Un parc « moderne »

Le parc Jean Perdrix à Valence, conçu en 1971
par la paysagiste, Ingrid Bourne

© AD 26 (4 Fi 008)

Ecrin pour les célèbres châteaux d’eau du sculpteur Philolaos, le parc Jean Perdrix à Valence fait le lien entre les deux quartiers de Fontbarlettes et du Plan. Aujourd’hui, ce parc s’impose dans la ville par son ampleur et sa modernité. Bien que sa conception s’inscrive dans l’histoire de l’urbanisme et du paysage des Trente Glorieuses, celui des « espaces verts », les paysagistes Ingrid et Michel Bourne, les concepteurs du parc « historique » conçu en 1971 y ont apporté une approche plus sensible au paysage et à l’urbain. Mais c’est Ingrid Bourne, une des premières femmes paysagistes en France qui suivra plus particulièrement les aménagements du parc et ceux de la ZUP de Valence-le-Haut créée en 1963.

Auteure :
Chantal Burgard

1. Le parc Jean Perdrix s’impose dans la ville par son ampleur, sa modernité marquée par la présence monumentale des châteaux d’eau.

Parc Jean Perdrix, 2022 © Chantal Burgard
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Lac du parc © Eric Caillet

D’une surface de 25 ha, le parc Jean Perdrix est actuellement le plus grand des neuf parcs de Valence, le parc Jouvet du centre ville, ouvert en 1905, ne faisant que 7 ha. Situé sur la terrasse haute de Valence, le site offre des vues lointaines sur le Vercors et sur l’Ardèche.
Les célèbres châteaux d’eau en sont le centre, un signal puissant à l’échelle de la plaine de Valence, tel que l’a souhaité l’architecte urbaniste de la ZUP, André Gomis (1926-1971). Difficile de laisser échapper son regard, happé par ces colonnes monumentales qui demeurent le repère de ce parc aux multiples paysages.
En s’enlaçant, ces deux tours symbolisent le lien entre les deux quartiers, à l’échelle de la vaste plaine valentinoise. ¨Philolaos, le « sculpteur des architectes […] préférait que ses sculptures existent dans la nature, dans la vie et dans la ville, plutôt que dans les musées » (*).
Dans ce très grand parc aux multiples ambiances, les lieux sont bien entretenus. S’y glissent des silhouettes en famille, rarement seules. L’espace de jeux pour les enfants est très fréquenté, bien que les familles témoignent de leur sentiment d’insécurité et regrettent le manque de surveillance du parc.

Son théâtre de verdure, pouvant accueillir des rassemblements importants, est devenu un lieu de manifestions festives et culturelles : spectacle pour le bicentenaire de la révolution de 1789, feux d’artifice pour les 14 juillet jusqu’en 2015, concerts du groupe Evasion et des Tambours du Bronx, spectacle de la Cie Transe Express, la fête de la musique en 2008, les fêtes du cinquantenaire des Châteaux d’eau en 2021 ont profité des parois des châteaux d’eau pour des projections.
Des visites sur le patrimoine végétal par « Pays d’Art et d’Histoire Valence-Romans », des parcours « santé », le « Family Day » en mai 2019 et 2022 organisé par la Ville, en font un lieu de pratiques sociales très diverses. Une plage d’été, supprimée en 2015, est remplacée en 2019 par une aire aqualudique.

Feu d’artifice au parc Jean Perdrix © Eric Caillet
Théâtre de verdure © Albert Cessieux
Cinquantenaire du château d’eau de Philolaos, Parc Jean Perdrix, 2021

2. Le contexte des «espaces verts » des grands ensembles des « Trente Glorieuses » (1945-1975)

Bien qu’inscrit dans l’histoire des espaces verts d’après guerre, le parc Jean Perdrix, conçu en 1971 par les paysagistes Ingrid et Michel Bourne, se distingue par ses qualités paysagères, grâce à la personnalité de ses concepteurs.
Après la Seconde Guerre mondiale, rare est, dans la pensée paysagère, la réflexion sur le territoire, son histoire, sa géographie et les éléments naturels qui le constituent, sol, eau, végétation, sur les écosystèmes et le rapport aux édifices.
Avec la construction des grands ensembles, se met en place un « paysagisme d’accompagnement »
qui s’appuie sur la conception d‘un urbanisme moderne basé sur la Charte d’Athènes : une tâche verte, ininterrompue à l’échelle de la ville. La notion de square, de parc s’efface au profit d’un espace libre, « verdi », dont la fonction est de remplir le vide entre les bâtiments, occupé ponctuellement de mobilier urbain : « Le jardin urbain, trop cher, trop sophistiqué et trop peu fonctionnel, doit céder la place au simple verdissement urbain, disparition compensée par l’organisation, de temps à autre, de manifestations florales spectaculaires baptisées « floralies » (*).

