Valence a une tradition de sculptures monumentales installées dans l’espace urbain, soit de manière pérenne à travers des personnages historiques (Championnet (*), Bancel (*)…), soit éphémère dans le cadre de la Biennale « Un sculpteur, une ville » créée en 1990 (*) . Une vingtaine d’années plus tard, un parcours de sculptures contemporaines ponctuent les parcs de la ville. Emma Margiotta, dans le cadre de son Master 2 en Histoire de l’art, s’est intéressée à cette initiative et a rédigé un article publié pour la première fois sur le blog des étudiant.e.s en Master 2 d’Histoire de l’Art de l’Université Lumière Lyon 2 au titre de l’année universitaire 2019-2020.
Auteure :
Emma Margiotta
De mai 2019 à mai 2021, la Ville de Valence, dans la Drôme, propose à la curiosité de ses habitants et visiteurs la découverte de Sculptez vos balades, une exposition urbaine, dans les parcs Jouvet, Marcel Paul et de l’Épervière ainsi qu’au Champ de Mars. Elle comprend seize sculptures monumentales contemporaines réalisées par Serge Landois, Georges Meurdra, Jean-Patrice Rozand et C.G. Simonds. Cette proposition culturelle fait l’objet d’un partenariat avec la galerie d’art contemporain Bruno Mory basée en Saône-et-Loire qui les représente. L’ensemble formé par les réalisations exposées, tout en conservant la spécificité de chacune des œuvres, nous invite à s’arrêter pour les contempler mais aussi à (re)découvrir leurs lieux de présentation.
Mark di Suvero : une définition de la sculpture monumentale
L’appellation « sculpture monumentale » se réfère à des œuvres dont les dimensions, le poids et les matériaux employés lui confèrent un caractère imposant. Claude Fournet, Conservateur en Chef du Patrimoine et Directeur des musées de Nice, confiait lors d’une rétrospective de Mark di Suvero : « La sculpture (moderne) de fer (et d’acier) est née dans le tiers de ce siècle. L’Amérique, avant la guerre, lui donnera la force qu’impliquent les architectures verticales de Manhattan et l’étrange non-lieu des latitudes infinies de la Côte Ouest »(*). L’artiste américain Mark di Suvero, né en 1933, est l’une des figures majeures de cette démarche artistique. En raison du conflit au Vietnam, il se rendit en Europe en 1971 (*) et aménagea son atelier en 1973 à Chalon-sur-Saône (*). Cette installation fut possible grâce à Marcel Évrard – fondateur de l’Écomusée du Creusot – avec qui il créa en 1987, La Vie des Formes, qualifié de « chantier international de création expérimentale » (*). Georges Meurdra et Serge Landois ont découvert la sculpture monumentale (*) en participant à celui de 1989 à 1992 (*). Ainsi, la sculpture monumentale est également à rapprocher des réalisations architecturales avec lesquelles – par ses méthodes de réalisation – elle entre en résonance. En effet, Ann Wilson Lloyd, en 1991, expliquait que Di Suvero « a appris la soudure et la manipulation des équipements lourds dans les casses et sur les chantiers navals » (*). L’artiste, dans un entretien réalisé par Gilbert Perlein, Conservateur au Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Nice, énonçait que « les formes les plus expressives, les plus impressionnantes de ce siècle sont dans l’architecture (*).
Afin d’inscrire Sculptez vos balades dans une chronologie des expositions urbaines à Valence, signalons celle que la Ville a consacré à Mark di Suvero en 1990 notamment aux parcs Jouvet, Marcel Paul et au Champ de Mars (*). Par la suite, en 1993, l’artiste réalisa pour le parvis de la nouvelle École Supérieure d’Art et Design de Valence, l’œuvre pérenne monumentale Charles d’Orléans. Ainsi, et comme me l’expliquait Clara Vieuguet, responsable du patrimoine historique et artistique de la ville, la présente exposition s’inscrit dans cet « historique » en réaffirmant l’attrait culturel de la municipalité pour la sculpture depuis les années 1980- 1990 (*). De plus, Sculptez vos balades fait suite à des actions récentes de revalorisation et de restauration des œuvres pérennes présentes dans l’espace public depuis cette période (*). Pour prolonger cette exposition et son investissement dans l’art contemporain, la ville fera l’acquisition de Pampa réalisée en 2005 par Jean-Patrice Rozand pour le « 1% artistique » du centre aqualudique de l’Épervière à Valence.
