Mobilité,
urbanité,
attractivité
d’une ville
moyenne
1 – Retour sur Valence, les enjeux urbains des années 1980
Entretien avec Rodolphe Pesce, ancien maire de Valence
© Photo R. Chambaud
Les relations mobilité, urbanité et attractivité d’une ville sont vivement d’actualité à l’aune des questions sociales et environnementales du 21e siècle. A l’occasion de la révision du Plan Local d’Urbanisme de Valence et de ses conclusions, et de la 2e tranche de travaux sur le carrefour des Couleures, il est opportun de se pencher sur cette ville carrefour entre Paris et Marseille et entre les Alpes et le Massif central, ainsi que sur l’approche urbaine actuelle toujours définie par le trafic routier et le commerce aux dépens de la qualité de vie des habitants. Plusieurs articles permettent de retracer l’évolution des routes, de la nationale 7 à l’autoroute A7 qui a définitivement coupé la ville de son fleuve, de rappeler les tentatives de détournement ou de recouvrement de l’A7, de s’interroger sur la démocratie participative et sur le rôle d’une agglomération, et enfin d’évoquer les difficultés de penser la ville de demain.
Le premier article est consacré à Rodolphe Pesce, ancien maire socialiste de Valence, à son action pour réorganiser les flux et redonner une cohérence à la ville, à ses projets urbains traversés par ses réflexions sur la vie politique.
Rodolphe Pesce : –Tout d’abord, nos objectifs étaient d’arrêter le bruit, la pollution et le trafic routier important, et que la ville retrouve son fleuve. Valence n’est pas qu’une ville de passage, elle est aussi un espace de rassemblement, d’entrecroisement d’habitants de la Drôme.
En fait, on avait trois grands problèmes à résoudre. Le premier était le problème du deuxième pont sur le Rhône afin de décharger l’unique pont de la ville, le pont Mistral, et de faciliter la circulation avec l’Ardèche, et aussi d’assurer la continuité de la rocade de Valence. Cela a duré longtemps car les élus locaux n’arrivaient pas à se mettre d’accord : Saint-Péray et Bourg-lès-Valence souhaitaient que le pont soit construit au nord ; Valence préférait au sud. Nous savions que l’Etat interviendrait que si le contournement s’inscrirait dans le cadre du raccordement de l’autoroute A7 à la liaison Grenoble / Bourg-de-Péage par l’A49 et permettrait de rejoindre directement l’Ardèche. Il n’y a eu aucun débat avec la population, personne n’a entendu parler de cette aventure. Cela aurait été intéressant bien que l’expérience de la participation de la population soit parfois douloureuse…
Le deuxième problème était le contournement autoroutier de Valence devant assuré la continuité de l’A7 (Nord-sud) et de l’A49 (provenant de Grenoble et de la Suisse). Il y a eu beaucoup de débat avec les collectivités, le Conseil général, etc. ; ce n’était pas évident de contester le mythe de l’autoroute perçue comme un progrès moderne. A l’époque de la construction de l’autoroute, le journaliste valentinois Pierre Vallier, la municipalité de l’époque et la Chambre de commerce étaient contents de faire l’autoroute au bord du Rhône, alors que la Société de l’autoroute proposait les deux options : longer le Rhône ou contourner Valence. Je me souviens de cet article au sujet du passage de l’autoroute au bord du Rhône à Valence : « Enfin l’autoroute va passer à Valence ! Au moins les gens vont voir le parc Jouvet ! Et ils vont s’arrêter, venir manger au restaurant, acheter des produits. C’est merveilleux pour Valence qui va se développer ! »
On avait réglé le problème de l’arrivée au sud de la sortie sud de l’autoroute venant de Grenoble, celui du projet de contournement au nord. Il restait le déclassement de l’autoroute A7 le long de Valence. Après de longs débats et grâce à Michel Delebarre, ministre de l’équipement, du logement, des transports et de la mer puis ministre de la ville, un accord a été trouvé entre les autoroutes et le gouvernement pour envisager le devenir de l’autoroute actuelle grâce à l’obtention de crédits importants notamment de l’Europe. Avec le soutien du ministère de l’Equipement et de la Direction interministérielle à la ville, Valence lance alors en 1989 une consultation internationale d’idées pour la reconquête des berges du Rhône et retient quatre grands architectes et urbanistes : Chemetoff-Roig-Battle (France-Espagne), Fuksas-Marguerit-Tischer (Italie-France), Huet-Massa (France-Italie) et Luscher (Suisse). Les propositions des architectes internationaux ont été particulièrement extraordinaires.
