Face aux enjeux de société, climatiques et numériques, la Fab Unit réinvente des modes de production plus durables, en relocalisant la fabrication de séries d’objets à partir de déchets et de matières premières disponibles sur le territoire. Cette micro-usine est implantée à Eurre, au cœur de la Biovallée (*) dans la Vallée de la Drôme, et est pilotée par Carole Thourigny. Celle-ci nous fait part de l’origine de ce projet qui questionne nos modes de consommation et de production, nous présente cette manufacture de proximité fondée sur l’innovation, la coopération et la mutualisation.
Auteure
Carole Thourigny/Q+E
CT – Le 8 Fablab est un espace de recherches, de créations et de prototypages qui s’est développé grâce à ses machines, au travail collaboratif avec des designers, des artisans, des artistes et des particuliers. Il a donné naissance à de nombreux projets sur le territoire mais qui n’ont pas pu se développer pour des questions d’objectifs, de moyens et d’espaces ; et il n’y avait pas de solution sur le territoire pour passer d’un prototype à une production en moyenne série.
D’où l’idée de créer cette micro-usine dans laquelle on pourrait fabriquer des séries d’objets à partir de matériaux provenant du territoire afin de réduire les importations et contribuer au recyclage d’au moins 10 tonnes de déchets plastiques par an.
CT – Les études réalisées sur la vallée de la Drôme et en France mettent la lumière sur les pratiques de consommation et leurs conséquences sur l’empreinte carbone, sur l’économie locale et l’emploi. L’Etude du think tank Utopies *montrent que 97% de ce que nous consommons sont produits à l’extérieur et à 6 700 kilomètres de distance en moyenne.
Mais notre démarche n’est pas que de répondre aux besoins des consommateurs ; elle est de se questionner sur la manière de consommer, de produire, de se déplacer, sur les conséquences de ces importations ; elle est de prendre en compte les enjeux du développement durable et de mettre en place une économie circulaire (*) en fabriquant sur le territoire à proximité des clients et des fabricants. Notre intuition était aussi qu’il y a une demande d’objets plus qualitatifs avec du sens, un besoin de connaître leur origine, même s’ils sont un peu plus chers.
Deux personnes travaillent actuellement sur site et l’équipe du 8 Fablab vient en appui avec ses 9 salariés et ses 12 machines à commandes numériques.
La diversification des créateurs est intéressante mais une visibilité de La Fab Unit reste indispensable. Notre marque de fabrique, est-elle à travers le matériau du plastique recyclé qui devient de plus en plus à la mode ou à travers la ligne design ?
Le plus important pour nous est d’avoir des commandes régulières et assurées afin d’organiser la production. Nos premiers ʺgrosʺ clients arrivent et nous demandent tous les mois des séries, comme l’association ʺBibliothèques Sans Frontièresʺ qui demande 50 boîtiers par mois.
CT – Les commandes aujourd’hui ne sont pas assez suffisantes car on a passé 6 mois à fabriquer des machines (Sheetpress, table de préparation…) et pris du retard sur la production. Cependant notre budget est équilibré grâce aux subventions, notamment celle du programme AMI Manufactures de proximité porté par l’Agence Nationale de la Cohésion des territoires, France Relance et France Tiers-lieu.
Depuis septembre 2022, la Fab Unit est labellisée Manufacture de proximité et bénéficie d’une subvention pendant deux ans pour qu’on se développe, expérimente et consolide notre activité en augmentant la productivité, les volumes et la qualité des objets produits, en mutualisant les moyens et les compétences pour répondre à des appels d’offre.
La création de manufactures de proximité permet de réinventer un modèle de petites industries locales qui ont disparu. Leur fonctionnement est plus réactif, plus coopératif : on s’adapte rapidement et surtout on participe à la relocalisation de la production d’objets. Il y a des exemples très intéressants comme l’Atelier agile à Roubaix * où une cinquantaine de personnes fabriquent des vêtements avec une conception du travail intéressante : une annualisation du temps de travail pour s’adapter aux commandes, des primes pour les salariés formant d’autres salariés, manière de valoriser leur savoir-faire et de les impliquer dans le groupe.
On souhaite aussi renforcer l’écosystème en continuant à travailler avec les partenaires du territoire (ressourceries, matériauthèques, entreprises, acteurs de la filière plastique, services déchets des intercommunalités… afin de favoriser l’émergence de boucles d’économie circulaire comme en ce moment avec la plateforme collaborative de traitement des déchets plastiques de la vallée de la Drôme : Paillettes à Die.
Et ensuite réaliser des ateliers partagés et créer un pôle autour de l’économie circulaire, du réemploi, du recyclage. L’idée est de s’installer dans un plus grand lieu qui serait divisé en box pour des résidents et qui offrirait aussi des espaces pour une mise en commun de matériels servant à la création et à la fabrication. S’il y a une quinzaine de personnes intéressées, on cherchera alors un local plus spacieux qui aura forcément un loyer plus important. Cependant la location des espaces de travail nous permettrait de commencer, de bénéficier de toutes les synergies et de fabriquer les uns à côté des autres ou ensemble.
Il y a sans doute une demande quand on voit l’intérêt pour ʺL’Usine vivanteʺ (*) qui accueille une cinquantaine de résidents à Crest, pour ʺEliomatekouʺ (*) qui vient de se créer à Aouste-sur-Sye ou ʺLe Quaiʺ qui héberge une vingtaine d’artistes et d’artisans à Pont-de-Barret.
Et à plus long terme, on aimerait travailler sur d’autres matériaux que le plastique, tels les déchets ménagers, les biomatériaux comme on l’a découvert dans le laboratoire de la Fondation Luma à Arles qui utilise les ressources naturelles et les déchets agricoles de la région tout en valorisant l’artisanat.