Présentation des artistes exposants et de leurs œuvres
C
Serge Landois est un artiste Valentinois né en 1961. À la suite de l’obtention de son diplôme, il a poursuivi sa formation à la Villa Médicis entre 1987 et 1989. Dominique Dalemont dans Les sculpteurs du métal, signale que « Serge Landois arrive au métal par hasard » (*). En effet, ce dernier m’a confié avoir une pratique de la sculpture monumentale moins exclusive que les autres artistes de cette exposition (*). Concernant sa pratique, Dominique Dalemont explique « [qu’u]ne grande partie de ces gestes techniques consistent en des pliages […] [et] en des torsions de barres et de plaques »(*). Georges Meurdra, originaire de Strasbourg, né en 1960, est aujourd’hui installé dans la Drôme. Il travaille à partir de métal de récupération « découp[ant parfois] une portion de pièce existante » tel qu’il l’explique : « Je casse et je réutilise » (*). Jean-Patrice Rozand est un sculpteur Grenoblois né en 1959. Françoise Balibar, à propos d’une exposition qu’il a présentée à la collégiale Saint-Barnard de Romans-sur-Isère en 2012, a perçu deux caractéristiques dans ses œuvres : d’une part « l’équilibre » dans lequel elles s’installent et d’autre part, la capacité qu’elles ont à nous faire « sentir l’espace » (*). À ces composants s’ajoute un vocabulaire fait de « triangles », de « quadrilatères » et de « trapèzes » (*) lui permettant de développer « une sculpture anguleuse » tout en « introdui[san]t la courbe » (*). Enfin, C.G. Simonds est un sculpteur américain né en 1939, et diplômé des universités de San José et de Berkeley où il a rencontré Mark di Suvero en 1968, bien avant leurs expériences à La Vie des formes (*). Puis, c’est en France et dans ce contexte qu’il a eu « la double révélation de l’acier et du travail d’équipe », concevant ses réalisations sur des plans adoptant ainsi une « approche […] architecturale » (*). Sa production se partage entre la Californie et la Bourgogne.
Plan signalant par des points rouges l’emplacement des sculptures dans les quatre espaces. Les numéros noirs renvoient aux œuvres des artistes qui sont plus particulièrement étudiées dans cet article. Le tracé bleu matérialise un circuit entre ces parcs.
1. Georges Meurdra, Kaydara, 2002,
Champ de Mars.
2. Serge Landois, Saariaho, 2018,
Parc Jouvet.
3. Georges Meurdra, Astrolabe, 2012,
Parc Jouvet.
4. Serge Landois, Sinopia, 2018,
Parc Marcel Paul.
Source : Clara Vieuguet (pour le plan et les signalétiques) et ajouts personnels pour les précisions légendant les œuvres citées.
Une exposition à la rencontre de son public
Sculptez vos balades est une exposition implantée pour deux ans dans l’espace public. Pour déterminer sa localisation, il a donc été nécessaire de prendre en compte le calendrier des évènements à venir comme me l’expliquait Clara Vieuguet. Ainsi, parmi les trois propositions : « les hauts de Valence », « le centre historique » et « les parcs du centre et du sud », cette dernière s’avéra la plus viable. Cette exposition urbaine a la singularité de se tenir dans les espaces verts. Seules les deux œuvres exposées sur le Champ de Mars ont suscité davantage de réflexion quant à leur emplacement(*). Bruno Mory a insisté pour leurs présences afin de signaler l’exposition et d’en symboliser le commencement. Par ailleurs, selon Clara Vieuguet, le service des espaces verts a récemment mis en place des circuits de randonnée urbaine. L’un d’eux est une boucle qui débute devant l’office de tourisme et se poursuit sur le Champ de Mars et aux parcs Jouvet, de l’Épervière et de Marcel Paul (*). Le parcours de l’exposition, en se superposant à celui-ci, dispose de plus de visibilité et souligne le travail de revalorisation de ces parcs.
