Mobilité, urbanité, attractivité
d’une ville moyenne
4 – Valence : une laborieuse construction intercommunale, au détriment de la cohésion territoriale
Carte du département de la Drôme dressée sur la demande du conseil général… / par M. Herpin, 1900 © Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE B-661
Dès l’après-guerre, l’organisation entre les communes Valence, Romans-sur-Isère et Tain-L’Hermitage s’est construite lentement et difficilement malgré les forts enjeux dans le domaine de l’aménagement du territoire et des mobilités locales et nationales dans cette zone de passage.
Pierre-Antoine Landel, enseignant chercheur en géographie aménagement et ex-président du Scot du Grand Rovaltain, retrace l’évolution des structures intercommunales sur ce territoire et les difficultés à dépasser les approches strictement communales alors que des projets, notamment en matière de déplacement et de transport ont été proposés pour répondre aux crises environnementales et énergétiques bien présentes.
Auteur:
Pierre-Antoine Landel
Un territoire de passage
Rassemblant aujourd’hui 108 communes et plus de 310.000 habitants, l’espace situé entre Valence, Romans Bourg-de-Péage et Tain Tournon occupe une place particulière dans l’histoire de l’aménagement du territoire. Construit à partir de relations et de passages intenses entre les deux rives du Rhône, son histoire ne cesse d’être mise en cause par la puissance des flux Nord Sud. L’espace renvoie à des histoires et des mémoires éclatées et toute référence à une construction identitaire est aléatoire. L’identité antique et féodale est oubliée, l’identité dauphinoise est perdue au profit de l’Isère, les identités départementales ardéchoises et drômoises sont de puissants acquis fragilisés par les pratiques quotidiennes des habitants et l’identité « sud rhônalpine » est revendiquée, sans avoir encore de vraie notoriété.
Haut lieu de production et de transit énergétique, réceptacle de grandes infrastructures de communication faiblement interconnectées rendant complexes les mobilités internes, la Vallée du Rhône est considérée comme un lieu de passage. Situé entre les deux départements de la Drôme et de l’Ardèche, entre plaine et montagne, entre Rhône et Isère, entre villes et campagnes, entre quartiers sensibles et zones résidentielles, le bassin valentinois est un « inter-territoire » parfait. Les relations villes-campagnes reposent sur une forme tripolaire du territoire, espace à la fois très urbain et très vert, caractérisé par une forte concurrence entre l’extension urbaine et l’agriculture sur les zones de plaine et de vallée. Reposant sur des exploitations associant la polyculture élevage et des productions intensives telles que l’arboriculture, la viticulture ou encore les élevages hors sol, elle reste une activité importante du territoire. En résulte une forme urbaine dans laquelle l’agriculture a « tenu » la ville, jusqu’à ce que la maladie des arbres fruitiers et l’effondrement du verger permettent un étalement horizontal des communes périurbaines. L’étalement urbain qui dilue les villes dans les communes périphériques est à responsabilité partagée : les villes l’alimentent et les campagnes l’accueillent.
La lente affirmation de l’intercommunalité
L’organisation du territoire est restée longtemps limitée par d’importants clivages. Bien que traversés, durant des siècles, les fleuves ont représenté des barrières administratives, entre des provinces et évêchés différents, puis économiques, du fait de la présence de péages qui ont perduré jusqu’à la fin du 19° siècle. L’antagonisme entre Valence, ville de services, caractérisée par des emplois d’encadrement administratif, et Romans, ville ouvrière, a limité les coopérations. Pendant toute la période de reconstruction d’après-guerre, puis de modernisation du pays, durant laquelle la vallée du Rhône a été largement mobilisée, la place de l’Etat est restée centrale. C’est ainsi qu’en 1954, les services de l’Etat élargissent le périmètre légal de l’agglomération de Valence au territoire de Bourg et Portes-lès-Valence, puis aux communes de Guilherand Granges et de Saint-Péray en 1962. En 1969, les services de l’Etat engagent l’élaboration du Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de Valence regroupant 18 communes, pour faire face à une croissance très rapide de la population, qui est passée de 50.000 habitants en 1936 à 92.000 habitants en 1968. Il exprime une prospective à moyen terme (1985) et à long terme (2010). L’urbaniste P. Dubesset, qui a étudié le document, parle de cet espace comme un « très beau et vaste site où les auteurs du SDAU ont pu estimer que tout serait possible » (*). Les projections démographiques faisaient état de 200.0000 habitants entre 1985 et 1995, puis 250.0000 habitants au-delà de 2010 ! L’espace y devient un réceptacle à de grands aménagements dessinés par les auteurs du document. Il prévoit la connexion de l’A7 le long du Rhône avec l’axe Valence Grenoble Genève, en l’éloignant du centre-ville. L’autoroute aurait été déclassée entre le Nord de Bourg les Valence et le Sud de Portes les Valence, et aurait été déplacée à l’Est pour assurer la connexion avec l’A49. Le document prévoyait en outre une voie expresse allant de Malissard au Nord de Soyons, avec un pont supplémentaire et une rocade au Nord de l’agglomération, avec deux ponts supplémentaires à construire sur le fleuve ! Le schéma 1 ci-dessous donne une représentation du territoire projeté. Toute la croissance urbaine devait se faire entre la montagne Crussol à l’Ouest et la bande autoroutière à l’Est. Dans les faits, la croissance de la population s’est faite avant tout ailleurs, dans les communes périurbaines, bien au-delà du tracé de l’autoroute !
