L’ancien Hôpital de Crest :

les transformations du site Sainte-Marie
de 1789 à aujourd’hui.

Ancien hôpital de Crest © Félicia Révay

En haut de la ville de Crest, glissé juste sous la ligne de crête, un grand bâtiment domine la ville. Il s’agit de l’ancien Hôpital, dont les services ont déménagé en bords de Drôme en 2013. L’ensemble du site dit “Sainte Marie” s’étend sur près de 2,4 ha de terrain – avec jardins et forêt au-dessus. Il comporte environ 10 000 m2 de bâti. Il sera bientôt vidé de toutes ses activités restantes : une petite maison d’assistantes maternelles, deux EPHAD et une unité d’autodialyse, qui doivent déménager dans les années à venir dans le quartier Mazorel également.

Auteure :
Félicia Révay

Pour Crest, il s’agit d’un équipement conséquent, qui valorise la ville par son échelle, son architecture et sa qualité de bâtiment public. Sa situation en balcon sur le vieux Crest et la vallée de la Drôme appartient au paysage depuis longtemps, et en fait un lieu de promenade privilégié pour les habitants (ill. 1, 2, 3). Délaissé depuis dix ans, il pourrait, si un projet répondant aux besoins des crestois était porté à cet endroit, redevenir important pour toute la vallée (*).

Trois corps de bâtis principaux se répartissent sur les lieux :
L’ancien couvent dit des Cordeliers, situé en haut du site et adossé contre la colline ; il est construit par les sœurs visitandines en 1674 et nationalisé en 1789 pour servir d’Hospice (ill. 4) , Hospice qui était auparavant au cœur du vieux Crest à proximité de la Halle aux blés, et encore avant, dans le quartier dit Saint Vincent (*).

4 – L’hôpital-hospice et ses dépendances, carte postale © AD26 (99Fi50)

Le second est le bâtiment que l’on aperçoit de loin, construit entre 1924 et 1930, il comporte quatre niveaux et totalise plus de 3000 m2. Enfin, le long du chemin de Vaunaveys (devenu Montée de Fontalis), se développe le troisième bâtiment, le plus récent (actuels EPHAD).Tout à l’avant du site, une rue esplanade publique contient des places de stationnements pour les crestois du quartier (ill. 5).

5 – Vue aérienne du site © Géoportail
L’ensemble du site fut une entité vivante qui s’est transformée au gré des besoins de la vie d’un hôpital : au XIXe siècle projet de construction d’une étable et d’un poulailler autour d’un jardin potager, construction d’un pavillon pour tuberculeux au début du XXe siècle aujourd’hui disparu. Se sont aussi alternés dans d’anciens remparts le long du chemin de Vaunaveys des bains, une réserve de charbon, une laiterie, un dortoir pour “vieils hommes”… Mais c’est surtout le grand projet d’extension de l’hôpital entre 1910 et 1913 qui va fortement modifier le lieu pour lui donner sa physionomie actuelle.

Un projet ambitieux : un hôpital moderne au début du XXe siècle

Juste avant la Première Guerre mondiale, la ville a un grand projet pour ce site : presque doubler la surface du bâti pour en faire un hôpital à la pointe de la modernité. Elle confie cette mission à l’ingénieur architecte Crestois Marcel Peysson. Plusieurs options sont étudiées : elle hésite déjà à l’époque à déplacer l’hôpital ailleurs (ce qui s’est finalement produit depuis dix ans). Marcel Peysson est cependant convaincu qu’il est plus intéressant d’agrandir l’hôpital sur le site même, pour conserver les qualités inhérentes à sa situation : accessible depuis le centre, un peu à l’écart pour des raisons d’hygiène, et dominant la vallée. Par ailleurs, il suggère de profiter du projet d’extension pour requalifier l’ensemble du quartier réputé insalubre, où de nombreuses maisons tombent en ruine (ill. 6). Il pense donc au travers du projet d’extension de l’hôpital un véritable projet urbain pour le haut Crest, dans lequel il inclut aussi la construction d’un égout et d’un nouveau réseau d’amenée d’eau (les sources existantes sur le site – sources Fontalis- devenant insuffisantes avec le nouveau bâtiment), et planifie la destruction de nombreuses maisons devant l’ancien Hospice. Il gagne la confiance des élus de l’époque.
6 – Plan des démolitions, projet, 1913 © AD26 (H Dépôt 3-127)

Le nouveau bâtiment s’implantera parallèlement à l’ex couvent des Cordeliers, et se développera sur trois niveaux, le tout judicieusement inséré dans la pente du terrain. Cela ménagera les vues et la lumière de l’hospice d’origine. Peysson projette aussi une vaste cour entre les deux corps de bâti, qu’il lie par une passerelle en métal et verre (ill. 7, 8, 9, 10).