Cité de Fontbouillant à Montluçon, carte postale, 1968 © Cim
Ce sont des « Pratiques peu soucieuses de prendre en compte la dimension du paysage autrement qu’à travers des pratiques compensatoires reposant sur le rôle « pacificateur » d’un végétal supposé racheter les excès d’une architecture jugée trop radicale »(*).
 

Cependant, dans les années 1970, la commande publique soutenue par des aides financières importantes de l’Etat, en particulier pour les ZUP, a permis l’émergence d’une nouvelle génération de paysagistes.
Après les jardins luxuriants du brésilien Burle Marx et autres jardiniers artistes, la remise en cause de la Charte d’Athènes et de la pensée urbaine des grands ensembles, une nouvelle génération, portée par les paysagistes Jacques Sgard et Jacques Simon, inaugure une forme de « land art » et plus tard une approche plus large du paysage, en tant que mémoire du territoire, connaissance du milieu naturel ambiant et du contexte social.

Ceux-ci trouvèrent avec la création en 1977 de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage un enseignement autour de Michel Corajoud, ouvert sur une nouvelle pensée urbaine, intégrant une approche sociale et écologique.
A l’orée des années 1980, liés à cette école, l’Atelier d’urbanisme et d’architecture (AUA) et le paysagiste Alexandre Chemetoff ont développé au sein d’équipes pluridisciplinaires, architectes, urbanistes, paysagistes, des approches qui réinvestissent la ville, son histoire, son inscription dans leur territoire.
Ensuite s’est renouvelé l’art des jardins avec certains parcs comme celui de la Villette et parc Citroën à Paris et la figure de Gilles Clément. Avec ses notions du « jardin en mouvement » et du « jardin planétaire », « la prise de conscience d’une finitude écologique », Gilles Clément (*) marquera de son empreinte jusqu’à aujourd’hui les approches paysagères, que cela soit dans les jardins et espaces publics.

C’est pourquoi la conception du parc Jean Perdrix s’inscrit, de manière particulièrement précoce à travers l’approche urbaine et paysagère qui l’a portée, dans le renouveau d’une pensée du paysage des années 1970.

3. Naissance d’un parc : un lien entre les deux quartiers de Valence-le-Haut, un écrin pour les châteaux d’eau

L’amphithéâtre du parc, 1977 © AD 26 (4Fi 00001)

La conception du parc par les paysagistes Ingrid et Michel Bourne, et plus particulièrement d’Ingrid Bourne, est liée au travail d’équipe sur la ZUP entre l’architecte urbaniste André Gomis, le sculpteur Philolaos et le BETURE (*).

En 1963, la ville de Valence souhaite créer un parc à l’extrémité de la nouvelle ZUP. Celle-ci est prévue pour 5000 logements et à terme 5000 de plus, ce qui devait représenter une population de 30 000 habitants, soit la moitié de la population la ville qui est à l’époque de 60 000 habitants. La ZUP est construite sur la terrasse haute de la ville de Valence, dans la vaste plaine agricole située au pied du massif du Vercors (*).

En décembre 1971, l’Etat, représenté par le préfet J. Pataut, alloue une aide financière de 30% sur un montant de 1 000 000 F de travaux pour ce parc, en tant que « parc primaire » intégré à une grande opération d’urbanisme.
Les premiers travaux ont été lancés en 1972 et réalisés par la SEDRO (*). La ZUP compte alors 3500 logements (15% de la population de la ville). Complétant les parcs de quartier de proximité, le parc central de 25ha (sur 220 de la ZUP) est prévu sur une zone non aedificandi des puits des eaux de captage des châteaux d’eau (*). Cet ouvrage est nécessaire pour alimenter en eau la nouvelle ZUP. L’architecte urbaniste de la ZUP André Gomis inscrit le parc dans une forme circulaire centrée sur les châteaux d’eau. Il les « imagine comme un « point fort » et songe à une forme sculpturale d’une soixantaine de mètres de haut, en relation avec les futurs immeubles environnants » .