Alors qu’à partir de 1966, des intercommunalités commencent à se former conduisant à la constitution de 9 communautés de communes autour de Valence, la Ville centre est restée longtemps hors de toute organisation structurée, en faisant une des dernières villes de plus de 50.000 habitants à ne pas être intégrée dans une communauté d’agglomération. Il faut attendre 1990 pour voir la création du SISAV (Syndicat Intercommunal des Services de l’Agglomération Valentinoise) appelé aussi Valence Major qui regroupe 7 communes, dont 3 en Ardèche, pour s’occuper des déchets et des transports puis de quelques zones d’activités économiques. La vallée du Rhône restait un réceptacle de grands équipements et entreprises décidés à d’autres échelles et les communes restaient en concurrence pour obtenir leur implantation.
Le projet de construction de la ligne TGV Sud entre Valence et Marseille va être l’occasion d’une première coordination. Alors que le projet de gare se situait à la hauteur de Chabeuil, les municipalités de Valence et Romans se coordonnent pour faire déplacer le projet de gare LGV de Chabeuil vers la zone dite de « la Correspondance » à Alixan, au croisement avec la ligne Valence Grenoble. C’est en 1994 qu’a été créé le Syndicat Mixte Rovaltain, première forme de coopération entre Romans, Valence et Tain, pour l’aménagement de la Zone d’activités de la gare TGV. Le développement d’une Zone d’activités orientée vers le tertiaire résulte d’une coopération entre les 24 communes constitutives des 3 trois pôles urbains à l’origine de la dénomination Rovaltain. Après des années d’un démarrage chaotique, marquées par le retrait de Valence sur une longue période, la zone accueille aujourd’hui 1700 emplois, d’abord administratifs puis de service, dont un nombre significatif est issu de l’agglomération valentinoise.
Une re-composition à marche forcée
Il faut attendre le 1er janvier 2010 pour voir la création de la communauté d’agglomération Valence Agglo-Sud Rhône Alpes, avec les communes de Beaumont-Les-Valence, Bourg-Lès-Valence, Chabeuil, La Baume Cornillane, Malissard, Montmeyran, Montélier, Upie, Portes-Lès-Valence, Saint-Marcel-Les-Valence et Valence, sans les communes de Cornas, Guilherand-Granges et Saint-Péray. En effet, dès sa conception, le projet avait été perturbé par la mise en débat de l’élargissement à la Communauté de communes du Pays de Romans, entrainant le retrait des communes ardéchoises et la constitution de la Communauté de communes Rhône Crussol.
Au 1° janvier 2014, malgré l’avis défavorable d’une majorité de communes, et la décision de « passer outre » prise par le Préfet, autorisée par la loi, la communauté d’agglomération fusionne avec les intercommunalités de Bourg-de- Péage et de Romans, sans les communes du canton de Saint-Donat pour devenir Valence Romans Agglo.
Le 14 novembre 2016, la communauté d’agglomération s’élargit de l’agglomération aux 4 communes qui composaient la Communauté de communes de la Raye. Le syndicat Mixte Rovaltain est dissous, et la zone d’activité rentre dans la compétence de l’agglomération.
En matière d’Aménagement du territoire, le Syndicat Mixte du Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT) Rovaltain Drôme Ardèche a été créé en mai 1010. Il réunit alors 110 communes, réunies dans 7 intercommunalités et plus de 300.000 habitants de Drôme Ardèche. S’il ne détermine pas la destination générale des sols, il fixe les orientations fondamentales sur 20 à 30 ans. Surtout, il vise à garantir la cohérence des politiques sectorielles en matière d’urbanisme, d’environnement, d’habitat, de déplacements, d’implantations commerciales et de grands équipements. En 3 ans, un premier schéma d’aménagement concernant l’ensemble du territoire a été élaboré. Le schéma n°2, ci-dessous propose une représentation du territoire projeté, reposant sur trois pôles urbains, dont le centre était la campagne…Suite au renouvellement municipal de 2014, le document sera transformé, dans le sens d’un allégement des contraintes en matière de densité de construction et d’artificialisation des sols. Il faudra attendre 2017, pour voir sa mise en œuvre.
L’accélération des crises souligne la nécessité de projets d’aménagement structurels, et la nécessité de dépasser les approches strictement communales. Pourtant, en 2021, les communes de l’agglomération ont refusé la mise en œuvre d’un Plan Local d’Urbanisme intercommunal. Du fait de sa taille, la communauté d’agglomération avait la possibilité d’élaborer des PLU intercommunaux partiels couvrant l’intégralité du périmètre de l’EPCI. Là encore, la Communauté d’Agglomération n’a pas souhaité se saisir de cette opportunité, limitant la possibilité d’affirmation d’une vision globale et coordonnée. Pour prendre l’exemple des mobilités, différents projets pourraient encore voir le jour à la condition d’une volonté politique partagée. Peut être évoqué le projet de ferroutage, à partir d’une connexion entre route, rail et fleuve à la hauteur de Portes-lès-Valence dont l’étude avait été lancée à partir de 2010. A été aussi lancée l’idée d’un RER local et cadencé, entre Valence et Romans, mais aussi Valence et Livron, ainsi que Valence et Tain-l’Hermitage, connecté à un réseau vélo sécurisé en site propre. Le projet de ceinture verte agricole peine à voir le jour tant les pressions foncières sont fortes et mal maitrisées. Aujourd’hui, on assiste à une multiplication de projets communaux plus au moins coordonnés, tels que la cité de la gastronomie à Valence ou la reconstruction du palais de la foire de Romans. Le territoire est une construction qui demande du temps et de l’apprentissage collectif. L’urgence climatique et environnementale oblige à dépasser les fragmentations communales pour construire une agglomération viable et vivable !
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