Comment repenser les modèles de création, de commercialisation et de valorisation de la céramique pour (re)dynamiser les territoires et (re)valoriser ce métier d’art ? Telles sont les questions que Julia Babylon aborde dans sa thèse professionnelle réalisée dans le cadre d’un double diplôme en Management des Entreprises Culturelles et des Industries Créatives (MECIC Paris). Cet article propose une synthèse de cette recherche en s’appuyant plus particulièrement sur des expériences drômoises.

Auteure
Julia Babylon

La céramique d’art s’est érigée au fil des siècles comme un marqueur de nos sociétés modernes. Cet objet d’art, symbole d’un patrimoine vivant et immatériel, impulse de nouvelles dynamiques de développement à l’échelle des territoires. La crise sanitaire de la COVID-19 survenue au début de l’année 2020 sonne un coup d’arrêt brutal pour l’économie mondiale contraignant les artisans et métiers d’art à reconsidérer leurs enjeux de développement économique, local et culturel. Face à l’instabilité conjoncturelle, les céramistes d’art, maîtres du feu, se consument et doivent se réinventer pour renaître des cendres de la pandémie. Comment repenser les modèles de création, de commercialisation et de valorisation de la céramique pour (re)dynamiser les territoires et (re)valoriser ce métier d’art ?

Cette problématique d’actualité s’inscrit dans la thèse professionnelle que j’ai réalisée dans le cadre d’un double diplôme en Management des Entreprises Culturelles et des Industries Créatives (MECIC Paris) du groupe Burgundy School of Business. Ce travail de recherche s’appuie sur une étude empirique, qualitative et quantitative, menée auprès d’experts du monde des métiers d’art. Ces témoignages recueillis lors d’interviews, d’ateliers de réflexion et de rencontres sont venus nourrir ma réflexion tout au long de ce travail et corroborer les apports théoriques issus de la revue de littérature.

Ma recherche s’est articulée en suivant les étapes de la construction de la « chaîne de valeur » de la céramique d’art : de sa création, à sa commercialisation puis à sa diffusion. Chacun des chapitres questionne la dimension du développement local, économique et culturel des territoires.

 

Céramiques réalisées à partir de l’imprimante 3D du 8 Fablab © CB

La production de la céramique d’art : du processus de création à l’ancrage territorial

Grâce aux phénomènes de patrimonialisation (*) et d’artification (*), les céramistes sont devenus des créateurs dont l’identité transparaît à la fois dans l’objet d’art et dans les territoires sur lesquels s’ancrent leurs activités. Ces nouvelles manières de concevoir la céramique d’art permettent de dépoussiérer l’image de la céramique traditionnelle, propulsée à l’avant-garde de la modernité. Des écosystèmes créatifs innovants permettent aux céramistes de réinventer leurs pratiques en mutualisant leurs savoir-faire avec d’autres corps de métiers, comme des plasticiens, designers ou encore des ingénieurs. Ainsi, il semblerait que la « co-création » et la « co-production », grâce à la mutualisation des ressources professionnelles et des équipements, puisse contribuer au renouvellement des pratiques artisanales et au développement local en créant des synergies favorables à l’essor d’une économie circulaire.

Focus sur l’imprimante 3D céramique

Ce sont principalement les innovations technologiques qui favorisent ce type de collaborations, comme l’introduction d’une imprimante 3D pour la céramique sur le territoire drômois.

Cinq partenaires drômois se sont associés pour acquérir une imprimante 3D d’Olivier van Herpt : le 8 Fablab, 369 éditions, Less is More Factory, Entreautre et bf. Olivier van Herpt, jeune diplômé de la Design Academy d’Eindhoven a développé une innovation technologique hors-norme : des machines à imprimer la céramique en 3D dans des formats beaucoup plus grands que les matériaux classiques traditionnellement imprimés en plastique 3D. Il précise imprimer « des collections d’objets qui adoucissent la définition du design industriel (*)», en leur ajoutant une certaine dimension humaniste et innovante. Ces machines permettent de créer, « artificiellement » des objets manufacturés tout en conservant une partie « humaine » et « vivante » puisque la main de l’homme peut intervenir lors de l’impression. Le numérique s’imbrique dans le processus de création artisanale, lui donnant une dimension digitale. La machine a été installée dans les locaux du 8 Fablab (*) qui est labellisé «MIT» (Institut de technologie du Massachusetts) et lauréat d’un appel à projet national (ministère de l’économie) en 2013. L’analyse de l’écosystème créatif du 8 Fablab à Crest montre le poids des innovations technologique sur le développement local et sur l’identité artisanale du territoire drômois.

Détail de l’imprimante 3D céramique au 8 Fablab © David Meynard, 8 Fablab
Scénographie de l’exposition 3D 3TERRES inspirée de l’imprimante céramique 3D par David Genin@Noda Design, 8 Fablab

Les enjeux du développement économique de la céramique d’art dans la sphère marchande

Comme nous l’évoquions, la crise sanitaire de la Covid19 a marqué un coût d’arrêt brutal pour l’économie mondialisée. Un bouleversement considérable pour les céramistes qui ont vu, du jour au lendemain, leurs modèles économiques traditionnels s’effondrer. Mais comment se réinventer dans ce paysage en mutation ? Comment maintenir son activité tout en fermant les portes de son atelier ou de sa boutique et en perdant le contact physique avec ses clients ?

