Mobilité, urbanité, attractivité
d’une ville moyenne
3 – L’emprise de la route à Valence,
de la N7 à l’A7 ou la route comme projet urbain
Valence, Vue aérienne du parc Jouvet, au premier plan le Rhône et l’autoroute A7 (détail), 1976 © Archives Départementales 26 (5 Fi 639 / Fonds ALAT)
« A l’heure de la transition écologique, où la mobilité doit se réinventer, quelle place garde la route ? » (*) et quelle place a-t-elle occupé à partir de la création de la Nationale 7 dans l’urbanisme et le développement de Valence ?
Cet article met en lumière les grandes étapes de la réalisation des infrastructures routières de la fin du 19e siècle jusqu’à nos jours et s’interroge sur leurs objectifs et leurs fonctions dans l’aménagement urbain de cette ville moyenne qui cherche à être attractive.
Auteurs:
Chrystèle Burgard
Albert Cessieux
Des anciennes voies à la Nationale 7
Axe majeur entre Paris et le sud, la Route royale, créée sur le tracé des voies ancestrales, devient Route impériale, puis en 1824 Route royale n°7 et enfin en 1870 Nationale 7 se développant de Paris à Menton sur près de 1000 km. A partir de Lyon, la N7 longe plus ou moins le Rhône, contourne des villages et des villes ou les traverse. A Valence, la route pénètre tout d’abord dans le centre-ville (ill. 1) ; les voitures empruntent alors l’avenue Sadi Carnot, les boulevards, puis l’avenue Victor Hugo bordée de restaurants, d’hôtels comme celui de La Croix d’or, de garages, et notamment de la station-service de style Art déco (*). Avec les congés payés instaurés en 1936 et le développement du tourisme, l’essor de l’automobile et du transport en camion, le trafic routier augmente dès les années 1950 notamment à Valence. En 1955 pour éviter l’avenue Victor Hugo, la N7 est alors déviée vers les quais du Rhône entre les boulevards et l’actuel Pont des Anglais, le long du parc Jouvet (ill. 2).
La construction de l’autoroute A7 en France
Dès le début du 20e siècle aux États-Unis comme en Europe, ingénieurs, architectes, entrepreneurs, politiques envisagent la construction de nouvelles infrastructures routières faites avant tout pour l’automobile. Dès l’entre-deux-guerres en France, l’État lance un grand plan d’aménagement de la région parisienne puis l’idée d’une autoroute du sud. Pour répondre à l’augmentation du trafic entre le Nord et le sud de l’Europe, l’État entreprend en 1953 par section les travaux qui s’achèveront en 1970. On assiste à une « massification de la production des routes durant les Trente Glorieuses » (*) et une conception de plus en plus techniciste modifiant le paysage naturel et urbain avec des voies de circulation, des ouvrages d’art, des échangeurs… où l’homme, le piéton, le cycliste n’ont plus leur place.
L’autoroute A7 et autres routes à Valence
Déjà en 1956, le préfet de la Drôme, lors d’une réunion, mentionne deux solutions pour la réalisation de l’autoroute entre Vienne et Valence : gratuite mais dont la construction prendra 10 ans ; à péage seulement 5 ans. Camille Vernet, maire de Valence à l’époque, demande une autoroute gratuite qui passe par Valence.
Après l’ouverture intégrale en 1963 de la section à péage entre Vienne-Sud et Chanas, les travaux se poursuivent au sud avec le choix du maire Jean Perdrix (1957-1971) de passer le long du Rhône pour favoriser le commerce et le tourisme. Le long des quais du fleuve dans la basse ville de Valence et Bourg-Lès-Valence, les expropriations, les démolitions d’habitations et d’usines, l’élargissement des voies s’enchaînent transformant irrémédiablement la vie urbaine (ill. 3, 4) et effaçant les traces d’activités fluviales, artisanales et industrielles.
Le 5 juillet 1965, s’ouvrent les sections entre Chanas et Valence-Nord (24 km) et celle entre Valence-Nord et Valence-Sud (4 km) en reprenant en partie la déviation de la N7 réalisée entre les boulevards et le pont des Anglais (ill. 5, 6). En 1966 s’ouvre la section Valence-Sud / Montélimar-Nord et l’autoroute est nommée A7. A Valence et ses alentours, suivront de nombreux travaux voulant favoriser la circulation autoroutière qui ne cessera de s’amplifier, transformant la ville en véritable nœud tentaculaire : mise en service du pont Mistral le 9 décembre 1966 ; élargissement à 3 voies engagé en 1983 et réalisé au droit de Valence en 1988 ; ouverture en 1991 de la LACRA (Liaisons Assurant la Continuité du Réseau Autoroutier) puis en 1992 de l’A49 entre Romans et Valence à la suite des JO d’Albertville ; création et ouverture du Pont des Lônes en 2004.