Les châteaux d’eau conçus par le sculpteur Philolaos et construits par l’architecte Gomis sont un magnifique ouvrage, signal urbain à l’échelle du quartier, de la ville et du paysage de la plaine de Valence.
Ils reçurent en 2003 le Label Patrimoine du XXe siècle. Les études menées de 1966 à 1968 sous la conduite de l’architecte André Gomis en montrent l’exploit technique, tant sur le plan structurel, hydraulique qu’aérodynamique (*). Le chantier a lieu entre 1969 et 1970.

Maquette du projet urbain de Valence-le-Haut, vers 1968 © DR
Zup de Valence-le-Haut sans la construction du centre commercial, photographie © Archives de Valence
Plan d’ensemble de la Zup © AD 26 (398W)
L’emplacement des châteaux d’eau au centre du futur parc est le point final du grand axe urbain nord/sud.
Sur cette maquette et ce plan signé par Gomis, est représentée la forme circulaire du parc, entouré par des constructions très proches.
Plan du parc signé par les Bourne, 1975 © Archives de Valence (côte 934W291)
Plan des tranches des travaux © Archives de Valence (934W291)
Vue aérienne du parc vers le Nord, vers 1973 © DR
Sur ce plan de 1975 signé des Bourne, les contours du parc se dessinent avec des formes souples. Des éléments significatifs sont représentés : le lac, le pont, une guinguette à côté de la plage, un espace de jeux de boules, le traitement des berges, des prairies, des « montagnes russes pour bicycles », un théâtre de verdure, un jardin calme ou de fleurs route de Montélier, des pas japonais, 3 forages.
Les mouvements de terre proviennent de la construction des bâtiments de la Zup et du creusement du plan d’eau (programme technique BET IPK pour la construction d’un centre aquatique(*).

Les travaux du parc sont découpés en 4 tranches, la 1ère commençant en 1973 autour des châteaux d’eau , la 4e prévue en 1977.

Parc Jean Perdrix en 1983 © AD 26 (4Fi 00006)
Parc Jean Perdrix en 1983 © AD 26 (4Fi 00007)
Avec ces photos datant de 1977, on réalise ainsi le temps qu’il faut, plusieurs décennies, pour qu’un parc prenne forme, tel que l’a pensé le paysagiste. Les masses des immeubles environnants et des châteaux d’eaux sont très présentes. Les végétaux ponctuent les prairies et les talus. Cependant, les vues lointaines sur le Vercors participent au plaisir de la découverte du parc. Quelques arbres existants ont été conservés.
En 1972 et 1973, les Bourne signent un plan pour l’aménagement de terrains de sport autour du parc (rugby, volley-ball et hand-ball).
En 1974, le ralentissement de la commercialisation de la ZUP conduit à limiter l’opération à 6500 logements et effectuer des réserves foncières. Cependant les travaux du parc sont maintenus.
Le parc est nommé en l’honneur de Jean Perdrix, maire de Valence de 1957 à 1971.

4. Un parc « moderne », l’aboutissement d’un long axe urbain

L’axe urbain qui traverse du nord au sud le quartier de Fontbarlettes a pour point de mire les châteaux d’eau. Cet axe est marqué par des allées d’arbres, du sud jusqu’au parc, avec seule interruption le centre commercial. Cet axe devait être bordé au sud du parc « historique » de constructions publiques (salles de spectacle et de réunion, dispensaire, jardin d’enfants, maison de retraite, cité paroissiale) qui n’ont pas été réalisées.

L’axe urbain de Fontbarlettes du sud au nord © Chantal Burgard
En contraste de la géométrie orthogonale de la trame urbaine, Ingrid Bourne sculpte le parc avec des formes libres et sinueuses. Elle met en valeur les châteaux d’eau et des éléments naturels tels le lac et les masses végétales, des arbres isolés dans la tradition des parcs à l’anglaise. On est loin du pittoresque des parcs du XIXe siècle, du néoclassicisme de ceux du début du XXe siècle représenté à Valence par le parc Jouvet, loin de l’esthétique géométrique des premiers jardins modernes.
Une mise en scène pour les châteaux d’eau : les mouvements de terre, dont le dénivelé peut atteindre 10 m. accentués par la forêt de cèdres, leur forment un véritable écrin ; le lac leur fait miroir.