La pandémie a généré de nouvelles opportunités de marché pour le secteur de l’artisanat et des métiers d’art. La digitalisation dans la sphère marchande avec l’essor de la vente en ligne soutenue par le plan de relance gouvernemental a conduit les céramistes à repenser leurs modèles économiques. Une autre piste envisagée pour la sortie de la crise est celle de la mutualisation des outils et ressources numériques. L’action collective pourrait ainsi œuvrer à la relance et au développement économique des métiers d’art.

La diffusion de la céramique d’art comme vecteur de développement culturel

Les enjeux de la digitalisation dans la sphère marchande se retrouvent dans le champ de la diffusion de la céramique d’art, où celle-ci se mue en un véritable bien d’expérience, tangible et intangible, à la conquête de nouveaux espaces de diffusion et de nouveaux publics. Dressée sur les tables des plus grands chefs étoilés, diffusée dans nos oreilles dans des podcast ludiques ou encore empaquetée dans nos boîtes aux lettres sous forme de kit d’apprentissage, la céramique s’affranchit des espaces de diffusion traditionnels et pénètre de nouveaux marchés. Ces nouvelles perspectives de marché pour les artisans et métiers d’art sont rendues accessibles par la mutualisation, dans la dimension créative, commerciale et culturelle de leurs outils et pratiques professionnelles. En valorisant leurs savoir-faire à la fois dans leurs actions individuelles et collectives, les acteurs du monde de la céramique d’art s’affirment comme les précurseurs du développement de ce métier d’art sur la scène de la création.

Des stratégies de marketing direct aux stratégies de marketing digital, de nouvelles actions de valorisation voient le jour et transforment la céramique d’art en un véritable bien d’expérience, aussi bien « en ligne », qu’ « hors ligne ». Les collaborations que nous évoquions à l’étape de la création se matérialisent dans l’espace de diffusion où la céramique prend vie grâce à la diversification des contenus diffusés.

Productions de la Fabrique de Poteries, Cliousclat (26) © R. Chambaud

Du développement local au développement culturel : quand la céramique s’expose

Par essence, la céramique d’art est un objet tangible qui se diffuse à la fois dans l’espace marchand et dans l’espace social. Les phénomènes d’artification et de patrimonialisation de cet objet d’art lui ont permis de pénétrer de nouveaux espaces de diffusion. Pour illustrer les enjeux de la diffusion de la céramique d’art, il est intéressant de questionner le rôle des expositions. Cet exemple de manifestation événementielle nous permet de comprendre le processus d’ « événementialisation » de la céramique d’art. Elisa Ullauri Lloré considère, en partant des travaux de Jean Davallon que l’exposition fonctionne comme un dispositif communicationnel et symbolique (*), l’exposition serait donc un média à part entière. L’exposition est ancrée dans un espace qui fait l’objet la plupart du temps, d’une scénographie. Cette démarche permet de mettre en avant le travail et l’identité de l’auteur des créations artistiques. Le céramiste dès lors qu’il participe à une exposition voit donc son univers prendre forme dans un espace, hors des murs de son atelier. Ces lieux contribuent à la valorisation de l’univers des créateurs, notamment en le matérialisant dans l’espace. Les expositions des céramistes d’art contribuent à décloisonner et à redéfinir les frontières de la céramique contemporaine. Elles permettent également de renouveler l’image traditionnelle de la céramique en mettant en lumière les nouvelles formes de collaborations. L’exposition joue un rôle important pour les artisans et métiers d’art puisqu’elle peut leur ouvrir des perspectives importantes de développement humain, économique et culturel. Jean Davallon considère qu’une exposition est à la fois une « situation de rencontre » mais aussi un outil à part entière de communication générant un impact social(*).

Focus sur l’exposition 3D.3TERRES du 8 Fablab

L’introduction de l’imprimante 3D céramique sur le territoire drômois que nous évoquions précédemment a donné lieu à l’exposition 3D.3TERRES (*) menée en collaboration avec trois territoires ruraux de la Drôme et de la Chambre de métiers et de l’artisanat de la Drôme. Cap Rural, centre de ressources qui promeut et accompagne le développement des territoires ruraux et péri-urbains d’Auvergne-Rhône-Alpes, s’est associé au 8 Fablab pour porter ce projet et a pu apporter son expertise en termes de connaissance du territoire pour impulser une dynamique locale. Les porteurs du projet ont choisi trois territoires marqués par la tradition potière : Dieulefit, Cliousclat et Saint-Uze.

Dix sept professionnels issus de ces territoires ont participé au projet et ont suivi en amont des formations pour utiliser la machine. Ils ont été accompagnés par des techniciens du Fablab tout au long du processus de création : de la conception numérique des modèles à leurs impressions. Les céramistes ont pu découvrir et s’approprier ces nouveaux outils numériques, qui révolutionnent leurs pratiques traditionnelles. Les 80 pièces conçues de façon numérique puis imprimées grâce à l’imprimante 3D céramique du 8 Fablab à Crest ont été diffusées lors d’une exposition collective, l’exposition 3D.3TERRES. Cet exemple d’action culturelle en faveur de l’artisanat d’art, de l’innovation et des nouvelles technologies est sans conteste vecteur de développement culturel. L’insertion de l’imprimante 3D céramique sur le territoire drômois a permis de renforcer le tissu économique local en diffusant une image d’innovation et de création artistique dynamique.

Le sujet de ma thèse professionnelle m’a permis d’identifier de nombreux enjeux liés à la valorisation des métiers d’art et à la mutualisation de la céramique d’art dans sa dimension créative, commerciale et sociale. Au-delà des trois axes de développement – local, économique et culturel – que j’ai mis en lumière, il serait intéressant d’approfondir la question de la transition écologique et son inscription dans la « chaîne de valeur » de la céramique d’art et de sa contribution au développement durable.