Vitrail et «modernité»

de la chapelle Ste-Germaine  (Valence)

Entretien avec le maître verrier Michel Thomas

© Chantal Burgard

Fondé en 1875 à Valence, l’Atelier Thomas-vitraux avec ses quatre générations de maîtres verriers a réalisé et restauré de nombreux vitraux dans la Drôme, en France et à l’étranger, en en renouvelant l’approche artistique, notamment dans les églises anciennes et modernes. En 1975, Michel Thomas a créé les vitraux de la chapelle Ste-Germaine de Valence entièrement rénovée ; il évoque ici son parcours et sa démarche à travers un entretien avec Chantal Burgard qui présente, quant à elle, ce lieu d’une grande modernité.

L’ Atelier Thomas Vitraux

L’atelier Thomas à Valence en 1952 © Archives Atelier Thomas 2015/vpah-auvergne-Rhône-Alpes
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Usine Reynolds à Valence en 2015 © Atelier Thomas

Faisant partie d’une longue lignée de maîtres verriers, Michel Thomas, à 85 ans, parle de son métier avec émerveillement et humilité.
Son grand père Jean-Pierre (1843-1915) a fondé l’atelier en 1875, rue de Chabeuil à Valence. Puis son père Georges a repris l’atelier et à leur tour, Michel et son frère Jean lui ont succédé. Aujourd’hui, les trois fils de Michel, Jean-Bernard, Emmanuel et Laurent, poursuivent l’activité à laquelle ils ont ajouté la compétence de ferronnerie d’art et de signalétique.
En collaboration avec des artistes, l’Atelier Thomas a réalisé des vitraux dont ceux de la collégiale Saint-Bernard de Romans-sur-Isère, en 1953 avec François Chapuis, puis en 2000 ceux de la façade occidentale avec Georg Ettl, ceux de l’église de Vassieux-en-Vercors en 2006 avec Jean-Marc Cerino.
A Valence, Michel Thomas a conçu et réalisé en 1957 le vitrail du chœur de la chapelle Notre-Dame de l’Annonciation, quartier du Grand Charran et en 1986 ceux de l’usine Reynolds.

Michel Thomas, est aussi l’auteur des vitraux de la chapelle Ste-Germaine qu’il a réalisés en 1975. Anciennement appelée chapelle des Petites Sœurs des Pauvres, celle-ci située à Valence a été entièrement restructurée en 1975 par l’architecte Michel Joulie, à l’intérieur du volume de l’ancienne chapelle édifiée un siècle plus tôt.

Vue de l’entrée de la chapelle Ste-Germaine © C.Burgard

La rénovation de la chapelle Ste-Germaine

En 1956, l’architecte Michel Joulie (1915-2014) a déjà construit l’église Ste-Catherine Labouré à Valence, dans un esprit résolument « moderne ».
En 1975, à la demande des Petites sœurs des Pauvres, l’architecte restructure entièrement la chapelle de l’« Asile » pour personnes âgées démunies, construite en 1875 par l’architecte Pierre-Marie Bossan (architecte de la basilique de Fourvière). Dans le volume de la chapelle, Michel Joulie détruit les voûtes en ogives afin de créer un étage dans le but d’aménager onze nouvelles chambres desservies par les dortoirs existants du corps principal. Pour cela, il crée une puissante structure en béton et conserve les murs en pierre.

Projet d’aménagement de la chapelle par l’architecte Michel Joulie, 1969
Emplacement des vitraux : détail du plan de coupe © Archives de Valence (2400W 235)

Au rez-de-chaussée, de part et d’autre de la nef, entre l’ossature en béton, il inscrit de longs vitraux abstraits qui seront conçus et réalisés par Michel Thomas dans le même « esprit de modernité » :

« Après 1945, les nouvelles formes artistiques, figuratives ou abstraites, se voulaient à l’image d’un monde à reconstruire. C’est dans cette esprit de modernité que l’art du vitrail, s’inscrit et renouvelle son expression artistique et technique de la seconde moitié du XXe siècle, jusqu’à nos jours […] un art vivant en adéquation avec l’évolution de notre rapport au monde « matériel et spirituel » (*).