Les dénivelés créent un enchaînement de paysages fermés et ouverts qui multiplient les perspectives.
L’ampleur de l’amphithéâtre de verdure que surplombe la masse des châteaux d’eau est accentuée à son sommet par la forêt de cèdres d’Atlas. Les allées sont cernées d’arbres ou haies qui canalisent le regard.

Le lac et son île, les prairies offrent des paysages paisibles, ouverts sur les lointains du massif du Vercors.

Des arbres isolés, saules pleureurs, tilleuls prennent place dans les prairies.
Ingrid Bourne « restera marquée par les paysages ouverts de la mer Baltique, tenus sous le ciel par des digues immenses ainsi que par les grandes étendues de pelouses ponctuées d’arbres fruitiers de la campagne anglaise » (*).

Une grande diversité botanique

Le choix des essences témoigne de l’étendue des connaissances des végétaux d’Ingrid Bourne, leurs variétés et leur adaptation aux milieux ambiants. Les arbres sont plantés en groupe de même essence, amplifiant leur masse. « Les abords des châteaux d’eau sont à dominante de conifères notamment sur les talus entourant les deux sculptures. […] En s’éloignant de l’épicentre du parc, les feuillus reprennent le dessus. Robiniers, érables forment le corps de masse et sont égayés d’arbres de Judée, féviers d’Amériques et d’autres arbres impériaux. La strate arbustive n’est pas absente et complète l’effet de masse » (*). Liquidambars, pins noirs, sophoras, sorbiers accompagnent en massifs serrés les cheminements.
Plan Bourne du parc central, détail de plantations, 1975 © Archives de Valence (934-291)
Détail sur la grande île © Archives de Valence (934-291)

Les contours du lac et de la grande île cernée d’un cordon en béton et de perrés (galets scellés), sont soulignés par des petits massifs de forsythias, noisetiers, genêts, aulnes glutineux, saules rampants, genêts à balai, cornouillers mâles qui soulignent le pont.

Au nord du parc, côté quartier du Plan, la résidence 2000, appelée aujourd’hui « Les terrasses », construite en 1970 par l’architecte Maurice Blanc (1924-1988), est la seule construction en limite de celui-ci. Des espaces plantés aux formes souples protègent visuellement depuis les allées, les terrasses ouvertes sur le parc et orientées au sud. Les végétaux plus méditerranéens sont toujours plantés en groupe : des massifs d’arbres assez denses et continus, persistants et à feuilles caduques, érables champêtres, pins noirs, cyprès de Lambert, noyers du Caucase, pruniers, muriers alternent avec des groupes d’arbustes apportant de la couleur, photinias, lauriers cerises, arbres de Judée, albizzias, pruniers, pyracanthes, sorbiers des oiseaux, lauriers cerises, boules de neige…

Les Bourne assureront la maîtrise d’œuvre du parc (toujours sous la direction de Gomis, avec l’aménageur SEDRO), des « espaces verts » de la Zup, dont les terrains de sport , rugby et football, en 1972/1973 puis des terrains de handball et volleyball.
Dans les aménagements ultérieurs, ne seront plus cités le nom des Bourne : ils seront réalisés par les services de la Ville.

5. Une évolution du parc, peu sensible à l’esprit du parc »historique »

Si l’aménagement du parc « historique » est relativement préservé, les extensions qui suivent, s’éloignent de l’esprit de celui-ci. L’achèvement de son aménagement, le traitement de ses limites, la réorganisation des accès, la clarification de ses usages, sont complétés par l’intégration de nouvelles zones de stationnement et l’aménagement d’extensions.