7 – Coupe mettant en rapport l’ancien hôpital (bâtiment des cordeliers) en gris, avec le projet de nouvel hôpital (en rose) © AD26 (H Dépôt 3-127)
8 – Coupe mettant en rapport l’ancien hôpital (bâtiment des cordeliers) en gris, avec le projet de nouvel hôpital (en rose) © AD26 (H Dépôt 3-127)
9 – Plan du rez-de-chaussée de l’ancien hôpital, avant-projet © AD26 (H Dépôt 3-127)
10 – Plans des deux bâtiments et cour © AD26 (H Dépôt 3-127)

Le projet, approuvé dans son intégralité en 1912, est repoussé à cause de la guerre, le chantier ne démarrera qu’à partir de 1924. 

Un bâtiment bien pensé et bien construit

L’implantation du projet, adaptée à la pente, rend les différents espaces du programme accessibles de façon autonome, réflexion qui correspond d’ailleurs bien aux enjeux actuels. L’architecte décrit ses intentions dans le rapport qu’il rédige pour accompagner les plans du projet :
« Grâce aux dénivellations du terrain avoisinant, chacun des étages du bâtiment se trouve au niveau d’une des plate-forme du sol, et chacun des étages communique de plain-pied avec ces plate- formes. L’inconvénient le plus grave des pavillons à plusieurs étages se trouve donc écarté puisque chaque étage peut être considéré comme indépendant » (*).

Le nouvel hôpital est conçu étroit et traversant : ses deux façades principales Sud et Nord sont régulièrement ponctuées de grandes fenêtres ce qui apporte éclairage et ventilation naturelle dans tout le bâtiment.
« Toutes les salles sont éclairées et aérées par de nombreuses fenêtres s’ouvrant au midi, et munies d’impostes s’ouvrant facilement sur le haut. » (ill. 11, 12, 13).

11 – Plan du bâtiment projeté, RDC, 1926 © AD26 (H Dépôt 3-127)
12 – Plan du bâtiment, 1er étage, 1926 © AD26 (H Dépôt 3-127)
13 – Plan du bâtiment, 2e étage, 1926 © AD26 (H Dépôt 3-127)

« Pour faciliter l’aération complète sans courant d’air appréciable dans les salles de malades il a été prévu dans chaque contre-cœur de fenêtre […] un radiateur […] et une gaine d’aération formée par un tuyau en poterie traversant l’épaisseur du mur » (*).
Le projet prévoit également un certain nombre d’équipements qui sont pour l’époque « à la pointe » : Salles d’eaux et création d’une fosse septique moderne, une nouvelle Cuisine, de nouvelles salles d’opération équipées, etc.

De plus, l’avant-guerre est une période où la construction était encore riche en savoir-faire, avant qu’ils ne soient balayés à partir des années 1950 par la généralisation de l’emploi du béton. Ici la maçonnerie porteuse est en pierre – de différents types : noble pour les appareillages, les linteaux, le soubassement et une pierre de remplissage pour les murs de refends (*). Les cloisons sont elles aussi maçonnées : briques pleines enduites. La charpente est en bois massif. Les intérieurs sont soignés : sols en mosaïques ou en pitchpin pour les planchers des étages, un escalier monumental en pierre au centre du bâtiment, des rangements intégrés.

Plus tard le bâtiment connaît deux nouvelles phases importantes de travaux :
Il est prolongé sur son côté Est en 1936 (cette modification ayant été prévue dans les plans d’origine), afin d’étendre certains services comme celui de la maternité, et de créer un service de désinfection.
Enfin, en 1950 il subit de nouvelles transformations : on lui ajoute un étage, et il est épaissi côté Nord. Les décrochés et ornementations de façade sont gommés par ces travaux, seule une frise au-dessus des fenêtres du second étage demeure aujourd’hui. Alors que la silhouette d’origine, élégante et proportionnée, ménageait bien les vues du bâtiment situé à l’arrière, les travaux de 1950 ont modifié quelque peu les rapports de voisinage entre les deux bâtis, mais ils ont apporté leur part de surface et de modernisation au programme (ill. 14).

14 – L’hôpital vu de la tour, photographie, novembre 1978 © AD26 (21Fi1391)

Un bâtiment menacé de démolition

Aujourd’hui délaissé, ce bâtiment datant des années 1920 reste solide et sain, son plan est efficace et les espaces très éclairés (ill. 15, 16). Dans l’histoire de l’Architecture, il appartient à une époque que l’on a tendance à protéger : c’est notamment la période du mouvement Art Décoratif, où artisanat et construction étaient de grande qualité. Il est aujourd’hui cependant menacé de démolition par un projet de la municipalité actuelle qui comprend la réalisation d’un hôtel trois étoiles, son restaurant et sa piscine, et quelques logements « standing » en accession à la propriété.

A l’heure où nous prônons le réemploi de l’existant, le non-gaspillage des matières premières, le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) (*), où nous n’avons plus les savoir-faire ni les filières pour reconstruire ce type de bâti à un coût raisonnable, et à une période où nous manquons cruellement de logements et simplement d’espaces bâtis de cette envergure à Crest, une telle démolition est-elle bien à propos ?

15 – Bâtiment actuel, 2024 © Félicia Révay
16 – Vue de la place devant l’hôpital, 2024 © Félicia Révay

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2024-04-01T23:06:01+02:00
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