Par leur progression chromatique, ces bandeaux horizontaux de lumière guident symboliquement le regard vers le chœur. Le graphisme vigoureux des vitraux dialogue avec la trame de la structure en béton.
La sévérité des murs en pierre et du béton, atténuée par la lumière scintillante des vitraux, nimbe l’espace de la chapelle d’une atmosphère de recueillement.

Vue prise de la tribune de la chapelle © C.Burgard
Dans le même esprit de dépouillement, le mobilier en bois est simple et ingénieux.
L’ensemble du mobilier liturgique est aussi d’une grande simplicité : simple croix en bois portant le Christ dans le chœur, autel et table pour les hosties en pierre aux formes géométriques, deux sculptures de J.S Hartman (*), un chemin de croix en bronze et bois sous la tribune.
Sculpture d’Hartmann © C.Burgard
Croix du chœur © C.Burgard

Entretien avec Michel Thomas et Chantal Burgard, 29 juin 2023

Michel Thomas (juin 2023)© JP Bos

Chantal Burgard : Quel a été votre apprentissage ?

Michel Thomas : Nous habitions au-dessus de l’atelier. Dès ma naissance, j’étais dans le « berceau » du vitrail. Il y avait un petit banc devant lequel je m’asseyais, comme devant une table, où je commençais à faire des assemblages. Je n’étais bien qu’à l’atelier ! Je m’entendais bien avec mon père qui était adorable, nous rions beaucoup ensemble. Passionné, il n’avait pas d’heure !
J’ai cependant fait des études à l’Ecole d’Art de Valence, dont je suis diplômé, qui se situait alors place de l’Université avec le professeur Paul Bernezat. J’y suivais les cours du soir de dessin et d’antiques puisque je travaillais la journée à l’atelier.

C. B. : Quelle a été la commande pour la chapelle Ste-Germaine ?

M. T. : La commande est venue des Petites sœurs des Pauvres en 1975 ; il y a eu sûrement des dons pour le financement. L’architecte Michel Joulie, un homme courtois, avec qui j’avais une relation presqu’amicale m’a fait venir et donné son accord, sans hésitation, sur ma maquette.

C. B. : Y avait-il un programme iconographique ?

M. T. : Non, j’étais complètement libre mais malgré tout, on est toujours touché par la lumière du lieu qui est le point de départ pour la maquette. Pour mes esquisses, ce sont donc le volume et la lumière de la chapelle qui m’ont inspiré. J’ai cherché avec une tonalité pas trop claire, un équilibre entre le volume et un esprit d‘intimité et de recueillement.
J’ai donc réalisé la maquette d’après les plans de l’architecte, sur papier avec gouache et aquarelle.
Ce vitrail, je souhaitais qu’il soit abstrait, une solution simple, plus économique qu’un vitrail figuratif.
Maquettes des vitraux de la chapelle Ste-Germaine, L 1,50m, Collection Thomas © JP Bos
Détail de la maquette avec la signature de Michel Thomas

Ce n’était pas le premier vitrail abstrait que j’ai réalisé : il y a eu les vitraux de la haute nef de l’église de la Rédemption à Lyon en 1962, ceux de l’église Notre-Dame des Routes à Toulon en 1969 (architecte Pierre Guieu), la verrière devant le grand escalier de l’usine Reynolds à Valence en 1986, les vitraux de l’église Notre-Dame de la Plaine Fleurie à Meylan (architecte Chapuis) et ceux de l’église de Vallières en Haute-Savoie.

Esquisse et réalisation du vitrail Est au centre de la chapelle Ste-Germaine © JP Bos, C.Burgard
Vitraux de la façade ouest de la chapelle Ste-Germaine © C.Burgard

La progression chromatique a une fonction symbolique : à l’entrée de la nef, une dominante bleue, puis des vitraux d’accompagnement plus calmes, dans des tonalités de jaune et vert, conduisent au chœur vers le rouge, symbole du sacrifice du Christ.

C. B. : Quels sont les artistes qui vous ont inspiré ?

M. T. : Manessier et Vieira Da Silva qui inspirent tous les verriers, les vitraux de Chagall, l’école d’Art sacré de Paris, Cécile Giraudet.

