Après une semaine de séchage, les pièces seront cuites dans le four du 8 Fablab et nous verrons si les deux parties s’emboîtent bien.
Ensuite seront fabriqués le piètement en métal pour supporter 20 à 23 kg et le cerclage dans lequel sera posé le contenant du parfum, comme une goutte en verre.
L’objectif est de l’exposer dans un espace public et de vendre la sculpture dont l’édition sera limitée à 3 exemplaires. L’idéal pour nous est qu’elle soit implantée dans un jardin – comme celui du domaine du Rayol -, dans un espace où on la découvre au bout d’un chemin sinueux, d’un chemin de traverse, et qu’en s’approchant, son parfum saisisse le promeneur.

Q+E – Quels sont vos autres projets et leurs intentions par rapport aux questions environnementales actuelles ?

M S – C G : Notre travail se recentre sur la scénographie de jardins et de lieux ou sur des installations artistiques et moins sur la réalisation ou la plantation de jardins. Parmi nos projets, il y a celui d’un jardin privé situé sur l’île de Bréhat en Bretagne dont le microclimat favorise la culture de plantes qui poussent parfaitement bien et qui deviennent des spécimens énormes. Nous établissons un parallèle entre les îles Canaries totalement volcaniques et l’île de Bréhat où il y a beaucoup de similitudes d’espèces florales et végétales.
Notre projet ʺVent deboutʺ prend en compte les contraintes du commanditaire, du terrain et du climat ; il consiste à créer des immenses calderas (cratère géant d’un volcan) de 16 à 26 mètres de diamètre en sculptant simplement le terrain. Dans chacun des cratères, sera implanté un jardin particulier irrigué par l’eau de ruissellement et une vraie scénographie lumineuse sera pensée pour ce jardin.

Un autre projet est conduit avec l’Observatoire marin de Cavalaire-sur-Mer dont l’objectif est de mieux connaître les milieux littoraux et de sensibiliser les usagers.
Dans le cadre d’un appel à projet, nous avions travaillé autour de l’oya * , mais nous n’avons pas été retenus. Cependant, les échanges ont continué avec l’Observatoire marin et nous lui avons proposé une création à partir de posidonies, herbes marines qui échouent le long des plages et qui sont détestées par les baigneurs*, mais c’est une espèce totalement protégée.
Intégré au programme de sensibilisation sur cette espèce, le projet ʺCellariumʺ consiste à créer une œuvre, sorte d’écosystème marin, sur la plage. C’est une cabane-observatoire en bois de 16 m2 dans lequel le visiteur pénètre et se déplace comme un poisson dans des espaces remplis de tubes de posidonies en mouvement. Ces posidonies sont juste empruntées le temps de l’installation artistique et seront ensuite remises en place.

Si avec nos projets poétiques, notre démarche éthique et environnementale, nous pouvons contribuer à changer les préjugés sur les posidonies, les graines, les éléments naturels soi-disant indésirables… Nysa aura joué son rôle.

Projet ʺCellariumʺ, cabane-observatoire, vue extérieure © Nysa
Projet ʺCellarium », vue intérieure © Nysa
Projet ʺCellariumʺ, axonométrie du principe constructif © Nysa