De l’austère bâtiment militaire à un espace culturel public ouvert sur la ville, tel est le défi relevé par l’architecte Rudy Ricciotti qui a transformé la caserne Latour-Maubourg en médiathèque-archives-point info jeunes.
Auteure
Chantal Burgard
Au préalable, une réflexion urbaine de plusieurs décennies
Le quartier se transforme peu à peu : rénovation des écuries, construction de l’école d’infirmières (Croix rouge) à la place de l’ancienne armurerie démolie (*), aménagement récent d’un vaste parking de 180 places, etc. Des opérations d’habitat collectif et logements étudiants ainsi qu’une résidence séniors sont en cours de construction.
Concernant la reconversion de la caserne, deux concours d’architecture se sont succédé, l’un en 2013 portant sur la réimplantation de l’Ecole Supérieure d’Art et Design (projet abandonné), puis le dernier en 2017 portant sur la médiathèque à laquelle ont été adjoints le service des Archives de l’Agglo apportant ainsi une ouverture sur les questions de mémoire et de recherche ainsi que le Point Info Jeune.
Comme pour tout concours d’architecture, un programme a été établi auparavant, guidé par la maîtrise d’ouvrage, afin de définir les grands axes du projet dont le concept de « troisième lieu » ainsi que les caractéristiques spatiales et techniques de chaque espace.
Bien que classé N°2 par le jury du concours d’architecture, le projet de Rudy Ricciotti associé à l’architecte d’exécution Aries-AA Group est désigné lauréat par la maîtrise d’ouvrage, l’Agglomération Valence-Romans. Le montant de l’opération, construction et mobilier, est de 21,8 M€. La médiathèque dénommée François Mitterrand ouvre ses portes en janvier 2021. 50 personnes y travaillent, dont 11 dans le service des Archives.
A l’ère du numérique et des réseaux, une nouvelle génération de bibliothèques
L’architecture des médiathèques a dû donc répondre à des nombreuses problématiques, urbaines, et culturelles, d’accueil, de lecture, de connexion, à une multiplicité de supports numériques et d‘accès à l’information. Des réponses architecturales complexes sur la gestion des flux, la lisibilité des espaces, le confort, la lumière, l’acoustique, la couleur, englobent la signalétique, le mobilier, sans oublier les questions environnementales, d’énergie et de confort.
Un enjeu patrimonial fort : transformer en un lieu culturel ouvert sur la ville sans effacer le passé militaire de ce site
La monumentalité de l’esplanade, sa composition symétrique et son échelle, la géométrie simple de la caserne, la frontalité de sa façade, austère et centrée sur l’horloge, sont l’expression de la rigueur militaire. Seuls, le rythme des cheminées et des ouvertures, la modénature colorée des encadrements en briques animent la façade.
L’architecte a accolé une extension en la dissociant structurellement du bâtiment ancien, ce qui lui a permis de répondre aux exigences du programme, en particulier en termes de surfaces. L’extension est vouée à l’accueil au rez-de-chaussée et aux réserves des archives sur deux sous-sols : un volume lisse sans aspérité, composé de façades entièrement vitrées, abstrait et sans lien avec le rythme des ouvertures de la caserne. L’architecte a ainsi répondu habilement à plusieurs gageures. En mettant au second plan la façade militaire, il en a atténué l’austérité. Il a pu aussi résoudre la question des archives, de leur conservation et de surcharges en localisant les réserves des archives sous l’extension. Par la lame vitrée située entre les deux constructions, il laisse la lumière naturelle éclairer les espaces d’accueil sur leur profondeur.
L’extension, un « entre deux », un véritable sas urbain
Entre dedans et dehors, l’espace d’accueil entièrement visible du parvis est une invitation à la découverte, sans contrôle et obstacle à franchir, un refuge pour certains. Adultes et jeunes envahissent tous les espaces, notamment les enfants au 1er étage, les jeunes au rez-de-chaussée au point PIJ ; les personnes en errance, sans domicile ou isolées y trouvent l’anonymat nécessaire pour s’y sentir en confiance. C’est un lieu qui n’intimide pas, on sait qu’on ne sera pas jugé, un « Troisième lieu » tel que l’a défini le sociologue Ray Oldenburg. L’accès gratuit, en fait ainsi un lieu de brassage social et générationnel unique qui évite l’entre soi.
