La photographie et l’œuvre majeure d’un photographe du XXe siècle, William Klein, sont au cœur de la programmation culturelle de Montélimar et de ses alentours de mai 2024 à janvier 2025. Grâce à la vitalité de l’association Présence(s) photographie, qui depuis 2013 propose chaque année un festival, celui-ci est en 2024 enrichie par la rétrospective de l’œuvre de William Klein (New York, 1926 – Paris, 2022) qui sera exposée au Musée d’Art Contemporain de Montélimar. Une programmation culturelle de qualité organisée par les acteurs de l’Agglo et ancrée sur le territoire, inscrite sur la route entre Paris/Lyon et Arles avec les Rencontres de la photographie.

Auteure :
Chrystèle Burgard

Le Festival 2024 présente une série d’expositions dans différents lieux au sein de Montélimar (*) et sur les rives du Rhône entre Cruas et Viviers (*). Au-delà des expositions, plusieurs rencontres, projections de films et de portfolios, médiations avec le jeune public… ponctuent l’événement, notamment la rencontre avec Pierre-Louis Denis, assistant de William Klein, qui permet d’introduire l’exposition « William Klein PLAY PLAY PLAY », rétrospective dédiée à ce photographe anticonformiste.

L’échange entre Michel Pierre Correard (*) et Pierre-Louis Denis est une invitation à rentrer dans l’œuvre de William Klein de manière plus personnelle et originale (ill. 1). C’est en 1991 qu’il devient l’assistant du photographe et est chargé du développement des photos et de l’archivage. Ensuite il élargit ses fonctions après le décès en 2005 de la femme du photographe et s’implique alors de plus en plus dans les projets d’expositions et de publications, coordonne la préparation d’événements en apportant sa connaissance de l’homme et de son travail.
Pierre-Louis Denis met l’accent sur les différentes phases créatrices de cet « Américain à Paris » né en 1926 à New York, qui n’est pas seulement le photographe inventif qui bouscule les codes établis et qui introduit subjectivité et engagement physique, mais qui est également peintre, graphiste, cinéaste, auteur de publications. Curieux de ce qui se passe dans la rue, les bars, les magasins… il est aussi engagé politiquement, notamment dans les mouvements de libération. Cette richesse créative sera l’objet de la rétrospective que lui consacre le Musée d’Art Contemporain de Montélimar, première rétrospective depuis le décès de Willem Klein en 2022.
Le témoignage de Pierre-Louis Denis éclaire le parcours de cet iconoclaste éclectique et de cet « ethnologue imaginaire » comme se définit William Klein ; cet article est également l’occasion de mettre la lumière sur des créations moins connues comme certains films.
1 - Michel Pierre Correard et Pierre-Louis Denis, Montélimar, 2024 © Q+E

Les photos de William Klein : « une décharge d’énergie »

« La photo, pour lui, est une décharge d’énergie, sensuelle, violente. D’où le bouleversement du cadrage traditionnel, l’introduction à tous les niveaux, du hasard, de la déformation, du bougé » d’après Alain Jouffroy (*) . En effet, William Klein s’est saisi de la photo avec intrépidité après avoir commencé par la peinture à Paris. C’est en 1948 qu’il s’installe dans la capitale – découverte en 1937 au cours de son service militaire dans l’armée américaine – et qu’il y étudie la peinture dans l’atelier de Fernand Léger, une des grandes figures de l’art moderne, grâce à une bourse du G.I. Bill of Rights (*) ; il compose alors des peintures géométriques abstraites. Ses premières expérimentations photographiques (ill. 2), réalisées grâce à l’architecte italien Mangiarotti puis diffusées dans la revue Domus, sont audacieuses et dévoilent son intention « photo-graphique » que l’on retrouvera dans toutes ses productions. Elles sont repérées par le directeur artistique de l’édition américaine de Vogue, Alexander Liberman, qui le sollicite ensuite pour l’édition française de 1955 à 65 (ill. 3) aux côtés d’autres photographes tels Helmut Newton, Irving Penn ou Richard Avedon. William Klein renouvelle à l’époque l’approche de la mode en mettant en scène les mannequins au milieu de l’effervescence de la rue, des embouteillages urbains…, en les prenant de très près ou bien de loin au téléobjectif, loin de la photographie traditionnelle et maîtrisée de studio. Quel que soit le sujet – ville, foule, mannequin, sportif… – William Klein s’en saisit pleinement voire brutalement « avec un engagement physique qui fera le style Klein ».

2 – Sans titre, circa 1952 © William Klein Estate
3 – Simone + Phosphatine, Paris, vers 1960 (pour Vogue) © William Klein Estate

Les publications d’un « ethnographe imaginaire »

A la demande du magazine Vogue, William Klein retourne en 1954 à New York pour travailler sur sa ville natale et produit un journal photographique, entre document et carnet intime, qui révèle toute la brutalité de cette ville mêlant critique sociale et nouvelle approche photographique et graphique où dominent les contrastes violents, les vues rapprochées des passants, le flou… Le livre New York est refusé par les éditeurs new yorkais et est édité en France en 1956 par les Editions du Seuil qui publie Rome (ill. 4) en1959 à la suite du séjour du photographe dans cette ville comme assistant de Fellini pendant le tournage du film Les Nuits de Cabiria. William Klein réalise deux autres livres sur des villes édités en 1964 : Moscou (ill. 5) et Tokyo (ill. 6) dont une sélection de photos est présentée dans deux espaces urbains de Montélimar (ill. 7). Il publiera régulièrement d’autres ouvrages : Close Up (1989), Torino 90 (1990), In & Out of Fashion (1994), William Klein Films (1998), Paris+Klein (2002), Contacts peints (2008), etc. ainsi que de nombreux catalogues et monographies. Il conçoit lui-même les maquettes de ses livres et renouvelle l’approche éditoriale en privilégiant les photos en pleine page, l’absence de légendes, les contrastes noir et blanc, les jeux typographiques affirmés, incitant ainsi le lecteur à s’immerger comme dans un film.

