La plus haute récompense décernée en architecture, le prix Pritzker, nous surprend cette fois encore, par son choix, loin des œuvres prestigieuses et spectaculaires. En 2022, ce prix est décerné à l’architecte burkinabé Francis Kéré pour son œuvre originale et audacieuse répondant aux grands défis écologiques et humanitaires du XXIe siècle.

Auteure:
Chantal Burgard

Déjà en 2021, avaient été désigné lauréats de ce prix, les architectes français Lacaton et Vassal qui en associant les habitants, ont milité pour la réhabilitation plutôt que la démolition. Connus pour la rénovation du Palais de Tokyo à Paris (2009), l’école d’architecture de Nantes rénovée dans un ancien parking (2012), ils ont œuvré sur les grands ensembles des années 60 sur lesquels ils ont greffé à chaque logement des grandes loggias vitrées, comme à la tour Bois-le-Prêtre, à Paris (2011), et dans le quartier du Grand Parc, à Bordeaux (2017), en association avec Frédéric Druot et Christophe Hutin.

Cette année 2022, est lauréat l’architecte Diébédo Francis Kéré : « Grâce à des bâtiments qui font preuve de beauté, de modestie, d’audace et d’invention et par l’intégrité de son architecture…, Kéré soutient avec grâce la mission de ce Prix».

Une architecture « passive », au croisement des cultures africaines et occidentales

Né en 1966 à Gando, au Burkina Faso, diplômé en architecture de la Technische Universität Berlin en Allemagne, Diébédo Francis Kéré exerce dans les deux pays.

En impliquant les habitants et usagers dans le processus de construction, il associe des techniques vernaculaires à un langage contemporain inspiré et pragmatique, des formes claires et expressives. Ainsi, il réhabilite et adapte les matériaux traditionnels, pour leur économie et leurs qualités thermiques par rapport à la chaleur, en particulier les murs d’adobe (briques de terre crue) qu’il protège par des grandes toitures. Il en résulte une architecture « passive » sans apport d’énergie, grâce à l’usage des matériaux locaux, à une lumière filtrée et une ventilation naturelle. La récupération des eaux pluviales des toitures est aussi une préoccupation constante chez Kéré.

En 2001, sa première construction est celle de l’école de Gando (ill. 1, 2). Les murs en briques d’argile et ciment sont protégés de la pluie par des toitures en surplomb dissociées des murs. Le plafond en briques perforées libère l’air chaud intérieur. Cette école a été suivie de logements pour les enseignants, une bibliothèque, un centre pour les femmes, un lycée, un atelier de formation aux techniques de construction.

1 – © Erik Jan Ouwerkerk
2 – © Erik Jan Ouwerkerk

La bibliothèque de Gando (2010) utilise pour la toiture des pots en argile traditionnels. Fabriqués à la main par les femmes du village, ils sont sciés en deux et insérés dans la structure en béton et assurent ainsi l’éclairage naturel et la ventilation (ill. 3, 4, 5).

Au lycée Schorge (2014-16) au Burkina Faso, le bois d’eucalyptus est utilisé pour créer un espace intermédiaire protégé du soleil (ill. 6, 7)

6 – © Iwan Baan
7 – © Andrea Maretto pour Kere Architecture

La clinique chirurgicale et le centre de santé de Léo (2014) au Burkina Faso sont construits en murs d’argile protégés par de grandes toitures conçues pour recueillir les eaux de pluie. Les logements des médecins qui ont suivi (2016-18) sont construits en double murs de blocs de terre stabilisée comprimée et blocs de béton qui augmentent l’inertie thermique et la résistance structurelle. La composition libre de l’ensemble dégage une cour commune conçue comme la place du village (ill. 8, 9, 10).

De nombreuses autres constructions réalisées en Afrique explorent de nouveaux modes constructifs, toujours dans le but d’associer la population et d’innover à partir des matériaux locaux.

8 – © Jaime Herraiz pour Kere Architecture
9 – © Francis Kéré
10 – Plan des logements des médecins

Pavillons et installations éphémères

L’approche très personnelle de Kéré – l’élégance de ses structures, la sobriété des matériaux, la vivacité des couleurs et motifs inspirés des tissus africains – a favorisé de nombreuses invitations à réaliser des constructions éphémères et originales dans des espaces urbains ou artistiques.

Choisi en 2017 pour construire la Serpentine Pavillon dans le parc de Kensington à Londres, un évènement culturel très attendu, Kéré a proposé une structure audacieuse qui s’inspire de la forme d’un arbre et recueille les eaux de pluie en son centre (ill. 11, 12).

11 – © Iwan Baan
12 – © Iwan Baan

Sabarlé Ke (ill. 13) est une installation temporaire réalisée en en Californie (2019), inspirée par les baobabs et leur disposition dans la ville natale de Kéré.

13 – © Iwan Baan

Les Paysages de couleurs installés au musée d’art de Philadelphie (2016) et composés de cordons d’origine locale évoquent la tradition textile de Philadelphie (ill. 14,15).

14 – ©Tim Tiebout
15 – © Tim Tiebout

Le pavillon Sensing Spaces (2014) installé à la Royal Academy de Londres est composé de 34 arches où lumière et pailles colorées ont un rôle interactif (ill. 16,17).

16 – © James Harris
17 – © James Harris

Avec des réalisations publiques à des petites échelles en Afrique, des pavillons et installations éphémères dans le monde entier, cette œuvre architecturale au croisement de l’économie locale, de l’éthique et de l’écologie s’impose comme exemple universel face aux grands défis écologiques et humanitaires du XXIe siècle.

« Ce n’est pas parce que vous êtes limité dans les ressources que vous devriez accepter la médiocrité. Non, je n’accepte jamais ça ! J’essaie de faire des choses dont je suis fier » affirme Francis Kéré dans une interview avec Romullo Baratto dans ArchDaily.