RP – L’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique et de mise en compatibilité des plans d’occupation des sols des communes concernées par le projet de contournement autoroutier Est de Valence (A 7 et A 49) est décidée le 5 décembre 1991. Elle concerne les communes suivantes : Livron, Etoile-sur-Rhône, Portes-lès-Valence, Montéléger, Beaumont-les-Valence, Malissard, Chabeuil, Saint Marcel-les-Valence, Bourg-lès-Valence, Châteauneuf-sur-Isère, Pont d’Isère, La Roche de Glun, Mercurol.
L’enquête d’utilité publique se déroule du 6 janvier au 7 février 1992. Et là ce fut la catastrophe. Bien que la Ville ait beaucoup communiqué pour inciter tous les habitants à s’exprimer, seules les personnes vivant le long du trajet de contournement prévu se sont mobilisées contre, même si celles qui avaient acheté des terrains avaient été prévenues par la Préfecture que l’autoroute passerait à proximité. Les terrains correspondant au futur trajet de l’autoroute étaient déjà réservés. Le conseil général avait acquis le parc de Lorient pour le passage du TGV, et gelé toute construction.
Mais l’enquête a été négative ; le préfet m’a informé qu’un écologiste avait tout fait pour que ça ne se fasse pas, ainsi que le maire de Portes-lès-Valence et d’autres associations, collectifs, partis politiques (*) qui « estiment le contournement inutile et dispendieux ». (*) L’idée dominante était que l’autoroute créait des contraintes à Valence. Elle n’a qu’à les garder. Tout s’est alors arrêté.
C’est le rôle d’un élu d’envisager le futur. Souvent quand vous faîtes des choses, on vous dit que ça ne pourra pas se faire. Par exemple au sujet de l’implantation de l’Enseignement supérieur à Valence, la bourgeoisie y compris les professeurs pensaient que ce n’était pas fait pour Valence, mais pour Lyon ou Grenoble. Et le milieu populaire disait que ce n’était pas fait pour lui. Et aujourd’hui, il y a 46% de boursiers qui bénéficient de cet enseignement supérieur. C’est toute la difficulté d’un élu d’écouter la population mais il y a des choses qui ne sont pas toujours compréhensibles par les gens.
Je vous évoque un autre souvenir sur le vote des femmes décidé en 1944 par le général de Gaulle. Les femmes de ma famille ne voyaient pas son utilité et les hommes ne voulaient pas que les femmes votent. Si on avait fait un référendum, le non l’aurait emporté. C’est comme le vote concernant l’abolition de la peine de mort à l’Assemblée nationale en 1981 où j’étais présent. S’il y avait eu un référendum, elle n’aurait pas été abolie. C’est toute la difficulté de la démocratie locale : préparer l’avenir, tenir compte des gens, et trouver l’équilibre. Par exemple pendant mon premier mandat, on avait créé des groupes d’habitants par quartier et donné un budget afin qu’ils fassent des propositions pour améliorer leur vie quotidienne et les impliquer dans leur collectivité.
On observe aujourd’hui un individualisme exacerbé et une absence de prise en compte de l’intérêt général ; aujourd’hui les maires en sont souvent les victimes.
Une plus importante réflexion collective et prospective serait nécessaire entre les collectivités, même si dorénavant existe l’agglomération Valence-Romans.
Avant mon premier mandat de maire, une longue rivalité existait entre Valence et Romans-sur-Isère et il n’existait pas d’organisations entre les villes. Il a fallu créer des structures intercommunales pour traiter ensemble de l’économie, du traitement des déchets, de l’environnement, etc. C’est grâce à Etienne-Jean Lapassat (1939-1990), maire socialiste de Romans, et de Roger Léron (1945-2013), mon premier adjoint de 1977 à 1995, qu’on a pu vraiment travailler ensemble et créer le Syndicat mixte Rovaltain-Ecoparc , pour préparer l’implantation de la gare TGV et de la zone d’activités de haute technologie – un projet véritablement d’intérêt collectif.
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