7 – Exposition Tokyo dans le parc de Montélimar, 2024 © R. Chambaud
7 – Exposition Tokyo dans le parc de Montélimar, 2024 © C. B Q+E

New York

Comme le livre est refusé à New York par les éditeurs qui ne reconnaissent pas la ville dans ces images violentes, William Klein cherche un éditeur à Paris et repère la collection « Petite Planète » des Editions du Seuil qui publient une série de portraits phototextuels sur différents pays. Cette collection est dirigée par Chris Marker, qui séduit par ce projet, le fait éditer en 1956 (ill. 8). Bien accueilli par les Français qui sont enthousiasmés « qu’un américain fasse des photos aussi antiaméricaines », le livre reçoit le prix Nadar en 1957 et sera réédité en 1995 (ill. 9).

Les photos du livre New York, dont le titre exact est Life Is Good and Good For You in New York : Trance Witness Revels, montrent New York vu par un parisien et un « incorrigible chieur indigène » comme il se définit lui-même. Il explique son intention : « Mon idée, c’était une sorte de tabloïd déchainé, mal dégrossi, sur-encré, mise en pages brutale, gros titre rentre-dedans. […] J’étais un ethnographe imaginaire, traitant les New Yorkais comme un explorateur traiterait les Zoulous » (*).

8 - New York, Editions du Seuil, 1956
9 – New York 1954-55, Editions Marval, 1995

Les films d’un scrutateur

A partir de 1958 et pendant une dizaine d’années, William Klein se consacre principalement au cinéma. Son premier court-métrage en 1958 porte sur les enseignes lumineuses « Broadway by light ». Il réalise ensuite des films pour la télévision française, dont :
« Le Grand Magasin » (1963),
« Le Grand Café » (1972),
« Mode in France » (1985)
et la série « Contacts » (1990) consacrée à l’analyse de la photographie.
Il conçoit également des documentaires politiques ou contribue à des films collectifs, dont :
« Loin du Vietnam » (1967) coordonné et monté par Chris Marker avec Alain Resnais, Jean-Luc Godard, Joris Ivens…
« Grands soirs et petits matins » (1968-70) sur mai 68 (ill. 10),
« Festival panafricain d’Alger » (1969),
« Eldridge Cleaver, Black Panther » (1969) (ill.11),
« Muhammad Ali the Greatest » (1974) ;
ainsi que des longs-métrages de fictions, dont :
« Qui êtes-vous Polly Maggoo ? » (1966) (ill.12),
« Mr Freedom » (1968),
« Le couple témoin » (1976) …
et plus de 200 films publicitaires (Dim, Citroën…).

Festival panafricain d’Alger

A l’initiative de l’Algérie, le premier festival culturel (ill.13) rassemblant les différents pays d’Afrique (*) est créé en 1969 et filmé par William Klein qui est accompagné de nombreux chefs opérateurs, ingénieurs du son, techniciens de l’image : Pierre Lhomme, Bruno Muel, Antoine Bonfanti, Nasreddine Guenefi, Michel Brault, Ali Maroc, …

Attaché aux luttes de libération anticolonialiste africaines, William Klein montre dans une grande liberté les défilés des danseurs et musiciens des différents pays tout en associant des images d’archives sur l’exploitation coloniale des africains et les luttes d’indépendance des mouvements révolutionnaires en Afrique (FLN, MPLA, PAIGC, ANC…).

Pour Alain Bergala, « La signature la plus visible de William Klein est dans le passage de la corporéité des figures au graphisme pur. […] On passe […] du tactile au graphique, de la matière vivante et charnelle à l’abstraction pure »(*).

Oublié pendant plusieurs décennies, le film est restauré et réédité par ARTE Editions en 2010 : « Après un long silence, le film de William Klein est à nouveau là pour témoigner d’une époque que peu de documents cinématographiques ont pu saisir et immortaliser avec autant de force et de talent. Il reprend ainsi sa place dans la carrière déjà si riche de son auteur » (*).

13 - Logo du Festival panafricain d’Alger, 1969 © Wikimédia

Les « contacts peints » d’un photographe iconoclaste

Dans les années 1980, William Klein retourne à la photographie sans toutefois abandonner le cinéma. Il conjugue alors la peinture, le graphisme et la photographie en agrandissant des extraits de ses planches-contacts, en les soulignant et en les encadrant avec un trait irrégulier peint avec une laque de couleur vive, rouge, bleu ou jaune. Soucieux d’interroger la démarche du photographe, ses choix et ses cadrages, il explique : « On voit rarement les contacts d’un photographe, on ne voit que la photo choisie. On ne voit pas l’avant et l’après » (*). Trouvant triste les images en noir et blanc, il peint directement sur le tirage agrandi, réalisant ce qu’il nommera des « contacts peints » (ill. 14, 15) et affirme : « Peindre sur des contacts n’est pas gratuit mais organique » (*).

14 – Autoportrait, Paris, 1993 (Contact peint, 1995) © William Klein Estate
15 – Contacts peints, Editions Delpire, 2008