C. B. : Quelles sont les étapes de la technique du vitrail que vous avez utilisées pour cette chapelle?

M. T. : J’ai utilisé la « dalle de verre » sertie de béton armé.
C’est Gabriel Loire , le maître verrier installé à Chartres en 1926, qui a lancé après-guerre cette technique de dalles de verre , un « renouveau » pour le vitrail, une technique plus économique, aux coupes simples. Une technique qu’il a utilisée pour de très nombreuses églises et des édifices détruits pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette technique convenait bien aux ouvertures rectangulaires du projet de restructuration de l’architecte.
Le choix de la coloration des verres a été faite en fonction de la maquette. Dès le projet, j’ai fait les cartons en réel. Sur un papier fort, où on trace les lignes de béton.

A l’usine

La dalle de verre fait 2,5 cm d’épaisseur et vient de la verrerie de Saint-Just-Saint-Rambert dans la Loire, près de Saint-Etienne.

Auparavant, on utilisait la technique du verre antique.

Histoire du verre, Collection Thomas © JP Bos

Dans un creuset, on met des oxydes métalliques et des fragments de verre brisé, que l’on chauffe aux alentours de 1200°C, pour former la patte de verre. Avec une grosse louche, on coule cette patte sur une table, dans un cadre de 30 cm x 20 cm et on recuit la future dalle à 500°c pendant 1 heure pour la stabiliser. On laisse refroidir pendant 3 jours avant d’ouvrir le four.

A l’atelier

On réalise un carton grandeur réelle par projection de la maquette via un « épiscope », puis on le reproduit par des carbones sur un papier à calibre que l’on découpe avec un cutter. Chaque calibre aura la taille exacte que devra avoir chaque morceau de dalle verre, en tenant compte des joints en béton. On repositionne les calibres découpés sur le carton et on choisit la couleur de la dalle de verre en fonction de la maquette.

Pour ces vitraux, on a utilisé environ 200 couleurs, à partir des dalles de verre de l’usine, et celles de notre stock.
La réalisation est très proche de la maquette. Quand il y a des nuances, on choisit un dégradé.
On peut rajouter des émaux avec une cuisson supplémentaire.
Quand le rouge est massif, il peut devenir facilement foncé à la cuisson.
Détail d’un vitrail de la chapelle Ste-Germaine © C.Burgard
Vitrail intérieur de la façade Ouest et détail extérieur de la chapelle Ste-Germaine © C.Burgard

On pose sur une grande table les calibres en les collant sur la dalle de verre avec une astuce que je ne vous dirai pas (rire) !
La dalle de verre est découpée en fonction du calibre qui est numéroté, car ici il y en a environ 400 : on trace avec un diamant ou une roulette en suivant le bord du calibre, puis on casse le verre à la marteline (sorte de marteau) ; il vaut mieux mettre des gants protecteurs. Avec la coupe à la tronçonneuse diamantée, il y a moins de chutes.
En fonction du carton, on repositionne chaque dalle de verre sur une table en aluminium (Duralumin) pour éviter qu’elle colle au décoffrage. On trace au crayon gras l’angle de la position des dalles. Puis on coule dans les creux le béton qui est rudimentaire et armé par des fers. Il peut y avoir des épaisseurs différentes de verre qui font que le joint est variable et vivant. Aujourd’hui, on met en périphérie des cadres en aluminium en forme de U que l’atelier fabrique.
Il faut nettoyer l’arrière et amener chaque élément sur le chantier.

Sur le chantier

Pour la mise en place des panneaux, vu leur poids, 65 kg au m2, il fallait être très vigilant car les échafaudages n’étaient pas ceux d’aujourd’hui ! Pour ce chantier de la chapelle Ste-Germaine, il y avait mon frère Jean et Jean-Pierre Bonnardel. Le chantier s’est très bien passé.

Bibliographie

  • Myriam Retail, Un atelier de Maîtres verriers du XIXe au XXIe siècle : Atelier Thomas à Valence, Master 2 pro. Patrimoine architectural et urbain, sous la direction de Monsieur Nicolas REVEYRON, Université Lyon 2, septembre 2015, 119 pages.
  • Myriam Retail, Focus Thomas Vitraux, Villes & Pays d’Art & d’Histoire, 2019
  • Christine Blanchet, « La création du vitrail, les pays de Loire, 1950/2020 », Revue 303, no 163, 2020
  • « La famille Thomas, trois générations de maîtres-verriers, Valence », Pays d’art et d’histoire Valence agglomération :

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2024-04-15T18:35:58+02:00
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