Cette exposition comporte deux objectifs complémentaires : amener l’art dans le quotidien des personnes qui fréquentent régulièrement ces parcs et appréhender différemment ces espaces. Le parcours dessiné par l’installation de ces sculptures ponctue les voies de circulation de ces espaces verts. Ainsi, les sculptures agrémentent d’un aspect artistique la flânerie des personnes qui fréquentent quotidiennement ces lieux de détente et de promenade. En outre, les œuvres donnent la possibilité de « sculpte[r] » leurs « balades » comme l’indique le titre de l’exposition et invitent ainsi les habitués à poser un nouveau regard sur leur environnement en s’arrêtant pour les contempler. Pour ce faire, de nombreuses sculptures sont installées à proximité de bancs. Ainsi, ces parcs deviennent des lieux d’expositions à ciel ouvert, qui plus est, gratuitement.
Focus sur les œuvres
Ce double point de vue est également contraint pour Sinopia, autre œuvre de Serge Landois comportant le même développement formel et exposée au parc Marcel Paul (*). Son emplacement induit qu’elle soit vue depuis la voie de circulation devant laquelle elle se situe car, si on en fait le tour, elle nous livre depuis la pelouse un angle de vue impensé et limité par une route jouxtant le parc. Ainsi, même si Sinopia offre une alternative pour admirer le parc et les autres sculptures implantées, il s’agit plus « d’un cadre que d’une fenêtre » – même s’il n’a pas été conçu comme une « limite » – tel que le suggère l’artiste. Ces deux œuvres développent une construction formelle traversée par le vide car « évidement j’utilise du fer mais mon matériau c’est l’espace » m’expliquait Serge Landois. De ce fait, et par la couleur blanche de ces œuvres qui les détache de l’herbe, ces réalisations en « équilibre » disposent d’une singularité toute spécifique dans cette exposition.
L’emplacement d’une sculpture et sa forme peuvent également questionner l’environnement immédiat comme le montre Astrolabe de Georges Meurdra, datée 2012, présentée au parc Jouvet (*). Cette œuvre, objet de la main de l’homme, concurrence le paysage naturel qui lui sert de cadre. Certes, sa grandeur rappelle la végétation mais son hiératisme instaure une distance. Astrolabe peut être perçu comme un arbre de l’homme venant interroger ceux de la nature. Il peut s’agir d’une invitation à porter un regard attentif à l’oxygène offert par ces espaces verts trop souvent restreints par de nouvelles infrastructures urbaines. Son titre peut faire penser à un outil d’observation astronomique perceptible dans son développement formel. Néanmoins, si cette œuvre est un « astrolabe » des temps modernes, son implantation dans ce parc interroge. Cet instrument de mesure revisité aurait pu prendre place sur le Champ de Mars devant la perspective dégagée qu’offre l’entrée du parc sur le Rhône et sur Crussol. Pourtant, c’est une autre réalisation qui s’y trouve, pourvue de caractéristiques similaires. Kaydara, 2002 est installée, selon Clara Vieuguet, comme le « signal » d’entrée de l’exposition (*). Elle me confiait que c’est « une de ces œuvres emblématiques ». La place qui lui est allouée est à proximité immédiate du kiosque Peynet, dont elle ne doit pourtant pas déranger la vue car il est classé au titre des monuments historiques (*). De fait, Kaydara essaie de s’insérer dans un lieu dont l’espace est déjà pourvu de ce kiosque mais aussi de bassins et de mobilier urbain. En outre, par sa position, elle interroge à nouveau la présence végétale en cœur de ville en s’insérant – tout en la prolongeant – dans une des allées d’arbres qui traversent cette esplanade.
Ainsi, au « critère esthétique » est venu se joindre celui de la « possibilité technique » pour déterminer l’emplacement des œuvres comme le soulignait Clara Vieuguet. Ceci explique, par exemple, pourquoi aucune sculpture ne se trouve au centre d’un espace vert : l’opération d’installation aurait été techniquement plus complexe et l’œuvre serait venue rompre un parterre pourvu d’autres usages. Cela induit parfois une certaine proximité des sculptures, notamment au parc de l’Épervière, permettant cependant, selon Bruno Mory, de conserver l’idée d’exposition.
