Face aux enjeux de société, climatiques et numériques, la Fab Unit réinvente des modes de production plus durables, en relocalisant la fabrication de séries d’objets à partir de déchets et de matières premières disponibles sur le territoire. Cette micro-usine est implantée à Eurre, au cœur de la Biovallée (*) dans la Vallée de la Drôme, et est pilotée par Carole Thourigny. Celle-ci nous fait part de l’origine de ce projet qui questionne nos modes de consommation et de production, nous présente cette manufacture de proximité fondée sur l’innovation, la coopération et la mutualisation.

Auteure
Carole Thourigny/Q+E

Q+E : Créée fin 2020, la Fab Unit est portée par le 8 Fablab, laboratoire de fabrication numérique situé à Crest, qui a déjà une forte expérience de développement des usages de la fabrication numérique avec des professionnels et des publics aux profils variés. Pourquoi avoir créé cette micro-usine à Eurre ?

CT – Le 8 Fablab est un espace de recherches, de créations et de prototypages qui s’est développé grâce à ses machines, au travail collaboratif avec des designers, des artisans, des artistes et des particuliers. Il a donné naissance à de nombreux projets sur le territoire mais qui n’ont pas pu se développer pour des questions d’objectifs, de moyens et d’espaces ; et il n’y avait pas de solution sur le territoire pour passer d’un prototype à une production en moyenne série.
D’où l’idée de créer cette micro-usine dans laquelle on pourrait fabriquer des séries d’objets à partir de matériaux provenant du territoire afin de réduire les importations et contribuer au recyclage d’au moins 10 tonnes de déchets plastiques par an.

Déchets plastiques © R. Chambaud
Plaques réalisées à partir de déchets plastiques © R. Chambaud

Q+E : Ce nouveau modèle de production à partir des ressources d’un territoire, est-il fondé sur une connaissance des pratiques de consommation et des besoins des habitants de la vallée de la Drôme ?

CT – Les études réalisées sur la vallée de la Drôme et en France mettent la lumière sur les pratiques de consommation et leurs conséquences sur l’empreinte carbone, sur l’économie locale et l’emploi. L’Etude du think tank Utopies *montrent que 97% de ce que nous consommons sont produits à l’extérieur et à 6 700 kilomètres de distance en moyenne.
Mais notre démarche n’est pas que de répondre aux besoins des consommateurs ; elle est de se questionner sur la manière de consommer, de produire, de se déplacer, sur les conséquences de ces importations ; elle est de prendre en compte les enjeux du développement durable et de mettre en place une économie circulaire (*) en fabriquant sur le territoire à proximité des clients et des fabricants. Notre intuition était aussi qu’il y a une demande d’objets plus qualitatifs avec du sens, un besoin de connaître leur origine, même s’ils sont un peu plus chers.

Q+E : La Fab Unit est actuellement installée sur la zone d’activités de l’Ecosite d’Eurre ; quelle est l’organisation de cette micro-usine ?

CT – Il y a trois ateliers répartis sur 400 m2 de plain-pied et facilement accessibles : un atelier de recyclage plastique, équipé d’une presse qui transforme les déchets plastiques industriels et ménagers en plaques d’un mètre carré ; un atelier d’usinage équipé d’une fraiseuse numérique, qui permet de découper des matériaux bois et plastique ; un atelier consacré aux finitions (teintures, vernis), à l’assemblage et au conditionnement. Sont ainsi produits des objets utilitaires, du mobilier pour le bureau ou l’habitat, des meubles pour des stands d’exposition, des pièces techniques, etc.
Deux personnes travaillent actuellement sur site et l’équipe du 8 Fablab vient en appui avec ses 9 salariés et ses 12 machines à commandes numériques.
Atelier de recyclage des déchets plastiques © R. Chambaud
Atelier d’usinage avec la fraise numérique © R. Chambaud

Q+E : Qui sont les créateurs de toutes ces productions ?

AC – Les créateurs sont multiples ; ce sont des designers comme notre designer Thomas Merlin qui réalise l’essentiel des créations ou ceux de l’agence Entreautre, des artisans comme un menuisier ou un cuisiniste, des artistes comme la plasticienne recycleuse Amandine Serran/La Fée Crochette, … Ils peuvent produire leurs propres objets en utilisant nos machines et nos compétences ou bien des objets pour La Fab Unit qui appartiennent alors à notre catalogue comme la série de mobiliers de bureaux en bois et plastique.
La diversification des créateurs est intéressante mais une visibilité de La Fab Unit reste indispensable. Notre marque de fabrique, est-elle à travers le matériau du plastique recyclé qui devient de plus en plus à la mode ou à travers la ligne design ?

Q+E : Comment votre production est-elle diffusée et vendue ?