Le parc en 1987 (15 ans après sa réalisation) © Archives de Valence (934W291)

Dans les années 1990, vingt ans après sa réalisation, le parc arrive à maturité, les masses végétales sont perceptibles. Les constructions prévues initialement au sud du parc sont remplacées par une mosquée et 16 jardins familiaux (150 m2 avec abris).
En 1989, sous l’impulsion du maire de Valence Rodolphe Pesce, les architectes Paul Chemetov et Borja Huidobro, assistés des architectes Jean Cazanelles et Richard Chambaud, élaborent un schéma directeur sur le quartier dans le cadre d’un PLDS (Plan Local de Développement Social). Ils proposent de prolonger le parc vers la place centrale, avec l’aménagement d’un canal et jusqu’à un futur parc des Martins situé au sud de Fontbarlettes, et de compléter les plantations par des haies brise-vent, projet qui ne sera pas réalisé.

Contrat de ville, 25 mars 1996 © Archives de Valence (926W43)

En 1993, dans le cadre du Contrat de Ville, est décidé l’aménagement de l’entrée nord-ouest, route de Montélier, avec un nouveau stationnement, un massif floral, une allée piétonne avec une double plantation de cyprès de Provence, un éclairage nocturne. La réalisation sera effective en 1998, la mise en lumière des châteaux d’eau par l’Atelier Roland Joel (*). Entretemps auront été aménagés l’entrée Est du parc et l’extension de la mosquée en 1993.

Des éléments ponctuels, tel le kiosque réalisé par l’architecte Noël Cessieux en 1993, des aires de jeux, s’inscrivent dans le parc sans en altérer l’esprit.
En 2007, est prévu l’aménagement des 6 ha des réserves foncières du parc. Le programme constate qu’en dehors du parc historique, les espaces environnants manquent de structure végétale et de clarté d’accompagnement des haies et des limites. Le projet est de renforcer le stationnement lié aux activités sportives de la mosquée et au Centre technique municipal (330 places plantées), de sécuriser le parc par des clôtures et portails, d’empêcher la circulation des motos, éclairer les parkings et axes piétons, créer des alignements d’arbres. Pour l’intégration des parkings sont plantés 80 féviers d’Amérique jusqu’ à la rue Mozart , 17 chênes sur la rue Mozart, des bosquets de robiniers, platanes, sophoras, paulownias… (*).

Est envisagé, entre autres, le remplacement de la piscine Tournesol par un complexe aquatique, ce qui n’aura pas lieu (*). Malheureusement, sans paysagiste sensible à l’esprit du parc « historique », le traitement paysager de ses extensions l’a banalisé et en a effacé les limites.

Projet d’extension du parc : photo aérienne du parc existant 2006 et réserve foncière © Archives de Valence (929w 404-1)
Périmètre de la zone d’extension © Archives de Valence (929w 404-1)
Projet d’aménagement © Archives de Valence (929w 404-1)

6. Ingrid Bourne, une des premières femmes paysagistes en France

La place des premières femmes paysagistes a été mise en évidence à travers les nombreuses recherches sur les pratiques paysagistes d’après guerre par Bernadette Blanchon, architecte DPLG, maître de conférences, à l’ENSP de Versailles : « Alors qu’aujourd’hui en France, les étudiantes dans les écoles de paysage représentent 60% des étudiants et que les femmes occupent aujourd’hui la moitié des 130 postes d’architectes paysagistes-conseils de l’Etat, témoignant du chemin parcouru, […] il faut attendre la 6ème promotion (1951-1953) pour lire un nom féminin dans l’annuaire des anciens élèves » (*).

Ingrid Bourne, née en 1933, figure parmi ces premières femmes paysagistes, qui ont renouvelé les pratiques et ont ouvert la voie à d’autres. Y figurent aussi Isabelle Auriscote née en 1941, une des rares femmes à avoir reçu le Grand Prix du Paysage, et Marguerite Mercier née en 1946. Leur place et reconnaissance reflète la position difficile des femmes dans la société d’après-guerre. Plus discrètes, plus prêtes à nouer un dialogue avec leurs partenaires, celles-ci-ont ouvert la voie à d’autres femmes paysagistes.
Ainsi que le souligne Bernadette Blanchon, en Europe du Nord et aux Etats Unis, la place des femmes est plus affirmée et le paysagisme plus développé. Ingrid Bourne a apporté une ouverture aux cultures du paysage provenant du Nord de l’Europe. Elle « a joué un rôle clé dans l’introduction d’éléments issus de cultures différentes dans un milieu français très traditionnel, éléments qui eurent un écho dans l’enseignement comme dans la pratique » (*). Née dans une famille aisée, Ingrid Bourne grandit à Berlin et Kiel. S’intéressant particulièrement aux plantes, elle étudie à la Royal Horticultural Society puis rejoint en 1954 la Section du Paysage et de l’art des jardins à l’École nationale d’horticulture à Versailles. Elle y rencontre son futur mari Michel Bourne (1932-2021) avec qui elle a 4 enfants. La famille de Michel Bourne est rattachée aux pépinières Guillot et Bourne dont le siège social se trouve à Jarcieu en Isère. Suite à la reconnaissance de leurs travaux liés à des programmes de logements sociaux, ils créent ensemble en 1957 l’Atelier du Paysage à Saint-Marcellin en Isère et développent leur activité avec des commandes publiques et privées. Ils furent tous les deux enseignants à l’Ecole d’Architecture de Grenoble.