Entre l’espace d’exposition, le patio, le coin café et ses comptoirs de journaux, la banque d’accueil se fait discrète sur le côté. Un auditorium de 150 places, équipé de gradins, est ouvert sur le parvis.
Hall d’accueil © Chantal Burgard
La salle de lecture des archives, lumineuse et spacieuse occupe l’angle du rez-de-chaussée de l’ancienne caserne, côté Ardèche.
Salle de lectures Archives & Patrimoine © Chantal Burgard
Les réserves des archives
Non visibles par nature, les réserves des archives communales et communautaires et le fonds patrimonial de la médiathèque occupent deux sous-sols de l’extension, avec des locaux fonctionnels, aux conditions hygrométriques strictes et aux surfaces optimisées par des compactus (dispositifs de rayonnage mobiles). Des larges tables attendent les chercheurs : « Sur près de 2 000 m2 et 6 km de rayonnages, une variété de documents d’exception seront stockés avec le plus grand soin : ouvrages, cartes, plans, incunables, manuscrits, fonds photographiques, maquettes (…). Ils seront consultables dans des conditions idéales soit sur fichier numérisé, soit sous format papier » (Médiathèque-Archives-Point Info Jeunes, dossier de presse, Direction de la Communication Valence Romans Agglo, 2021) PDF dossier de presse
Entre côté Ardèche et côté Vercors
C’est ainsi que le public est invité aujourd’hui à s’orienter dans ce bâtiment particulièrement linéaire car la signalétique intérieure est à ce jour en cours d’études. Le paysage participe ainsi à la perception du lieu.
Dans l’ancien édifice, sont implantés des espaces publics de consultation plus apaisés et des espaces administratifs. Après avoir pris un café, rencontré du monde, lu le journal, regardé l’exposition, on se dirige vers des usages plus spécifiques, plus calmes, ceux de la lecture, d’écoute de la musique… De l’espace foisonnant du hall d’accueil, l’escalier central qui se veut monumental, conduit aux deux étages publics.
Escalier central © Chantal Burgard
Des vastes plateaux ouverts et évolutifs
Ici, les grandes fonctions sont réparties par plateaux de 1465 m2, sans murs de refend (Plans du DP).Ils favorisent le lien, la fluidité et l’évolutivité entre les différents domaines. L’architecture intérieure, sols gris, parois blanches, est neutre. Peu de couleurs. Seules les ouvertures rythment l’espace relativement lumineux. Les lignes brisées de l’éclairage des circulations cassent la linéarité du bâtiment.
Le mobilier en chêne, les fauteuils confortables amènent des touches colorées. Les alcôves et vitrines animent l’espace, les rayonnages mobiles sont prêts à se déplacer. Pour certains lecteurs, les jeux sur écrans vidéo, très prisés, peuvent perturber la concentration nécessaire à la lecture. En effet, «accueillir différents publics aux besoins antagonistes de concentration et d ‘animation.» n’est pas simple ! Il faut concilier le besoin de calme chez d’autres lecteurs : « L’architecture des bibliothèques (…) ne doit pas renoncer à offrir aux usagers un espace neutre et propice à l’exercice de la pensée pour former son opinion et pour en débattre » (*).
Au 3e étage, les bureaux du personnel s’alignent sobrement autour d’une circulation centrale, dans une ambiance neutre.
La signalétique extérieure imprimée sur les vitrages, est discrète, trop peut-être pour être visible de loin. On pourrait s’attendre pour un lieu culturel à ce qu’elle ait plus de souffle et d‘inventivité.
Un quartier en devenir, quelle ambition pour les espaces publics ?
Nouveau marqueur d’une centralité qui se déplace, à mi chemin entre le centre ancien et les quartiers hauts de Valence et le quartier du Polygone, la médiathèque devient un point d’ancrage symbolique, un lien entre plusieurs quartiers en cours de requalification entre la rue de Chabeuil et l’avenue de Romans.
La large emprise du parking de 180 places entre l’avenue de Romans et la médiathèque crée une vraie rupture spatiale : un espace sans qualité particulière, à l’encontre des politiques urbaines actuelles qui tentent de freiner l’emprise de la voiture. Peu de supports vélos, mal positionnés, ils n’incitent pas à les utiliser.