AC – Un catalogue en ligne présente nos premières réalisations comme les bureaux mais ce n’est pas vraiment un support de ventes qui, elles, se font essentiellement par la communication sur les réseaux sociaux et par nos nombreux partenaires du territoire : professionnels, communes, entreprises, tiers-lieux qui achètent non pas un seul objet mais plusieurs.
Le plus important pour nous est d’avoir des commandes régulières et assurées afin d’organiser la production. Nos premiers ʺgrosʺ clients arrivent et nous demandent tous les mois des séries, comme l’association ʺBibliothèques Sans Frontièresʺ qui demande 50 boîtiers par mois.
Chaise Canoé réalisée à partir des déchets plastiques d’un canoé © R. Chambaud
Mobiliers conçus par la Fab Unit © R. Chambaud
Mobiliers conçus par la Fab Unit © R. Chambaud

Q+E : Ces commandes sont-elles suffisantes pour faire fonctionner cette micro-usine ?

CT – Les commandes aujourd’hui ne sont pas assez suffisantes car on a passé 6 mois à fabriquer des machines (Sheetpress, table de préparation…) et pris du retard sur la production. Cependant notre budget est équilibré grâce aux subventions, notamment celle du programme AMI Manufactures de proximité porté par l’Agence Nationale de la Cohésion des territoires, France Relance et France Tiers-lieu.
Depuis septembre 2022, la Fab Unit est labellisée Manufacture de proximité et bénéficie d’une subvention pendant deux ans pour qu’on se développe, expérimente et consolide notre activité en augmentant la productivité, les volumes et la qualité des objets produits, en mutualisant les moyens et les compétences pour répondre à des appels d’offre.

Q+E : Quelle est la différences entre une manufacture de proximité et une usine ?

CT – Les manufactures de proximité sont de nouvelles usines dont les objectifs se différencient de l’usine traditionnelle qui veut produire le moins d’objets possibles en plus grande quantité afin d’avoir de meilleures performances et une rentabilité immédiate.
La création de manufactures de proximité permet de réinventer un modèle de petites industries locales qui ont disparu. Leur fonctionnement est plus réactif, plus coopératif : on s’adapte rapidement et surtout on participe à la relocalisation de la production d’objets. Il y a des exemples très intéressants comme l’Atelier agile à Roubaix * où une cinquantaine de personnes fabriquent des vêtements avec une conception du travail intéressante : une annualisation du temps de travail pour s’adapter aux commandes, des primes pour les salariés formant d’autres salariés, manière de valoriser leur savoir-faire et de les impliquer dans le groupe.

Q+E : Le rôle de la coopération dans la réalisation de projets est très présent. Pourquoi est-il si important de partager des connaissances et des expériences ?

CT – Toutes les phases de conception, de réalisation sont documentées et partagées afin de renforcer la coopération entre nous, les autres communautés créatrices, les collectivités locales et les acteurs économiques. Pour fabriquer ses propres machines, la Fab Unit a bénéficié des ressources de la communauté Precious Plastic, dont elle est membre. Elle a ensuite amélioré les plans de fabrication des machines qui ont été ensuite communiqués. Toutes les expérimentations sur le recyclage plastique sont présentées et consultables en ligne sur notre site . Nous partageons aussi le contenus de dossiers, des appels à projets afin que cela profite à d’autres manufactures, fablabs, tiers lieux… De même nous intervenons régulièrement pour faire part de notre expérience dans des manifestations locales et nationales comme en octobre à la première rencontre des tiers-lieux à Metz.
8 – Plans de la sheetpress © La Fab Unit
9 – Echanges autour de la fabrication de la sheetpress © La Fab Unit

Q+E : Quels sont vos projets à court et long termes ?

CT – On voudrait développer l’impression 3D, réussir à extruder directement du broyat de déchets plastic sans passer par du fil et utiliser un bras robot pour faire des formes plus complexes, du mobilier urbain, etc. ce qui nous permettrait d’utiliser beaucoup plus de déchets.
On souhaite aussi renforcer l’écosystème en continuant à travailler avec les partenaires du territoire (ressourceries, matériauthèques, entreprises, acteurs de la filière plastique, services déchets des intercommunalités… afin de favoriser l’émergence de boucles d’économie circulaire comme en ce moment avec la plateforme collaborative de traitement des déchets plastiques de la vallée de la Drôme : Paillettes à Die.
Et ensuite réaliser des ateliers partagés et créer un pôle autour de l’économie circulaire, du réemploi, du recyclage. L’idée est de s’installer dans un plus grand lieu qui serait divisé en box pour des résidents et qui offrirait aussi des espaces pour une mise en commun de matériels servant à la création et à la fabrication. S’il y a une quinzaine de personnes intéressées, on cherchera alors un local plus spacieux qui aura forcément un loyer plus important. Cependant la location des espaces de travail nous permettrait de commencer, de bénéficier de toutes les synergies et de fabriquer les uns à côté des autres ou ensemble.
Il y a sans doute une demande quand on voit l’intérêt pour ʺL’Usine vivanteʺ (*) qui accueille une cinquantaine de résidents à Crest, pour ʺEliomatekouʺ (*) qui vient de se créer à Aouste-sur-Sye ou ʺLe Quaiʺ qui héberge une vingtaine d’artistes et d’artisans à Pont-de-Barret.
Et à plus long terme, on aimerait travailler sur d’autres matériaux que le plastique, tels les déchets ménagers, les biomatériaux comme on l’a découvert dans le laboratoire de la Fondation Luma à Arles qui utilise les ressources naturelles et les déchets agricoles de la région tout en valorisant l’artisanat.