Michel Bourne est le concepteur du jardin de la maison du Bateau Ivre (1955-1956) à Saint-Marcellin en Isère « et il est probable qu’Ingrid Bourne y ait participé ».

En 1956, les Bourne, jeunes diplômés, sont appelés à aménager l’Unité de voisinage de Bron-Parilly, conçue et réalisée par les architectes Bourdeix, Gagès et Grimal. Avec ses 2607 logements, l’Unité de voisinage de Bron-Parilly près de Lyon, est alors le plus important ensemble d’habitation jamais construit en France. Ingrid Bourne conçoit ses aménagements sans plan topographique afin de respecter l’étroitesse du budget.

  • « Ingrid Bourne suit désormais ses propres projets, de la conception à la réalisation, développant une écriture personnelle plus libre, à la recherche d’un équilibre entre structure et souplesse du végétal, entre géométrie et aléatoire du milieu vivant, « entre Le Nôtre et Plömin». […] Chaque projet est l’occasion de mobiliser sa culture internationale, d’affirmer son goût du végétal et de l’écoute du client » (*).

C’est ainsi qu’elle mène, entre 1968 et 1971, la conception et réalisation du Parc Jean Perdrix, dans le cadre de la construction de la ZUP de Valence-le-Haut, en étroite collaboration avec l’architecte urbaniste André Gomis et le BETURE. De même, elle assurera la conception et réalisation du Parc Paul Mistral (1966-1971) et celui d’Echirolles à Grenoble.
En 1990, les Bourne (le nom d’Ingrid n’est pas mentionné ) sont chargés de l’aménagement (*) de la Place Antonin Poncet à Lyon, inaugurée en 1993. Ingrid Bourne créera des jardins sur la colline de Fourvière (2000).
Michel Bourne est décédé en 2022. Ingrid Bourne vit actuellement en Allemagne.

Cinquante ans après sa création, le parc « historique » mérite ainsi d’être redécouvert, à chaque saison, dans sa modernité intemporelle, à travers la figure de sa conceptrice, Ingrid Bourne. Elle y a apporté son expérience venue d’une pensée du paysage d’Europe du Nord. A l’échelle de la ville, le parc – marqué par les châteaux d’eau qui sans son écrin auraient une présence beaucoup plus brutale – demeure un lieu social hautement symbolique.

Portrait d'Ingrid Bourne © DR
Ingrid Bourne au Japon © DR

témoignage

Ma rencontre avec la paysagiste Ingrid Bourne à Valence…

J’ai connu et travaillé avec Ingrid Bourne entre 1968 et 1971 sur la réalisation de la ZUP de Valence-le-Haut que réalisait la SEDRO.