La banalité du traitement de l’ensemble de l’esplanade fait regretter l’absence d’intervention d’un véritable paysagiste. Ni l’allée centrale piétonne, ni le parvis devant la médiathèque ne suffisent à ancrer celle-ci et à la mettre en valeur, alors que l’objectif initial – illustré dans le projet d’aménagement de 2011 par l’architecte P. Canivet – était de relier deux parties de la ville par un large plateau traversant l’avenue de Romans, créant ainsi un vaste parvis entre les deux grands bâtiments de la médiathèque et du bâtiment universitaire.
Située sur le côté de la médiathèque, la sculpture de l’artiste Georges Meurdra est loin de jouer un rôle de signal culturel comme l’incarne la sculpture puissante et élancée de Mark Di Suvero érigée devant l’Ecole Supérieure d’Art et Design dans le quartier de Fontbarlettes.
Collée derrière la médiathèque, la tour d’habitations, signature incongrue d’une promotion privée, témoigne d’un urbanisme anarchique.
Espérons que les espaces publics à venir contribueront à valoriser les futures constructions et le quartier de la rue de Chabeuil. Espérons aussi que leur aménagement s’appuiera sur une réflexion sociale et environnementale, donnant priorité aux circulations douces, qu’il aura une vraie écriture paysagère et audacieuse qui ne relève pas simplement d’une vision technique et économique.
Au-delà de ces quelques réserves, cette médiathèque est devenue un lieu emblématique d’une politique urbaine et culturelle, lieu de gratuité ouvert à tous, un espace de régulation sociale, d’échanges, de « fierté républicaine » comme l’énonce son architecte Rudy Ricciotti.
BIBLIOGRAPHIE
Baridon Laurent, « L’architecture des bibliothèques à l’ère des nouvelles technologies », Perspective – la revue de l’INHA : actualités de la recherche en histoire de l’art, Institut national d’histoire de l’art / A. Colin, 2016, pp.133-152.
Petit Christelle (dir.), Architecture et bibliothèque. 20 ans de constructions, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, coll. « enssib 2012 », 2012.
Le site Latour-Maubourg, à pied et à vélo
Albert Cessieux
La nouvelle médiathèque de Valence, implantée dans le quartier Latour-Maubourg, est ouverte depuis 2021. Une grande esplanade est aménagée au centre de l’ancienne caserne entre les deux ailes des anciennes écuries. Au centre, une belle allée – sans bordure – relie l’entrée de la nouvelle médiathèque à l’Université Pierre-Mendes-France en traversant l’avenue de Romans. Un si beau passage est si rare à Valence qu’il mérite d’être applaudi (ill. 1) ! Cette allée, très minérale, est entourée de 180 places de stationnement cernés de murettes grises en béton.
Pour les utilisateurs de la médiathèque, son implantation est un changement. Elle est un peu plus loin des habitudes de fréquentation du centre ancien. Beaucoup continuent à y venir à bicyclette. Les 8 appuis vélos installés à l’écart dans l’angle sud-ouest sont toujours pleins (ill. 2) ! La station Libélo, qui était près du Pathé, est déplacée dans l’angle nord-est avec 18 postes et se trouve bien loin des destinations. Le parc voiture payant est encore quasiment vide.
L’accès à pied et à vélo dans ce quartier nouvellement aménagé n’est pas clair ! Aucune continuité d’itinéraire piéton et vélo n’est mise en place. Si l’avenue de Romans reste l’accès principal, une voie piétonne est créée à l’ouest mais elle ne se prolonge toujours pas dans l’allée Raymond Mias de l’autre côté de l’avenue de Romans (ill. 3) On ne voit pas bien comment elle se prolongera vers le sud. Sur le chemin de Ronde, deux beaux escaliers ont été réalisés avec une rampe qui n’est pas utilisable à vélo ! Celle du sud, en venant de l’esplanade, le terrain remonte légèrement pour rejoindre le sommet de l’escalier, étonnante conception (ill. 4)! Une pente unique aurait été bien plus pratique pour tous ! Même chose à l’est où ce passage débouche sur un petit parking à l’entrée de la rue Massenet ou il faut du courage pour se frayer un chemin à pied ou à vélo alors que ce serait un bel itinéraire pour rejoindre le quartier Montplaisir et même Briffaut (ill. 5)
Mais on est à Valence où les habitants ne veulent pas marcher à pied et faire du vélo pour faire 500 mètres, comme me l’on dit certains élus ! Pourtant si, c’est possible !