L’A7 continue de couper Valence de son fleuve et le trafic augmente malgré les réflexions et les débats sur la politique des transports dans la vallée du Rhône et sur l’arc languedocien. En 2005, l’Etat saisit la Commission nationale du Débat Public sur cette problématique qui rend en 2006 ses conclusions portant sur trois principales orientations : « »mobilité soutenable » par une maîtrise de la demande de déplacement, par un renchérissement du coût du transport routier et par des investissements dans le progrès technologique (…), « report modal maximal » de la route vers les autres modes tant pour les voyageurs que pour les marchandises (…), « aménagement du réseau routier existant » (*).
A Valence, des projets émergent mais sans lendemain… Alain Maurice, maire de 2008 à 2014, propose de l’enterrer le long de la traversée de Valence. Une convention d’étude est passée entre l’Etat et Vinci. Mais Nicolas Daragon, nouveau maire à partir de 2014, ne poursuit pas l’idée, dénonce en 2017 la pollution massive induite par l’autoroute et défend sur France 3 région la solution de contournement ; puis en 2021, l’Etat annonce la réalisation pour 2023 de murs anti-bruit et anti-pollution qui devraient être installés le long de l’A7, notamment à Valence .(*)
Quelle place pour la route et quelles visions sociétales
et environnementales en 2023 à Valence ?
Frédéric Héran (Économiste et urbaniste, Université de Lille) et Paul Lecroart (Urbaniste, enseignant à l’Ecole urbaine, Sciences Po) font le même constat en 2021 dans leur article : « Pourquoi supprimer des autoroutes peut réduire les embouteillages » : « Lorsque, pour « faire sauter un bouchon », la capacité de la voirie est accrue par la création d’une voie nouvelle ou l’élargissement d’une voie existante, on constate que l’infrastructure finit par attirer un trafic automobile supérieur à ce qu’avait prévu le modèle (…) Contrairement à ce qu’affirment les milieux économiques, cette politique n’a jamais les conséquences catastrophiques qu’ils annoncent. Elle contribue à l’inverse à améliorer l’attractivité des villes (qualité de vie) et leur productivité (intensité urbaine et sérendipité) ».Cependant à Valence, on continue de construire d’importantes infrastructures, tout en proposant des mesures compensatoires environnementales bien modestes au vu de l’ampleur des travaux (plantation d’arbres, voies vélo sans continuité, etc.) : avec l’Etat et les collectivités, est aménagé actuellement le carrefour des Couleures (ill. 7) avec des giratoires, des ouvrages d’art, des bretelles afin d’après la DREAL Auvergne-Rhône-Alpes « d’améliorer la lisibilité et le confort pour les flux du réseau routier » en permettant « de faire le lien entre les grands axes de circulation autoroutière (A49 et A7) desservant le sillon alpin et la vallée du Rhône, et d’assurer une desserte locale notamment aux zones d’activités » pour un coût de 28 millions d’euros (*) ; avenue du Tricastin (le long de l’autoroute A7 côté Basse ville), la voie sera doublée en démolissant des constructions et accentuant la séparation avec le fleuve, pour un coût de 1,1 millions (*).
Comme l’invite le récent colloque de Cerisy « Comprendre la route : entre imaginaires, sens et innovations » : « A l’heure de la transition écologique, où la mobilité doit se réinventer, quelle place garde la route ? ».
A Valence, la route garde bien toute sa place et reste au centre du projet urbain dans lequel peu d’initiatives viennent réparer un territoire déstructuré par les infrastructures routières (ill. 8). Les récents aménagements routiers ne font que renforcer son rôle de carrefour stratégique saturé par les flux circulatoires nord-sud et est-ouest. Prise dans un maillage de routes, la ville semble s’engloutir dans des « toiles d’araignée infrastructurelles », image de l’architecte Rem Koolhaas pour évoquer un « nouvel urbanisme » (ill. 9).
8 – Autoroute A7 vue depuis le pont Mistral – Valence © R C
BIBLIOGRAPHIE
- Alonzo Eric, L’Architecture de la voie. Histoire et théories, Ecole d’architecture de la ville & des territoires / Parenthèses, 2018
- Bouchardeau Philippe, Sur terre, dans les airs et sur l’eau. Une histoire des transports et des communications dans la Drôme, Mémoire de la Drôme, 2015
- Flonneau Mathieu, En tous sens ! Circuler, partager, sécuriser. Une histoire des équipements de la route, Éditions Loubatières, 2022
- Louis Maurel, 1950-1975 : croissance à la californienne , Valence sur Rhône, Ville de Valence et Office de tourisme, 1991
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