Autour de l’architecte urbaniste André Gomis, auteur du projet, une petite équipe travaillait à sa réalisation avec Ingrid Bourne, la paysagiste chargée d’apporter la conception des aménagements paysagers qu’on appelait à l’époque les « espaces verts » et l’ingénieur responsable de l’étude et la réalisation des infrastructures, voirie, assainissement, eau et réseaux divers que j’étais au bureau d’étude BETURE à Lyon.
Sous la direction de la SEDRO avec son directeur Mr Hussy, l’architecte proposait l’implantation des programmes correspondants aux projets des constructeurs en concertation avec leurs architectes. Nous proposions et réalisions les aménagements correspondants. Des réunions de travail mensuelles permettaient d’assurer la coordination des projets et des travaux à entreprendre. Dans nos discussions, Ingrid Bourne parlait de son objectif de créer un paysage urbain à partir de masses végétales et d’alignements accompagnant les constructions le long des axes et dans les ilots, une conception très différente de celle des jardiniers de la ville qui, à l’époque, travaillaient essentiellement sur des massifs floraux. Elle disait qu’ils s’intéressaient plus aux plans qu’à la masse végétale. Elle, c’était l’inverse aussi bien pour le traitement des ilots, les continuités que pour le parc.
Le travail était difficile car il faut que les plantations se développent pour que l’on perçoive l’effet recherché. Transplanter des platanes, nombreux dans le secteur, permettait d’avoir immédiatement un arbre adulte. C’est ce qui avait été fait avec une grue dans la cour d’un immeuble du quartier du Plan car il n’était plus possible de le passer sous les porches !
J’établissais le plan d’implantation des bâtiments à partir des données de l’architecte urbaniste André Gomis et les plans de voirie-stationnement que l’on validait ensemble.
Sur les plans de voirie, Ingrid Bourne établissait les plans d’aménagements paysagers, plantations et des appels d’offres pour les consultations et marchés des entreprises. Elle suivait les travaux et venait régulièrement voir le travail de l’entreprise d’espaces vert.
Pour le Parc Jean Perdrix, réalisé dans la zone inconstructible, André Gomis a voulu créer un lien fort entre le quartier du Plan et celui des Fontbarlettes. Ingrid Bourne a réussi l’intégration des châteaux d’eau de Philolaos et les ramifications qui irriguent les quartiers. Les importants croissants de terre formant un amphithéâtre autour des châteaux d’eau ont été réalisés avec les déblais qui préparaient la réalisation de la liaison avec l’avenue de Verdun. Ce travail a fait l’objet de beaucoup de soins de toute l’équipe.
Elle parlait très bien le français avec un petit accent. Elle avait notre confiance totale et celle du maître d’ouvrage, la SEDRO. J’ai le souvenir d’une personne très calme qui travaillait et apportait des traitements que nous prenions en compte
J’ai rencontré un jour son mari chez eux à Saint Marcelin. Ils habitaient au-dessus du village. J’avais été invité un jour à midi, à l’improviste. La table ronde m’avait impressionné avec un plateau en bois tournant au milieu pour faciliter le passage des plats. Il était plutôt grand, un bel homme et aussi paysagiste. La famille possédait d’importantes pépinières à Beaurepaire qui fournissait de très beaux sujets d’arbres de haute tige.
Aujourd’hui, les plantations ont 50 ans et même si elles se sont bien dégradées dans certains ilots, son œuvre reste bien visible.
En 1971, un changement de municipalité a conduit à arrêter le développement du quartier. Les équipes sont parties sur d’autres projets. Quand la municipalité a voulu reprendre le projet, l’absence de mémoire n’a pas toujours permis des solutions heureuses.

A. Cessieux
Le 24 janvier 2023

Auteur :
Albert Cessieux

Le parc en 1977 vu vers le nord, avec la résidence 2000 © Albert Cessieux
Le parc en 1977 © Albert Cessieux
Arbres préservés par I. Bourne © Albert Cessieux
Allée du parc, 1977 © Albert Cessieux

Remerciements : l’autrice remercie vivement Bernadette Blanchon pour les échanges et ses conseils, les archives départementales de la Drôme et de Valence, Albert Cessieux, Jean-Luc Vernier.

Bibliographie
Despesse B.M., La sculpture–château d’eau de Philolaos à Valence, Ed. Mémoire de la Drôme, 2013
Le Dantec J.P., Le sauvage et le régulier –Art des jardins et des paysages au XX° siècle, Ed Le Moniteur, 2002
Une sculpture de Philolaos, les châteaux d’eau, catalogue d’exposition, Le musée de Valence, 1991
Blanchon B., Le paysage dans les ensembles de logements français (1945-1975) comme potentiel de leur dynamique aujourd’hui
Blanchon B., Trois femmes paysagistes pionnières en France
Blanchon-Caillot B., Pratiques et compétences paysagistes dans les grands ensembles d’habitation, 1945-1975