Pour terminer, la médiation de l’exposition gagnerait à être développée, par exemple par des panneaux explicatifs dans chacun des parcs afin d’indiquer les circonstances de la présence de ces œuvres. Sur ce point, Clara Vieuguet m’expliquait que la discrétion avait été privilégiée pour ne pas « surcharger la signalisation » de ces parcs – l’exposition durant deux ans – disposant déjà de celle du circuit évoqué. Par ailleurs, même si une brochure illustrée reprend les œuvres et les lieux, aucun élément sur place n’informe les visiteurs du prolongement de cette exposition dans d’autres parcs. À ce propos, Clara Vieuguet m’indiquait qu’elle « peut s’envisager comme un parcours » mais aussi dans la perspective « [qu’]un seul lieu » offre « le panel des artistes ». En somme, Sculptez vos balades est, selon moi, un dispositif d’accès à l’art contemporain permettant à un public non averti d’éveiller sa sensibilité à la sculpture monumentale tout en offrant, aux connaisseurs, une autre perspective pour découvrir ces créations. Par ailleurs, différents évènements sont organisés, dont des visites guidées par Pays d’art et d’histoire de Valence Romans agglo.
Bibliographie :
– Dominique DALEMONT, Les sculpteurs du métal, 66 portraits, Paris, Somogy éditions d’art, 2006 – André DUCRET, L’art dans l’espace public, une analyse sociologique, Zürich, éditions Seismo, 1994.
– Gilbert LASCAULT, Sculptures hautes, hiératiques, Georges Meurdra, Jean-Patrice Rozand et C.G. Simonds, cat. exp., (exposition du 18 juin au 13 novembre 2005, château de Cormatin, Cormatin), Macon, imprimerie L’Exprimeur, 2005.
– Les Amis de Saint-Barnard, Françoise Balibar, Jacques Mazade, Bruno Mory, Jean-Patrice Rozand – Sculptures, cat. exp., (exposition du 14 juin au 20 septembre 2012, Collégiale Saint-Barnard, Romans-sur-Isère), Romans-sur-Isère, éditions Les Amis de Saint-Barnard et la Galerie Bruno Mory, 2012.
– Mark di SUVERO, Mark di Suvero, Valence, cat. exp., (exposition urbaine, Valence, 1990), Valence, éditions de la ville de Valence, 1990.
– Mark di SUVERO, La Vie des formes, Chantier international de création expérimentale juillet 1989 – mars 1992, cat. exp., (exposition de juillet à septembre 1992, Chalon-sur-Saône), Chalon-sur-Saône, édition Publicime, 1992.
– Gilbert PERLEIN (dir.), Mark di Suvero, rétrospective 1959-1991, cat. exp., (exposition au Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain, Nice, 1991), Nice, éditions du Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain, 1991.
Sitographie :
– Cirkwi, La randonnée, parcours « De la ville ancienne au port de plaisance », in site officiel de Valence Romans tourisme, [en ligne], mis à jour par Valence Romans tourisme le 05.02.2019, consulté le 25.11.2019.
– Emile GAY (contact presse), dossier de presse de l’exposition Sculptez vos balades, daté du 16 mai 2019, [en ligne], consulté le 14.09.2019.
– Ville de Valence, Sculptez vos balades, in site officiel de la Ville de Valence, [en ligne], publié le 21 juin 2019, consulté depuis le 14.09.2019.
Autres ressources :
– Entretien téléphonique avec l’artiste Serge LANDOIS réalisé le 17 décembre 2019.
– Entretien avec Clara VIEUGUET, Responsable du patrimoine historique et artistique de la Ville de Valence, pôle action culturelle et coordinatrice de l’installation de cette exposition, réalisé le 25 novembre 2019 à la mairie de Valence.
A l’issue de cet entretien, différents documents m’ont été transmis : photographies de l’exposition, plans d’installation des sculptures dans chacun des parcs, revue de presse, informations relatives aux évènements organisés durant l’exposition et diaporama de présentation de l’exposition daté du 16.06.2019.